Pollution d’un forage privé utilisé pour l’alimentation en eau potable : la proximité d’un réseau d’assainissement collectif et d’un puits perdu suffit-elle à établir un lien de causalité de nature à engager la responsabilité de la collectivité ?
Non : il appartient aux requérants de produire des pièces justificatives suffisantes pour établir que les préjudices qu’ils invoquent résultent de manière directe et certaine du fonctionnement des réseaux publics et privés d’assainissement, tranche le tribunal administratif de Rennes. Ce d’autant que le bon fonctionnement du réseau public d’assainissement est en l’espèce avéré par plusieurs inspections. La demande d’expertise afin de déterminer les causes et l’étendue des désordres est également rejetée, aucun lien de causalité direct n’étant démontré entre les désordres invoqués et les installations d’assainissement voisines publiques ou privées.
Depuis 2010, des propriétaires sont confrontés à des problèmes de pollution qui affectent particulièrement l’eau de leur forage pour leur alimentation en eau potable. Ces pollutions détériorent également leur maison et entrainent le dépérissement d’une partie de la végétation plantée sur leur propriété. D’autres désordres sont également relevés : pollution souterraine de leur jardin par hydrocarbures ainsi que divers désordres affectant le sous-sol de leur maison d’habitation (fissures et traces d’humidité).
Ils mettent en cause le mauvais fonctionnement du réseau public d’assainissement collectif, ainsi que des dispositifs d’assainissement individuel situés en amont de leur terrain. Ils recherchent la responsabilité de la communauté d’agglomération, de la commune s et de l’exploitant du service public de l’assainissement collectif, réclament une indemnité de 500 000 euros !
Pas de dysfonctionnement du réseau public d’assainissement
A l’appui de leurs demandes, les propriétaires produisent trois documents :
Aucun de ces éléments n’est jugé suffisant par le tribunal afin d’établir que les nuisances sont imputables au réseau public d’assainissement. Ainsi le rapport se borne à "suggérer sans plus de précision l’intérêt que pourraient présenter des investigations sur les réseaux et installations présents en amont".
Les moyens invoqués quant à une carence des collectivités dans leurs obligations de contrôle des dispositifs d’assainissement sont également rejetés, le tribunal soulignant au contraire que le réseau de collecte a fait l’objet de plusieurs inspections et que toutes ont conclu à son bon fonctionnement.
Suppression du transfert obligatoire des compétences « eau et assainissement » vers les communautés de communes
La loi n° 2025-327 du 11 avril 2025 met fin fin au transfert obligatoire des compétences eau et assainissement à l’intercommunalité au 1er janvier 2026 pour les communes qui n’avaient pas encore transféré ces compétences. Ainsi une commune n’ayant donc pas transféré la gestion de l’eau et de l’assainissement à son intercommunalité au 11 avril 2025, dispose désormais de trois options : « conserver la compétence à l’échelle municipale, la déléguer à un syndicat intercommunal […] ou la transférer à la communauté de communes ». Il est même possible de créer à cet effet des syndicats intercommunaux infracommunautaires. Par ailleurs la loi instaure un mécanisme de solidarité entre communes voisines : lorsque le réseau public d’adduction et de distribution d’eau potable d’une commune connaît une rupture qualitative ou quantitative pour la première fois depuis au moins cinq ans, le maire peut demander à une commune voisine dont les réserves d’eau sont supérieures aux besoins estimés la mise à disposition d’eau potable. Lorsqu’elle accepte cette demande, la commune fournit gratuitement la ressource en eau et la commune bénéficiaire finance son acheminement. La commune donatrice est exemptée de toute contribution sur l’eau faisant l’objet du transfert gratuit.
Le prochain colloque de l’Observatoire se tiendra le 15 octobre 2025 : "Sécheresse, inondations, pollution : les collectivités territoriales face aux multiples défis de l’eau". Save the date !
Absence de lien de causalité entre les désordres et les installations privées d’assainissement
Les propriétaires affirmaient également que les problèmes provenaient d’un puits perdu qui collectait les eaux usées des systèmes d’assainissement privés des propriétés voisines.
Le juge écarte également l’argument. Il n’existe aucun élément permettant d’établir que les dispositifs privés d’assainissement n’auraient pas été raccordées au réseau collectif :
les requérants, s’ils invoquent notamment une possible pollution de leur terrain via notamment un puits perdu qui, selon eux, serait susceptible de recueillir les eaux usées provenant de l’assainissement privé des propriétés voisines, ne produisent à l’instance aucun élément de nature à établir que des installations individuelles d’assainissement situées dans le voisinage n’auraient pas été raccordées au réseau collectif et seraient à l’origine des pollutions et désordres constatés sur leur propriété, dont certains apparaissent d’ailleurs sans lien possible avec une pollution par les eaux usées.
Faute de pouvoir établir que les désordres résultent de manière directe et certaine du fonctionnement des réseaux publics et privés d’assainissement, les requérants ne peuvent rechercher ni la responsabilité de la commune ni celle de la communauté d’agglomération.
La demande d’expertise afin de déterminer les causes et l’étendue des désordres est également rejetée :
aucun lien de causalité direct n’est démontré par l’instruction entre les désordres affectant la propriété des requérants et les installations d’assainissement voisines publiques ou privées. Dans ces conditions, faute d’établir que la responsabilité d’une personne publique ou d’une personne privée en charge d’un service public est susceptible d’être engagée, M. et Mme A ne justifie pas de l’utilité de l’expertise qu’ils demandent au tribunal d’ordonner.
Puits et forages : tout n’est pas permis !
La création d’un ouvrage de prélèvement d’eau souterraine destinée à l’usage domestique doit obligatoirement être déclarée. Aux termes de l’article L.2224-9 du CGCT : "
Tout prélèvement, puits ou forage réalisé à des fins d’usage domestique de l’eau fait l’objet d’une déclaration auprès du maire de la commune concernée". Il appartient au propriétaire de demander à un laboratoire agréé par le ministère de la
santé une analyse de l’eau du puits ou du forage (article R2224-22-1 du CGCT). Les eaux destinées à la consommation humaine doivent (article R1321-2 du code de la santé publique) :
– ne pas contenir un nombre ou une concentration de micro-organismes, de parasites ou de toutes autres substances constituant un danger potentiel pour la santé des personnes ;
– être conformes aux limites de qualité, portant sur des paramètres microbiologiques et physico-chimiques, définies par arrêté du ministre chargé de la santé.
Aux termes de l’article L1321-1 du code de la santé publique, "Toute personne qui met à la disposition du public de l’eau destinée à la consommation humaine, à titre onéreux ou à titre gratuit et sous quelque forme que ce soit, y compris sous forme de glace alimentaire, est tenue de s’assurer que cette eau est propre et salubre."
Si un appoint du réseau public est nécessaire, les deux réseaux doivent être complétement déconnectés et ne peuvent en aucun cas être reliés entre eux. Par ailleurs "le fait de dégrader des ouvrages publics destinés à recevoir ou à conduire des eaux d’alimentation ou de laisser introduire des matières susceptibles de nuire à la salubrité dans l’eau de source, des fontaines, des puits, des citernes, conduites, aqueducs, réservoirs d’eau servant à l’alimentation publique, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende "(article L1324-4 du code
de la santé publique). Pour aller plus loin : Puits et forage domestique : les obligations et les contrôles (source : Service-Public.fr)
Merci aux éditions Lexis Nexis de nous avoir autorisés à publier le jugement téléchargé