Le portail juridique des risques
de la vie territoriale & associative

Inondations mortelles à la maison de retraite : l’importance cruciale du PCS rappelée

Tribunal correctionnel de Grasse, 24 mars 2024, N° 1607400.0011

Un maire peut-il invoquer le caractère non opérationnel du plan communal de sauvegarde (PCS) pour tenter de s’exonérer en cas d’inondations mortelles sur le territoire ? 

 
Non, l’élaboration du Plan Communal de Sauvegarde (PCS) relève de la responsabilité de la commune. Ce document est essentiel pour une bonne prévention des risques : "le PCS vise à une anticipation dans les procédures à suivre aux fins d’aider à la prise de décisions précises, rationnelles, coordonnées et efficaces, de sorte de ne pas être pris au dépourvu en cas de survenance d’un événement grave, de ne pas être laissé sans boussole, sans cadre des premiers réflexes à avoir". 
En cas de catastrophe, le juge vérifie non seulement si ce document a été élaboré, mais également s’il a été mis à jour et s’il correctement été mis en œuvre.
En l’espèce le tribunal correctionnel de Grasse retient la responsabilité pénale pour homicide involontaire de la maire en exercice au moment des faits (inondations mortelles ayant causé le décès de trois pensionnaires au sein d’une maison de retraite). Le tribunal reconnait que l’évènement climatique était d’une particulière intensité (165 mm de pluie en deux heures) et que les services de Météo France n’ont pris la pleine mesure du phénomène que lorsque l’épisode a atteint son paroxysme. Pour autant, il estime que l’élue a commis une faute caractérisée en ne mettant pas en œuvre le PCS :"la circonstance, pour un maire élu et connaissant un risque naturel spécifique bien identifié pour sa commune qui a subi de nombreuses inondations, d’ignorer totalement les mécanismes du PCS sensé précisément l’aider à la prise de décision dans l’intérêt de ses administrés en cas de survenance du risque constitue à l’évidence une faute, caractérisée qui a contribué au drame."
Le tribunal relève également "qu’en sa qualité de maire de la commune depuis 2014 mais également d’élue municipale depuis de nombreuses années jusqu’à être adjointe au maire entre 2006 et 2008, [elle] ne pouvait ignorer l’importance d’un Plan Communal de sauvegarde en tant que cadre obligatoire de mesures d’urgence à prendre et à suivre au niveau de la commune en cas de survenance d’une situation grave exigeant une action rapide des pouvoirs publics locaux".
L’Observatoire SMACL a obtenu copie de ce jugement instructif à plusieurs égards pour tous les acteurs de la prévention au sein des collectivités territoriales. Découvrez notre analyse approfondie de ce jugement définitif pour vous aider à dégager des axes de prévention pertinents au sein de votre collectivité. 
 
De violentes et soudaines inondations causent le décès en 2015 de trois pensionnaires d’une maison de retraite. La directrice de l’établissement, la société en charge de la gestion de l’établissement, un cadre territorial (responsable infrastructure assainissement et risque naturel et chargé de la cellule d’intervention technique dans le cadre du Plan Communal de Sauvegarde) et la maire de la commune sont poursuivis pour homicide involontaire.
 
Neuf ans après le drame, le jugement du tribunal correctionnel de Grasse, dont une copie a été obtenue par l’Observatoire SMACL, permet de comprendre la chronologie des événements et les responsabilités qui ont conduit à cette tragédie. Sa lecture est particulièrement riche d’enseignements pour tous les acteurs de la prévention au sein des collectivités territoriales. 
 

La chronologie des évènements

Les bulletins de vigilance de Météo France

Le samedi 3 octobre 2015, Météo France surveille un phénomène de pluies orageuses dans la Drôme, qui sera placée en vigilance orange dès 6 heures du matin. Au fil de la matinée, cet épisode orageux se déplacera d’ouest en est, plaçant les Alpes-Maritimes, ainsi que les Bouches-du-Rhône et le Var, en vigilance orange à partir de 11 heures.
 
Tout au long de la journée, Météo France diffusera pour les autorités et le public :

 7 cartes de vigilance pour inondations et pluies-inondations ;

 6 bulletins de vigilance du centre météorologique régional d’Aix-en-Provence.
 
À 16 heures, le troisième bulletin de Météo France maintiendra la vigilance orange pour les orages sur tous les départements du littoral méditerranéen, à l’exception de la Drôme. Il notera que les pluies actuelles sur le Var et les Alpes-Maritimes sont pour l’instant relativement faibles, mais qu’elles se déplaceront vers l’est, affectant sérieusement le Var puis les Alpes-Maritimes en soirée.
 
