Le portail juridique des risques
de la vie territoriale & associative
Image générée par l’IA

Bail commercial sur le domaine public : déclassement annulé, responsabilité engagée

Cour administrative d’appel de Marseille, 20 septembre 2024 : n°23MA01013

Image générée par l’IA

Une commune engage-t-elle sa responsabilité si elle consent un bail commercial sur une parcelle dont le déclassement du domaine public a été annulé quelques jours avant la conclusion du bail ?

 
Oui  : en concluant un bail commercial sur son domaine public, la commune engage sa responsabilité pour faute. Dans ce cas précis, la commune ne pouvait ignorer que le déclassement de la parcelle du domaine public avait été annulé par le juge. En effet, neuf jours avant de consentir ce bail, la commune avait reçu la notification du jugement du tribunal administratif annulant ce déclassement. La cour administrative d’appel de Marseille rappelle qu’en raison du caractère précaire et personnel des titres d’occupation du domaine public et des droits garantis au titulaire d’un bail commercial, un tel bail ne peut être conclu sur le domaine public. En conséquence de la conclusion illégale de ce bail commercial, la commune est condamnée à verser à la société exploitante d’un salon de coiffure un peu plus de 62 000 euros en réparation des préjudices subis.
 

En 2009, une commune, propriétaire d’un ensemble immobilier sur un port de plaisance, conclut un bail commercial de neuf ans avec une société exploitant un salon de coiffure et un magasin de vêtements et d’accessoires de mode. En 2018, la société demande le renouvellement du bail en vertu de l’article L.145-10 du code de commerce. La commune refuse, arguant que le local se trouve sur son domaine public.

 

La société, après avoir vainement demandé une indemnité à la commune, saisit le tribunal administratif de Nice. Elle soutient que la commune a commis une faute en concluant le bail initial, sachant que les parcelles concernées ne faisaient pas partie de son domaine privé à cette date.

En effet, la parcelle où se trouve le local a été déclassée en 2005, mais les délibérations du conseil municipal actant ce déclassement ont été annulées par un jugement du tribunal administratif en juillet 2009, confirmé par la cour administrative d’appel deux ans plus tard (CAA Marseille, 22/11/2011, N° 09MA03473).

 

La société réclame un peu plus de 260 000 euros en réparation des préjudices subis. Le juge de première instance retient la responsabilité pour faute de la commune mais écarte toute réparation de préjudice. La cour administrative d’appel de Marseille infirme ce jugement et condamne la commune à verser plus de 62 000 euros à la société.

 
 

La conclusion d’un bail commercial sur le domaine public engage la responsabilité pour faute de la commune

 
La conclusion d’un bail commercial sur le domaine public est interdite rappelle la cour administrative en reprenant la solution retenue par le Conseil d’État en 2014 :
 
« En raison du caractère précaire et personnel des titres d’occupation du domaine public et des droits qui sont garantis au titulaire d’un bail commercial, un tel bail ne saurait être conclu sur le domaine public. Mais lorsque l’autorité gestionnaire du domaine public conclut un " bail commercial " pour l’exploitation d’un bien sur le domaine public ou laisse croire à l’exploitant de ce bien qu’il bénéficie des garanties prévues par la législation sur les baux commerciaux, elle commet une faute de nature à engager sa responsabilité (CE, 24 novembre 2014 : n°352402).
 
Le bail commercial a bien été consenti sur le domaine public retient le juge. En effet, les parcelles de la commune ont été déclassées en 2005, mais ce déclassement a été annulé par le juge administratif en 2009. Et cette décision a été notifiée à la commune neuf jours avant la conclusion du bail. La commune ne pouvait donc ignorer, au moment de la conclusion du bail commercial, que le local faisait partie du domaine public.
 
« Eu égard au caractère précaire et révocable des titres d’occupation du domaine public et des droits qui sont garantis au titulaire d’un bail commercial, un tel bail ne pouvait pas, dès lors, être légalement conclu sur le domaine public ». 
Par conséquent, en concluant un bail commercial sur son domaine public, la commune a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.


Indemnisation des préjudices subis par la société

 
Le juge d’appel, contrairement au juge de première instance, condamne la commune à réparer certains préjudices.
 
