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Sécurisation des bâtiments désaffectés et interdiction d’accès aux sites dangereux

Tribunal administratif d’Orléans, 4 janvier 2024 : n° 2101377

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La commune peut-elle engager sa responsabilité en cas d’intrusion sur un site désaffecté signalé comme étant particulièrement dangereux et interdit d’accès ? 

 
Oui, dès lors que le site crée une situation dangereuse pour la sécurité publique il appartient au maire d’ordonner les mesures indispensables pour faire cesser ce péril grave en usant de son pouvoir de police (articles L.2212-2 et L.2212-4 du code général des collectivités territoriales). Il est tenu notamment de signaler les dangers excédant ceux contre lesquels les intéressés doivent normalement, par leur prudence, se prémunir.

En l’espèce, le maire a commis une faute en ne prenant pas les mesures indispensables pour sécuriser le site et faire cesser le péril représenté par les intrusions. Ce site était particulièrement dangereux en raison notamment de l’état de délabrement de l’ensemble immobilier. Et les accès au lieu étaient facilités par l’absence de clôture et de grillage à plusieurs endroits. Les mesures prises par le maire (renforcement des contrôles des accès au site, creusement de tranchées pour empêcher le stationnement des véhicules, présence de panneaux « Danger de mort – Ne pas pénétrer) ne sont pas jugées suffisantes au regard du danger. 

Toutefois, le comportement imprudent de la victime qui s’est aventurée sur ce site qu’elle ne connaissait pas, en marchant rapidement dans l’obscurité et sous l’empire d’un état alcoolique caractérisé par la présence de 0,6 gramme d’alcool dans le sang, est de nature à exonérer la commune de la moitié de sa responsabilité

Parallèlement la responsabilité pénale du maire a été retenue, le tribunal correctionnel estimant que l’élu a commis une faute caractérisée (condamnation à six mois d’emprisonnement et à 2 000 € d’amende).

 
Lors d’une fête d’anniversaire, un groupe de jeunes décide d’organiser une "chasse aux fantômes" sur un site désaffecté [1]. Le bâtiment, racheté par la ville en 2013, était interdit d’accès. Des panneaux indiquaient « Propriété privée. Danger de mort ».
 
Malgré cet avertissement, les jeunes ont pénétré sur le site, en profitant d’un passage où le grillage était endommagé. Un des participants, âgé de 19 ans, s’est écarté du groupe et est tombé d’un escalier non muni d’une rambarde. Une chute de plus de 10 mètres, la tête en avant, lui a été fatale.
 
Ses parents et sa sœur recherchent la responsabilité de la commune propriétaire du site sur le fondement d’une carence du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police.
 
Les requérants réclament la condamnation de la commune à leur verser chacun la somme de 200 000 euros.
 

Une faute dans l’exercice des pouvoirs de police

 
Selon les parents, le site de l’ex-sanatorium est particulièrement dangereux et aucunement sécurisé. Ils reprochent au maire d’avoir méconnu l’obligation de faire usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L.2212-2 5° du Code général des collectivités territoriales.
 
Au contraire, la commune soutient que des mesures suffisantes ont été prises pour interdire l’accès de ce site et le sécuriser, dès son acquisition. Tel n’est pas l’avis du juge.
 
 

Un site dangereux pour la sécurité publique

 
 
La responsabilité d’une autorité détenant des pouvoirs de police, en particulier sur le fondement des dispositions des articles L.2212-2 et L.2212-4 du code général des collectivités territoriales, ne peut être engagée pour faute que dans le cas où, à raison de la gravité du péril résultant d’une situation particulièrement dangereuse pour le bon ordre, la sécurité ou la salubrité publique, elle n’a pas ordonné les mesures indispensables pour faire cesser ce péril grave et a ainsi méconnu ses obligations légales.
A cet égard, il appartient notamment au maire de signaler spécialement les dangers excédant ceux contre lesquels les intéressés doivent normalement, par leur prudence, se prémunir. »
 
Le juge considère que le site du sanatorium crée une situation dangereuse pour la sécurité publique :
  •  les immeubles du site sont en état de délabrement ; 
  •  leur structure a pu être fragilisée par endroits par les exercices de simulation de tremblement de terre réalisés par la sécurité civile, dans le cadre d’une convention conclue avec la commune.