Les pluies commenceront à toucher l’ouest du Var à partir de 17 heures. À 18 heures, la vigilance orange pour les orages est maintenue, sauf pour la Drôme, avec une fin du phénomène prévue pour 23 heures.
 
Le phénomène s’intensifie à 20 heures lorsqu’il atteint le massif de l’Estérel, renforcé par une combinaison d’effet orographique (relief) et d’air chaud et humide en basses couches en provenance de la mer.

La ligne orageuse redouble alors d’intensité et une réactivation du système est observée
sur le sud du département des Alpes Maritimes entre 20h45 et 21 heures 30 avant
que celui-ci ne se décale lentement vers l’Est.
 

Ce phénomène météorologique se rapproche de la commune où se situe la maison de retraite sinistrée et y stagne de 20h45 à 21h30, générant des pluies de plus en plus intenses. La violence de l’événement atteint son apogée pendant cette période, frappant durement la commune. À 22 heures, l’épisode est considéré comme terminé sur le territoire national.

 

Les témoignages recueillis par l’enquête concordent sur un point culminant en début de soirée, où les pluies augmentent soudainement en violence et en intensité, atteignant un pic paroxystique, accompagnées de débordements et de coulées de boue.

 
Le responsable Météo France à la direction interrégionale Sud-Est explique ainsi le mécanisme de formation des orages :
 
« d’une part un moteur "la dépression" qui va venir se positionner sur la France et à l’avant de cette dépres­sion il y a le carburant "l’air chaud et humide" qui est alimenté par la méditerranée ( ... ) la confrontation de ces deux éléments en présence est générateur de mouve­ments verticaux ascendants. Ceux-ci vont générer les nuages. Avec ces mouvements il y a de la condensation de la vapeur d’eau. Dès lors ces mouvements importants vont créer des nuages orageux qui vont déclencher des précipitations ( ... ) Il y a des orages qui se forment partout, toutefois la situation de la région méditerranée est favorable à la création de tels systèmes, avec d’une part la présence de la méditer­ranée qui à l’automne et au début d’hiver constitue un réservoir d’énergie car il y a de la chaleur et de l’évaporation( ... ) tandis que le relief important depuis les Pyrénées, le bas du Massif central, les Alpes du sud et le relief provençal génère des orientations et des vents locaux qui font venir les courants ascendants. Le tout venant accentuer alors le phénomène ( ... ) La configuration géographique va alors être un facteur aggravant, entraînant des quantités de pluies supérieures à 100 ou 200 mm ». 
Il ajoute que la moyenne annuelle des pluies sur les Alpes Maritimes se situe « sur des cumuls annuels de 700 à moins de 1000 mm », et que « une pluie forte se définit par 10mm/heure. S’il tombe 40 mm/h il y a déjà en milieu urbain des inonda­tions de caves ou des premières interventions de pompiers  ». Or au coeur de l’épisode il est tombé 115 mm/heure à Mandelieu, 109 mm à Cannes et presque 200mm en cumul totaux sur l’épisode.
 
Sur la commune où se situe la maison de retraite sinistrée, il est tombé 165mm en cumul sur une période de 2 heures.
 
Il poursuit :
« ce qui caractérise cet épisode extrêmement intense, c’est que la quasi-totalité de ces pluies sont tombées en une heure et demi et deux heures (...) Ce sont des valeurs rares mais qui ont pu déjà être observées sur les régions méditerranées ». II précisera : « des cumuls en une heure, supérieurs à 110 mm ont été observés sur les 30 dernières années sur l’arc méditerranéen à neuf reprises ». 

Ne pas confondre bulletin de vigilance et alerte

Le même responsable insiste sur la différence entre un bulletin de vigilance et une alerte : "Il est impropre d’employer le terme« d’alerte » pour ce qui est émis par Mé­téo France. Météo France émet des bulletins de vigilance, le terme d’alerte est quant à lui mis en œuvre par les autorités préfectorales en direction des com­munes, puis des communes vers la population". Il explique la différence entre les quatre codes (vert, jaune, orange et rouge). 
L’événement est déjà sur site au moment où nous comprenons son intensité » ; « Ce phénomène tel qu’il nous apparait aujourd’hui a posteriori compte tenu de son intensité et de ses conséquences est un événement de vigilance rouge ». 
 
