La responsabilité administrative : la faute de la victime comme cause d’exonération totale ou partielle
Depuis un arrêt du Conseil d’Etat de 1964 [1], les personnes qui s’introduisent même illégalement dans un ouvrage public sont considérées comme des usagers. Il serait certes plus logique de les considérer comme "tiers" mais la régime de responsabilité leur serait alors plus favorable, la responsabilité de la puissance publique étant engagée sans faute à l’égard des tiers.
L’analyse de la jurisprudence administrative démontre que toute responsabilité de la collectivité ne peut être écartée dans ce type de situations. Chaque cas d’espèce est bien entendu différent et le juge tient compte de circonstances propres à chaque accident. Illustrations avec quelques décisions :
❌ Le tribunal administratif de Nîmes (Tribunal administratif de Nîmes du 16 décembre 2022, n°2003828) a retenu la responsabilité d’une commune après la chute d’un adolescent qui était monté sur le toit d’une chaufferie municipale désaffectée afin de réaliser une vidéo avec des amis. Le tribunal considère que la commune, en tant que maître de l’ouvrage public, était tenue de prendre des mesures de sécurisation du site, en interdire l’accès et signaler le danger. En effet la chaufferie était située sur un site non clôturé, sans panneau d’interdiction d’y pénétrer ou avertissant du danger. En outre les ouvertures en façade principale n’ont été murées qu’après l’accident. Certes, poursuit le tribunal, la victime âgée de 16 ans, avait « nécessairement conscience du danger que représentait pour sa sécurité le fait de monter sur le toit en tôle d’un bâtiment désaffecté en mauvais état ». Et l’adolescent « ne saurait sérieusement se prévaloir de son inexpérience en matière d’escalade de toits. Cela aurait dû au contraire le conduire à s’abstenir d’une telle ascension » ! Pour autant la responsabilité de la commune est bien engagée pour un tiers des conséquences dommageables de l’accident. En effet la faute de la victime n’était ni imprévisible, ni irrésistible pour la commune puisqu’elle était informée que des mineurs fréquentaient régulièrement ce site. La commune ne peut donc pas soutenir que l’accident résulte entièrement de la faute commise par l’adolescent.
✅ La cour administrative d’appel de Douai ((Cour administrative d’appel de Douai, 2 octobre 2012, N° 11DA01921) a écarté la responsabilité d’une commune dans l’accident d’un adolescent qui s’était introduit de nuit, avec un copain, dans une école maternelle et avait chuté du toit sur lequel il était monté après s’être assis sur un skydome qui avait cédé sous son poids. Cette fois la responsabilité de la commune est écartée, les juges soulignant que, non seulement les deux mineurs ont pénétré, sans y avoir été autorisés, dans l’enceinte de l’école et ont pris l’initiative d’escalader le bâtiment, mais également qu’aucun élément de l’enquête ne permettait d’accréditer la thèse soutenue par la requérante quant à la réputation de ce lieu comme lieu de rassemblement des jeunes de la commune.
✅ La cour administrative d’appel de Lyon (Cour administrative d’appel de Lyon, 12 mars 2020, n° 18LY01680) a écarté la responsabilité d’une commune après la chute d’une personne qui avait franchi un grillage éventré, avait escaladé un mur d’un rempart pour atteindre le sommet d’une tour d’où il avait fait une chute de plus de 20 mètres. Atteinte d’un handicap permanent, la victime imputait sa chute au défaut d’entretien de l’ouvrage public et demandait à la commune 100 000 euros de de dommages-intérêts... Un témoin indiquait avoir vu le jeune homme, assis les jambes dans le vide, en haut de la tour au niveau des remparts de la ville, puis se mettre debout sur le mur et se laisser tomber, les bras écartés... Interrogée par les gendarmes, la victime contestait cette version et prétendait avoir chuté accidentellement. Le requérant soutenait qu’aucune faute ne pouvait lui être opposée étant atteint de troubles du discernement depuis plusieurs années, l’ayant conduit à de fréquents séjours en hôpital psychiatrique et à la prescription de médicaments indiqués dans le traitement de la schizophrénie et des épisodes maniaques modérés à sévères.