 

Des mesures de sécurité insuffisantes

 
Ce site, destiné à la démolition, nécessitait des mesures de sécurisation. D’autant plus que la commune n’ignorait pas que l’endroit était très fréquenté, de nombreuses intrusions ayant eu lieu les trois dernières années précédant l’accident.
 
Or, l’existence d’un portail cadenassé comportant un panneau « propriété privée » au niveau de l’entrée du sanatorium ne suffit pas. Pas plus que le renforcement des contrôles de police des accès au site demandé par la commune, le creusement des tranchées destinées à empêcher le stationnement des véhicules ou encore l’édification de merlons pour empêcher l’accès des voitures ainsi que l’achat de panneaux « danger de mort – ne pas pénétrer ».
 
Ces mesures ne sont pas jugées proportionnées au danger susceptible d’être causé par l’accès à l’ensemble immobilier. Accès qui a pu d’ailleurs être facilité par l’absence de clôture et de grillage à plusieurs endroits caractérisant ainsi un défaut d’entretien du site. Et ce site n’était pas surveillé par un gardien.
 
Le juge relève enfin que, postérieurement à l’accident tragique, des mesures de sécurité supplémentaires ont été immédiatement décidées (installation de deux caméras de surveillance, pose de barrières, arrêté de verbalisation en cas d’intrusion et arrêté d’interdiction de stationner et de circuler le soir et le week-end).
 
Dès lors, « en s’abstenant de prendre les mesures indispensables nécessaires pour faire cesser le péril représenté par les intrusions sur le site du sanatorium, la commune (…) a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ».
 

Une faute de la victime de nature à exonérer la commune à hauteur de la moitié de sa responsabilité

 
Pour la commune l’imprudence fautive de la victime est de nature à l’exonérer de sa responsabilité.
 
Le comportement du jeune homme caractérise effectivement une faute : celui-ci « s’est rendu sur le toit d’un des bâtiments, où il a marché rapidement dans l’obscurité et dans un lieu qu’il ne connaissait pas ». Le rapport d’autopsie révèle par ailleurs que la victime était alcoolisée (0,6 gramme d’alcool dans le sang).
 
Cette faute exonère la commune de la moitié de sa responsabilité estime le tribunal administratif.
 
Compte tenu du partage de responsabilité, la commune est condamnée à verser 15 000 euros à chacun des parents et 7500 à la sœur de la victime au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence.
 

Responsabilité pénale du maire

 
Dans cette affaire, l’ancien maire de la commune a été condamné pour « homicide involontaire » à six mois de prison avec sursis et à 2.000 euros d’amende par le tribunal correctionnel de Chartres (décision du 1er décembre 2022 voir : Intrusions sur des sites dangereux : quelles responsabilités pour les élus et les collectivités en cas d’accident ?). Pour sa défense, l’élu indiquait avoir pris toutes les mesures qui lui paraissaient utiles pour interdire l’accès au site impossible à sécuriser à 100 % en raison de sa superficie (47 hectares) et soulignait que la victime était entrée en connaissance de cause et en infraction sur le site.
 
 
* Merci aux éditions Lexis Nexis de nous avoir autorisés à publier le jugement téléchargé sur Lexis360 intelligence (disponible sur abonnement)
 

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[1Il s’agit d’un ancien sanatorium d’un hôpital construit dans les années 1930 qui comporte huit corps de bâtiments sur une superficie de quarante hectares. Le site n’a plus été exploité à partir des années 1960 et il est devenu propriété de la commune en 2013