Il précise que pour cet épisode, jusqu’à 20h00, la vigilance orange était de mise. Ce n’est qu’à partir de 20h00 que l’évènement s’est accentué et a livré toute son ampleur. Ce n’est que lorsque l’événement est sur site que les services de Météo France en mesurent l’intensité. Avec le recul et les informations disponibles, il considère que ce phénomène, en raison de son intensité et de ses conséquences, constituait un événement de vigilance rouge.

 

  

Les alertes de la préfecture

Dans le département des Alpes-Maritimes un premier message vocal de la préfecture sera
diffusé à partir de 12h44 via le système automatisé d’appels VIAPPEL aux responsables
des 163 communes du département. Etabli par le Service Interministériel de Défense et de Protection Civile directement rattaché au cabinet du préfet de département, ce message sera le suivant :
 
 La préfecture des Alpes-Maritimes vous informe que METEO France a émis un
bulletin de vigilance météorologique de niveau ORANGE concernant le département à partir de ce iour à 14h » ; « Ies pluies orageuses montant en puissance au fil de cette journée de samedi sont annoncées » ; « Les précipitations seront par moment fortes en fin d’après-midi et dans la soirée de samedi » ; « lames d’eau prévues sur l’épisode : 60 à 100 mm fréquemment, localement 100 à 150 mm ; « Merci de bien vouloir prendre les mesures qui s’imposent en pareille situation »
Cinq personnes seront destinataires de ce message sur la commune sinistrée :
  • la maire ;
  •  la directrice générale des services (DGS) ;
  • le responsable des infrastructures et des risques naturels ;
  •  l’adjoint à la sécurité et aux risques naturel, le directeur de la police municipale.
Seuls les trois premiers accuseront réception du message en saisissant leur code d’accès. 
 

A 13h15, une Communication sur la page Facebook de la Préfecture informera du placement du département en vigilance ORANGE.

 

A 16h41 un nouveau message vocal sera lancé via VIAPPEL : « La préfecture des Alpes
Maritimes vous informe que le service de prévision ces crues méditerranée a émis un
bulletin de vigilance crue de niveau jaune concernant le fleuve Var amont et aval 
 ».

Mais ce dernier message ne concernera que le fleuve Var et la commune n’est pas directement concernée.

 

Le chef du service interministériel de Défense et de Protection Civile rattaché au cabinet du préfet [1] déclarera aux enquêteurs : « Le dernier bulletin Météo connu de la Préfecture date de 19 heures et il ne laisse pas présager ce qui va se passer derrière ». 

 

Les bassins de rétention dépassés, la caserne des pompiers inondée

Malgré d’importants travaux de canalisation et de recalibrage, la rivière locale sort de son lit. Les bassins de rétention, construits pour une capacité de 17 000 m³ et mis en service au printemps 2007 après de vastes travaux initiés à cause d’inondations antérieures, ne résistent pas. Cela provoque une vague de submersion d’eau et de boue qui se déversera en aval. Ce phénomène de débordement, couplé aux fortes pluies, intensifie l’effet de chaos soudain et précipité confirmé par tous les témoignages recueillis lors de l’enquête.

 

A 21H20 un policier municipal dresse le rapport suivant : "je constate que les trombes d’eau sont déjà au niveau de ma taille, à hauteur de mon ceinturon ; constatons immédiatement le danger réel pour les piétons et les automobilistes."

 
L’un de ses collègues mentionne de nombreux appels à l’aide de riverains, des appels au secours décrivant notamment la scène d’ un couple à bout de force accroché au grillage de sa propriété. 
 
Les casernes des sapeurs-pompiers et de la gendarmerie sont rapidement inondées. Un sapeur-pompier témoigne ainsi qu’à 21H38 il y avait un mètre d’eau dans la caserne mettant en évidence la vitesse alarmante à laquelle le niveau de l’eau a grimpé. Conséquences : le groupe électrogène a pris l’eau et la caserne était coupé de toute communication. 
 
Dans le même temps un flot s’engouffre dans l’EHPAD et inonde le rez-de-chaussée jusqu’à 1,25 de hauteur. 
 

Drame à la maison de retraite

Les témoignages de deux employées de l’EHPAD (une aide-soignante et une auxiliaire de vie) sont particulièrement édifiants et permettent de mieux saisir la violence et la rapidité du phénomène. 
 
L’aide-soignante explique qu’à son arrivée à 19h30, il a commencé à pleuvoir, nécessitant la fermeture des fenêtres des chambres pour empêcher l’eau de s’infiltrer. À 20h30, la directrice, absente ce jour-là, ordonne de fermer les portes anti-inondation. L’établissement en avait été équipé suite à une précédente inondation. Malgré l’application de cette consigne, l’eau commence à s’infiltrer sous les portes d’accès. Le personnel essaie de bloquer l’eau avec des draps, serviettes et serpillières, sans succès.
 