« En conséquence de la faute commise par l’autorité gestionnaire du domaine public, l’exploitant peut prétendre, sous réserve, le cas échéant, de ses propres fautes, à être indemnisé de l’ensemble des dépenses dont il justifie qu’elles n’ont été exposées que dans la perspective d’une exploitation dans le cadre d’un bail commercial ainsi que des préjudices commerciaux et, le cas échéant, financiers qui résultent directement de la faute qu’a commise l’autorité gestionnaire du domaine public en l’induisant en erreur sur l’étendue de ses droits ».


L’indemnisation de la perte du fonds de commerce écartée

 
La société réclamait l’indemnisation de la perte de son fonds de commerce qu’elle évaluait à 173 000 euros. Cependant, « eu égard au caractère révocable et personnel d’une autorisation d’occupation du domaine public, celle-ci ne peut donner lieu à la constitution d’un fonds de commerce dont l’occupant serait propriétaire » rappelle le juge.
 
 
La loi Pinel permet, sous réserve de certaines conditions, l’exploitation d’un fonds de commerce sur le domaine public (Loi n°2014-626 du 18 juin 2014). Cette loi a introduit la possibilité d’exploiter un fonds de commerce sur le domaine public (article L.2124-32-1 du Code général de la propriété des personnes publiques). Mais certaines conditions doivent être satisfaites : 
  • le bénéficiaire de l’occupation doit disposer d’une clientèle propre ;
  •  l’exploitant qui occupe le domaine public doit être bénéficiaire d’une occupation depuis l’entrée en vigueur de la loi Pinel.

En effet, le Conseil d’État a précisé que ces dispositions ne sont applicables qu’aux fonds de commerce dont les exploitants occupent le domaine public en vertu de titres délivrés à compter de son entrée en vigueur. En conséquence, l’exploitant qui occupe le domaine public ou doit être regardé comme l’occupant en vertu d’un titre délivré avant cette date, qui n’a jamais été légalement propriétaire d’un fonds de commerce, ne peut prétendre à l’indemnisation de la perte d’un tel fonds CE, 24 novembre 2014 : n°352402.

 
Dans la décision du 20 septembre 2024, le juge d’appel relève que la société exploitant le magasin de coiffure et de vente de vêtement occupait le domaine public en vertu d’un titre délivré antérieurement à la loi Pinel. Par conséquent, elle n’a jamais été légalement propriétaire d’un fonds de commerce et ne peut donc prétendre à une indemnisation pour la perte d’un tel fonds.


Pas de préjudice moral

La société évoquait un préjudice moral, affirmant avoir été trompée par la commune. Elle soutenait que l’impossibilité de valoriser son fonds de commerce l’empêchait de prendre sa retraite, la contraignant à continuer de travailler à près de 70 ans. Cependant, ce préjudice n’est pas considéré comme indemnisable pour une personne morale.
 

En revanche sont indemnisés les préjudices suivants :

  • Préjudice résultant de l’indemnité versée pour la conclusion d’un bail commercial
La SARL a versé 50 000 euros à titre forfaitaire et transactionnel en contrepartie de la conclusion du bail, qui lui conférait la propriété commerciale conformément à l’accord transactionnel signé avec la commune. La société peut demander le remboursement de cette somme.
  • Préjudice résultant des honoraires de négociation et de rédaction du bail commercial
Ces frais, d’un montant avoisinant les 4000 euros, ont bien été engagés dans la perspective de l’exploitation d’un bail commercial, selon le juge.
  • Préjudice résultant de la souscription d’un prêt pour la réalisation de travaux
Le juge condamne la commune à rembourser à la société les montants des dépenses de travaux effectuées dans le commerce avant que la société exploitante ne sache que le bail ne serait pas renouvelé. Au-delà de cette date la société a pris le risque de s’exposer à un dommage prévisible.
 
La commune est finalement condamnée à verser un peu plus de 62000 euros en réparation des préjudices subis.
 
Dans un second arrêt rendu le même jour, la cour administrative d’appel de Marseille (CAA Marseille, 20 septembre 2024 : n° 23MA00888) retient

également la responsabilité pour faute de la même commune pour avoir laissé se poursuivre un bail commercial consenti en 2007, malgré le jugement du tribunal administratif de Nice de 2009 annulant le déclassement des parcelles. Concernant l’indemnisation des préjudices, sont écartés : 

  •  l’indemnisation de la perte du fonds de commerce évaluée à la somme de 460 000 euros ainsi que l’indemnisation de la somme restant due à la banque d’un montant de 285 749 euros dans le cadre de l’emprunt contracté pour l’acquisition de ce fonds de commerce ;
  • l’indemnisation des immobilisations corporelles.