Les juges retiennent contre la commune un défaut d’entretien normal de l’ouvrage public. En effet, dans leur procès-verbal, les gendarmes ont constaté que s’il existait des grilles de protection interdisant l’accès à la partie supérieure de la tour, ce grillage était dégradé depuis plusieurs années par des jeunes pour leur permettre d’accéder et de se réunir en haut de cette tour. Les juges écartent l’argumentation de la commune qui soutenait avoir procédé à l’entretien régulier des remparts en produisant un relevé des interventions de ses services techniques. En effet il en ressort que la dernière intervention avant l’accident datait de 4 mois et avait simplement consisté en la réfection des joints des pierres du mur d’enceinte des remparts, sans aucune intervention sur le grillage défectueux.
Pour autant la cour administrative d’appel de Lyon écarte toute responsabilité de la commune. En effet la victime connaissait les lieux et ne pouvait ignorer les risques qu’elle prenait en grimpant jusqu’au sommet de la tour. Son comportement constitue de ce fait un usage anormal de l’ouvrage public et les préjudices subis du fait de sa chute sont exclusivement imputables à son imprudence.
La responsabilité pénale : une faute caractérisée est exigée
Pour que la responsabilité pénale pour homicide ou blessures involontaires d’un élu et/ou d’un agent, auteur indirect du dommage, puisse être engagée, encore faut-il établir l’existence :
– soit d’une violation de façon manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ;
– soit la commission d’une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité que l’élu et/ou l’agent ne pouvaient ignorer.
Dans le premier cas c’est la violation d’un texte précis imposant une règle particulière de sécurité est nécessaire, dans le second c’est la connaissance du risque par l’élu qui est déterminant.
❌ Le tribunal correctionnel de Chartres [3] a condamné un ancien maire pour homicide involontaire. En juin 2016, lors d’une fête d’anniversaire, un groupe de jeunes avait décidé d’organiser une "chasse aux fantômes" sur un site désaffecté. Le bâtiment, racheté par la ville en 2013, était interdit d’accès. Des panneaux indiquaient « Propriété privée. Danger de mort ». Malgré cet avertissement, les jeunes avaient pénétré sur le site, en profitant d’un passage où le grillage était endommagé. Un des participants, âgé de 19 ans, s’est écarté du groupe et est tombé d’un escalier non muni d’une rambarde. Une chute de 12 m, la tête en avant, lui a été fatale. Pour sa défense, l’élu indiquait avoir pris
toutes les mesures qui lui paraissaient utiles pour interdire l’accès au site impossible à sécuriser à 100 % en raison de sa superficie (47 hectares) et soulignait que la victime était entrée en connaissance de cause et en infraction sur le site. Le tribunal estime néanmoins que l’élu a commis une faute caractérisée et le condamne à six mois d’emprisonnement et à 2 000 € d’amende. Nous n’avons pas eu accès au jugement, ce qui nous invite à la prudence dans les commentaires. Les éléments recueillis dans les articles de presse peuvent néanmoins interpeller. En tout état de cause, ce jugement souligne l’importance de sécuriser les sites dangereux et de vérifier régulièrement que le grillage interdisant l’accès n’est pas détérioré.
De fait la non-sécurisation d’un site dangereux peut conduire à ce que des personnes s’aventurent sur le site, non par effraction, mais par inadvertance et soient victimes d’un accident.
❌ La cour d’appel de Colmar (Cour d’appel de Colmar, 6 novembre 2013, n° 13/01057 a ainsi retenu la responsabilité pénale d’une commune en qualité de personne morale [4] après la chute d’une jeune cycliste depuis un ancien bunker militaire non déclassé situé dans un parc communal. Il était reproché à la ville d’avoir enlevé une clôture interdisant l’accès à la zone dangereuse et de ne pas avoir mis en œuvre les mesures de prévention préconisées par une étude de sécurisation commandée à sa propre initiative. La ville objectait notamment que la victime avait commis une faute en s’aventurant de nuit dans une zone dangereuse non aménagée. L’argument est écarté, les juges soulignant l’absence de sécurisation des abords immédiats du bunker, et notamment l’absence de mise en place d’une signalisation pérenne et visible et d’un dispositif de protection contre les risques de chute ou d’accident caractérisant ainsi des fautes de négligence et d’imprudence. La victime n’était pas en mesure d’appréhender le danger, les panneaux interdisant l’accès au site par la piste cyclable n’étant pas suffisamment visibles (car placés trop haut) et étaient régulièrement volés. L’occasion de rappeler qu’à la différence des personnes physiques, la responsabilité pénale d’une personne morale ne nécessite pas la preuve d’une faute qualifiée.