L’eau envahit le local infirmerie par les toits, et les lignes téléphoniques sont coupées. Soudain, un bruit fort retentit : l’eau jaillit d’une grille en face d’une chambre, montant rapidement jusqu’aux cuisses des employées.
 
Les deux employées tentent d’évacuer les deux pensionnaires les plus en danger, mais l’une d’elles résiste et refuse de partir. Subitement, la porte vitrée du couloir explose sous la pression de l’eau, bloquant la sortie avec des chariots. Dans l’obscurité et sans électricité, l’eau atteignant le buste, la seule échappatoire devient la fenêtre. Les employées parviennent à sortir en nageant, mais ne peuvent sauver les deux pensionnaires. Elles essaient d’appeler les secours, mais les communications sont impossibles. Finalement, des pompiers arrivent et certaines pensionnaires sont évacuées sur leurs lits... qui flottent, d’autres gagnent l’étage supérieur avec l’aide du personnel. Malheureusement, trois pensionnaires (âgées de 82, 91 et 94 ans) perdent la vie.
 

Des photographies attestent de la réalité d’une vague d’eau et de boue ayant pénétré dans le rez-de-chaussée de l’établissement. Il est possible de visualiser sur les murs de chaque chambre, la hauteur que l’eau et les boues ont pu atteindre cette nuit-là, révélant ainsi que les niveaux d’eau ont dépassé largement les lits de chacune des victimes qui sont mortes noyées. 

 
Le médecin coordonnateur de l’EHPAD, qui a établi les certificats de décès, indique qu’à cause des inondations il n’a réussi à rejoindre l’établissement qu’à 23h00 après avoir été appelé par l’infirmière à 21h30.
 

La chaîne des responsabilités

L’ouverture d’une information judiciaire sera décidée par le procureur de fa République de Grasse le 19 avril 2016 pour instruire sur d’éventuels faits d’homicides involontaires par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence. 
 

Le 4 juillet 2017 le neveu d’une résidente de l’EHPAD dépose plainte pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui. 

 

Le 18 mars 2019, le procureur de la République de Grasse adresse au juge d’instruction des réquisitions supplétives aux fins d’instruire contre X des faits de mise en danger d’autrui. 

 
A l’issue de l’instruction (clôturée le 25 mai 2022) sont renvoyés devant le tribunal correctionnel :
  • la maire de la commune en exercice au moment des faits pour homicide involontaire ;
  • le responsable des aménagements d’infrastructures contre les risques naturels au moment de l’événement pour homicide involontaire ;

  • la directrice de l’EHPAD des chefs d’homicide involontaire et de mise en danger délibérée de la vie d’autrui ;
  • la société société ORPEA, propriétaire de l’EHPAD, des chefs d’homicide involontaire et de mise en danger délibérée de la vie d’autrui.

Une causalité nécessairement indirecte 

En préambule le tribunal correctionnel rappelle le rôle principal du phénomène météorologique dans le décès des trois prévenus. S’appuyant sur les déclarations du responsable de Météo France, il souligne que l’épisode n’a pas été anticipé dans son intensité.
 
Le rôle principal de ce phénomène météorologique dans le décès, ce soir-là, de vingt personnes sur le département des Alpes-Maritimes n’étant pas contesté, il en résulte que l’appréciation définitive de la responsabilité pénale de chacun des quatre prévenus qui ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel de Grasse aux fins d’yrépondre de l’inondation mortelle de l’EHPAD (...) ne pouvait être faite que dans le cadre d’une analyse, non pas de fautes ayant causé directement un dommage, mais au prisme de fautes ayant participé à la réalisation du dommage dans toute son ampleur. 
Ainsi, pour juger de la culpabilité ou non des prévenus, le tribunal a été appelé à livrer son analyse sur la causalité indirecte d’éventuels manquements ayant conduit aux décès survenus au sein de l’EHPAD. 

Les quatre prévenus sont ainsi des auteurs indirects du dommage. Ce qui suppose [2] qu’une faute qualifiée puisse leur être imputée. Seuls les auteurs directs du dommage et les personnes morales peuvent en effet engager leur responsabilité pénale pour violences involontaires sur la base d’une faute simple. 

Un risque inondation sous-estimé

Avant d’examiner les responsabilités des prévenus, le tribunal souligne que la commune devait disposer d’un Plan de Prévention du Risque Inondation (PPRI) en application de l’article L562-1 du Code de l’environnement en raison de sa vulnérabilité avérée à ce risque, comme en témoignent plusieurs épisodes passés. Ce PPRI a bien été établi par les services de l’Etat en 1998 et approuvé par la commune. Mais il n’ a jamais été mis à jour depuis malgré deux inondcations ayant révélé des zones exposées.
 
Ainsi la maison de retraite est restée en zone bleue inondation et non zone rouge. Pourtant en 2005 l’établissement avait déjà été frappé par de violentes inondations qui avaient nécessité une sécurisation in extremis des résidents à l’étage. 
 
Cette sous-évaluation du risque inondation était partagée : 
  • les conventions tripartites Etat/Conseil général/EHPAD pour l’autorisation d’exploitation de celui-ci ne font aucune mention d’un risque inondation en dépit de plusieurs événements en 2005 et en 2011 ; 
  • depuis 1991, les 11 procès-verbaux de visite de I’établissement par la Commission Départementale de la Protection Civile, de la Sécu­rité et de l’Accessibilité rattachée à la préfecture, n’ont jamais mentionné une problé­matique de risque-inondation pour cette maison de retraite ; 
  • Entendue le 29 décembre 2015, l’inspectrice de l’action sanitaire et sociale à l’ ARS a confirmé les avis favorables à l’autorisation d’ex­ploiter en précisant qu’ « aucune mention n’était portée sur le risque inondation ». Elle a ajouté :
  J’ai découvert seulement après le sinistre que cet établissement était en zone inon­dable  ». 

La directrice de l’EHPAD relaxée

Il était reproché à la directrice de ne pas avoir respecté l’obligation de sécurité des résidents faute d’avoir appliqué les prescriptions :
  •  de l’arrêté AG05/l 54 du 20/10/2005 fixant les conditions de réouverture de la maison de retraite ; 
  • sur la conduite à tenir en cas d’alerte météo faisant craindre une inondation (maintien ou rappel d’un personnel suf­fisant pour réaliser l’évacuation des résidents à l’étage / fermeture préventive des portes anti-inondation / présence de 2 aides-soignants et 2 agents de services la nuit après l’évacuation).
Pour relaxer la directrice, le tribunal relève en premier lieu qu’elle n’était en poste que depuis un mois. Il ajoute qu’il n’est Il n’a pas établi qu’il appartenait à la directrice, "qui n’était pas en poste ce jour-là, de s’informer heure par heure d’une situation météorologique dont elle n’a reçu aucune information autre que celle que tout habitant de la région recevait par la seule et unique observation au moment où les pluies redoublaient, soit en début de soirée". 
 
En outre, il était reproché à la directrice de ne ne pas avoir respecté «  les prescriptions de l’arrêté AG05/154 du 20/10/2005 fixant les conditions de réouverture de la maison de retraite sur la conduite à tenir en cas d’alerte météo  ». Or cet arrêté prévoyait expressément que l’alerte météorologique devait être transmise dans un premier temps par fax, puis remise en mains propres par un policier municipal à un membre du personnel de l’établissement contre accusé de réception. Formalité qui n’a pas été respectée. 
 
Et le tribunal de souligner "que personne au niveau de la commune n’a informé l’EHPAD qu’une alerte météo avait été émise par les services de la préfecture dès 12h44 et tout au long de !ajournée, aucun avis ne sera adressé à l’EHPAD permettant le cas échéant aux responsables et personnels de l’établissement de prendre les premières mesures de précaution". 
 

Le responsable des aménagements contre les risques naturels relaxé

En tant que responsable des infrastructures d’assainissement et risque naturel et chargé de, la cellule d’intervention technique dans le cadre du Plan Communal de Sauvegarde de la commune (PCS), et après avoir reçu l’Alerte VIAPPEL il lui était reproché d’avoir : 

  •  délégué à un néophyte non habilité et ne détenant pas les codes d’accès RAINPOL le suivi de l’évolution du phénomène météo conduisant ainsi à ne pas anticiper ni suivre le phénomène météo via la plateforme RAINPOL pendant la phase critique ;
  • négligé la mise en œuvre du PCS.
Le tribunal le relaxe également :
 s’il est établi qu’il n’a pas utilisé ce jour-là les outils de Météo-France de suivi de l’épisode climatique mais un outil manifestement plus difficilement interprétable ainsi qu’il l’a reconnu lui-même, à savoir l’outil RAINPOL, il n’est pas non plus contesté qu’il a suivi tout au long du jour le phénomène climatique, et ce y compris quand il est parti à Nice assister à un événement sportif sans que, de toute façon, quiconque puisse raisonnablement rattacher à son absence pendant quelques heures de la commune (...) toutes les conséquences de cette tragédie ; 
son positionnement "dans l’architecture du PCS de la commune était particulièrement flou en ce qui concerne précisément une quelconque obligation mise à la charge de ce fonctionnaire de ce chef" ; 
Le positionnement flou du prévenu dans l’architecture du PCS est donc considéré, en ce qui le concerne, comme constituant une cause d’exonération. 
 
Ainsi la preuve d’une faute grave et qualifiée et la démonstration qu’il savait que son comportement exposait le cas échéant autrui à un risque qu’il ne pouvait pas ignorer ne sont pas démontrées. 
 

La société ORPEA relaxée

Il lui était reproché, en sa qualité de personne morale propriétaire de l’établissement, de ne pas avoir assuré la sécurité des résidents :

 
  • en n’appliquant pas les prescriptions de l ’arrêté AG05/154 du 20/10/2005 fixant les conditions de réouverture de la maison de retraite ; 
  • et en n’offrant pas aux salariés de formations spécifiques aux risques d’inondation, liés à l’emplacement de la maison de retraite.
Comme pour la directrice, le tribunal retient que l’alerte météo n’a pas été transmise à l’établissement et qu’il ne peut donc lui être reproché une violation de l’arrêté du 20 octobre 2005 fixant la conduite à tenir en cas d’alerté météo. 
 
Le tribunal estime qu’aucune faute qualifiée ne peut être retenue contre la personne morale. Ce faisant le tribunal commet une erreur de droit. En effet la responsabilité pénale des personnes morales peut être retenue sur la base d’une faute simple, l’exigence de faute qualifiée pour les auteurs indirects ne s’appliquant qu’aux personnes physiques [3].
 
Les éléments à décharge retenus par le tribunal n’en demeurent pas moins intéressants : 
 
  • jamais, depuis 1991, l’EHPAD n’avait fait l’objet d’une mention spécifique de risque mortel d’inondation par l’une ou l’autre des autorités administratives en charge des contrôles, vérifications, inspections et accréditations ;
  • aucune des conventions tripartites signées entre l’EHPAD et ses autorités administratives de tutelle n’a mentionné la moindre obligation de vigilance au risque inondation et obligeant notamment à une formation spécifique des salariés à ce risque ; 
  • l’EHPAD n’était pas situé en zone rouge inondable dans tous les documents cadastraux, en ce compris les_ documents de zonage du Plan de Prévention du Risque Inondation (PPRI) ;

  • dans un courrier en date du 29 avril 2011, les responsables de la commune ont écrit "au directeur de l’EHPAD de l’époque, et ce dans des termes particulièrement forts, qu’une « protection contre les crues du vallon des combes était désormais certaine depuis la construction finalisée d’un bassin de rétention et la calibrage du vallon".
La lecture du jugement suggère que les autorités ont considéré la construction des bassins de rétention comme un élément clé dans la gestion des risques, pouvant atténuer, de manière plus ou moins consciente, la nécessité d’autres mesures préventives, en particulier la mise en jour et la mise en œuvre du PCS. 
 

La maire condamnée

Des quatre prévenus, la maire est donc la seule à être condamnée. Il lui est reproché par le ministère public d’avoir omis :
  •  d’organiser la surveillance de l’EPHAD ou des habitations situées en zone habituellement inondable ; 
  •  de vérifier l’état du lit des cours d’eau ;
  •  de s ’assurer de l’entretien des bassins du vallon ;
  •  de faire enlever les embâcles [4] ;
  • de mettre en alerte les services ou le poste de commandement communal ;

  • la mise en oeuvre de mesures liées suite au déclenchement de l’alerte Orange ;

  • d’activer les cellules prévues par le Plan de Sauvegarde sur les niveaux d’alerte 1 et 2.

Pour sa part le tribunal retient "qu’en sa qualité de maire de la commune depuis 2014 mals également d’élue municipale depuis de nombreuses années jusqu’à être adjointe au maire entre 2006 et 2008, [elle] ne pouvait ignorer l’importance d’un Plan Communal de sauvegarde en tant que cadre obligatoire de mesures d’urgence à prendre et à suivre au niveau de la commune en cas de survenance d’une situation grave exigeant une action rapide des pouvoirs publics locaux". 
 
C’est bien là le principal grief fait à la maire de la commune, le tribunal insistant sur l’importance du PCS comme élément de prévention des risques :
 
Le PCS vise à une anticipation dans les procédures à suivre aux fins d’aider à la prise de décisions précises, rationnelles, coordonnées et efficaces, de sorte de ne pas être pris au dépourvu en cas de survenance d’un événement grave, de ne pas être laissé sans boussole, sans cadre des premiers réflexes à avoir. "

Le PCS est à cet égard obligatoire dans les communes qui sont dotées d’un PPRI (article L 731-3 CSI), comme c’est le cas pour la commune dont elle avait l’adminis­tration".

Dans le PCS de [Localité], approuvé par le conseil municipal de la ville le 16 avril 2009, le premier risque anticipé fixé sur la liste, avant même les feux de forêt, était bel et bien le risque inondation au vu des nombreux épisodes subis par la ville ne serait-ce que dans les deux précédentes décennies. Dès la partie« Présentation », le document rappelle ainsi que :  Toutes les communes ne sont pas soumises à l’obligation de se doter d’un PCS, mais seulement« les collectivités soumises à un Plan de Prévention des Risques Naturels, comme c’est le cas à [Localité] » ; 

➔ « Le PCS çoncerne essentiellement les deux risques naturels maieurs présents sur la ville de [Localité] : le risque d’inondation et le risque d’incendie de forêt ; 

 « Lors d’épisode pluvio-orageux intenses, la commune de [Localité] est soumise à un risque important d’inondations générées par le débordement des cours d’eau qui la traversent ; ces derniers sont notamment : la rivière La Brague et les Vallons de la Valmasque, des Combes et des Harts » ;

 « Les zones inondables ( .. .) couvrent environ 68 hectares, soit 4,3% du terri­toire communal et un bassin de population d’environ 1100 habitants » ; 

 Le PCS rappelle également les événements importants et nombreux d’inonda­ntion depuis 1987, soulignant qu’à 9 reprises entre 1987et 2005, la« commune de [Localité]a été classée en état de catastrophe naturelle pour des dommages causés par des inondantions » ; 

 Le PCS note encore : « le risque d’inondation à [Localité] est prépondérant de septembre à décembre » ;  Et il cible très précisément un lieu à risque. : « On ne compte qu’un seul éta­blissement recevant en permanence du public sensible dans les Zones inondables : Maison de Retraite ».

Pour sa défense, tout au long de l’enquête, de l’instruction et du jugement, la maire a souligné le caractère non opérationnel du PCS pour justifier son inapplication. L’argument peut surprendre car si l’élue avait conscience du caractère inopérant du plan, loin d’être une circonstance attenuéante, cela aurait pu au contraire être un élement à charge. Toujours est-il que le tribunal écarte l’argument en estimant que l’élue n’a apporté aucune démonstration convaincante en ce sens. 
 
Les démarches qui se focalisent sur une approche strictement documentaire et réglementaire conduisent à des PCS ou à des PICS peu opérationnels qui tombent rapidement dans l’oubli. Sans travail actif de diffusion et d’appropriation du PCS (avec une approche managériale), la connaissance du plan reste entre les mains d’un petit nombre d’acteurs qui peuvent ne pas être en charge de sa mise en œuvre en temps de crise. Les obligations réglementaires sont remplies sur le papier, mais le but est manqué dans le concret. Les collectivités peuvent s’appuyer sur l’expertise de structures dédiées à l’accompagnement des élus, telles que l’Institut des risques majeurs de Grenoble, qui propose des programmes de sensibilisation à la gestion de crise, des exercices de déclenchement de PCS, des formations média training,...
 
Le tribunal relève : 
 
La circonstance, pour un maire élu et connaissant un risque naturel spécifique bien identifié pour sa commune qui a subi de nombreuses inondations, d’ignorer totalement les mécanismes du PCS sensé précisément l’aider à la prise de décision dans l’intérêt de ses administrés en cas de survenance du risque constitue à l’évidence une faute, caractérisée qui a contribué au drame (...) ; 

Si [l’élue] avait connu et maitrisé le PCS de sa propre commune, elle aurait alors été immédiatement avisée des prescriptions obligatoires de celui-ci à savoir que dès la pré-alerte émise par le bulletin de la préfecture, il y avait lieu, par seul ordre de la loi et du règlement, de procéder à une « Mise en alerte des foyers implantés dans les zones inondables » ;

Or, rien n’a été fait âlors que le PCS édicte que : « Au titre de’ses pouvoirs de police, le maire a l’obligation de diffuser l’alerte auprès de ses concitoyens. Cette mission est essentielle dans le cadre du PCS ». « L’alerte doit pouvoir être réceptionnée par la commune de iour comme de nuit » ;

Il est apparu à cet égard que Madame [la maire] ne maitrisait pas même les seuils d’alerte.

Le tribunal pointe en suite une série d’éléments à charge, démontrant à ses yeux une indifférence coupable de l’élue à la sécurité de ses concitoyens :
 
  • L’absence de communication du nouvel organigramme aux autorités compétentes ; 
  • L’absence de recours aux outils de météo France pour le suivi de la crise ; 
  • L’absence de coordination avec ANTIBES, dont le rôle est pourtant clairement mentionné dans le schéma du PCS en ce qui concerne les seuils d’alerte ; 
  • La méconnaissance de son rôle de directeur des opérations de secours (DOS) ; 
  • la méconnaissance par l’élue des seuils d’alerte ;
  • le dysfonctionnement des sirènes d’alerte ;
  • l’absence de mise en place par la police municipale d’une vigilance particulière sur la maison de retraite. 
Et le tribunal de conclure :
 
l’ensemble de ces considérations commande de juger que Madame [la maire] a bel et bien commis une faute grave et qualifiée en sa qualité de Maire de la commune (...), qui a exposé autrui à un risque d’inondation connu et qu’elle ne pouvait pas ignorer et qui ; si elle n’a pas été la cause directe du dommage, a favorisé sa réalisation dans son ampleur telle que constituée par le décès de trois résidentes de l’EHPAD ; 
En effet, cette faute grave, constituée par la méconnaissance flagrante du PCS et un non­ respect assumé par elle jusqu’à l’audience de ses prescriptions obligatoires a, à l’évidence, compromis la nécessaire mise en alerte générale et à fortiori celle de l’établissement d’accueil de personnes âgées dont elle n’aurait pas dû ignorer qu’il demeurait sensible aux inondations. Ce même manquement a empêché de mettre en ordre de marche son administration, ses services et les équipes affectées à la sécurité publique pour gérer cet épisode météorologique qui était annoncé heure par heure ;
En méconnaissant ses obligations de maire de suivre les prescriptions du PCS de sa commune, Madame [la maire] a manqué de donner à ce vadémécum obligatoire de bonne conduite en situation de crise tout son intérêt, qui était celui d’anticiper et de gérer. 
 
Le tribunal souligne également que l’élue tout au long de l’enquête, de l’instruction, comme au cours des quatre journées de débat, "a entendu développer les éléments de réponse les moins aptes à permettre de considérer qu’elle a pris la pleine mesure de la faute grave et qualifiée qui lui étaient reprochée, justifiant dès lors la peine prononcée." En répression la prévenue est condamnée à un an d’emprisonnement avec sursis. 
 
En revanche sur le plan indemnitaire, le tribunal estime que la faute imputée à l’élue n’est pas détachable des fonctions en ce qu’elle est "demeurée manifestement non intentionnelle". Le tribunal renvoie donc les parties civiles à saisir les juridictions admnistratives. Il s’agit d’une application orthodoxe de la jurisprudence de la chambre crimininelle de la Cour de cassation qui considère qu’une faute non-intentionnelle, quelle que soit sa gravité, ne saurait constituer une faute personnelle détachable des fonctions. Il en avait par exemple été jugé de même dans le cadre des poursuites engagées après la tempête Xynthia sur les côtes vendéennes (Cour de cassation, chambre criminelle, 2 mai 2018, N° 16-83432). 
 
Cette affaire souligne l’importance d’une approche proactive et coordonnée pour la gestion des risques naturels et la protection des populations vulnérables. L’intérêt majeur du jugement du tribunal correctionnel de Grasse, très précis dans son analyse des faits et des responsabilités, est de rappeler toute l’importance du PCS comme élément cenrtral de prévention. Les faits de l’espèce démontrent aussi qu’il est capital d’anticiper tous les scénarii, notamment lorsque la caserne des sapeurs pompiers se trouve elle-même inondée. 
 

7 points clés à retenir

 


 

[1Qui a pour mission, sur décision de l’autorité préfectorale, de diffuser l’information de vigilance émise par Météo France en direction des 163 maires du département

[2A l’exception de la responsabilité de la société, personne morale.

[3La Cour de cassation a ainsi jugé que "la responsabilité de la personne morale n’est pas subordonnée à la caractérisation à la charge de ses organes ou représentants d’une faute entrant dans les prévisions de l’article 121-3, alinéa 4, du Code pénal"(Cass crim 14 septembre 2004, 03-86.159 )

[4barrages qui obstruent le lit d’un cours d’eau par amoncellement de débris divers, notamment de bois