Le portail juridique des risques
de la vie territoriale & associative

Chute mortelle dans une benne à la déchetterie : la collectivité responsable ou faute de la victime ?

Cour administrative d’appel de Douai, 2 novembre 2022 : n°21DA01556

Une communauté de communes peut-elle être tenue responsable de la chute d’un usager dans une benne de déchetterie alors que le garde-corps avait été retiré par un autre usager avant le passage de la victime ?

Oui, l’absence de garde-corps au moment de l’accident traduisant aux yeux du juge un défaut d’entretien normal de l’ouvrage public. La communauté de communes engage sa responsabilité faute pour elle d’avoir respecté les obligations en matière de prévention des chutes telles qu’imposées par l’arrêté du 26 mars 2012 applicables aux installations de collecte de déchets non dangereux. Le garde-corps n’ayant pas été remis en place sans délai par les agents présents sur place, les lieux n’étaient donc pas conformes aux prescriptions de l’arrêté au moment de l’accident.
Aucune imprudence ne peut être reprochée à la victime alors même qu’elle connaissait les lieux depuis plusieurs années et que le risque de chutes était signalé.

 [1]

Une usagère d’une déchetterie intercommunale chute dans une benne alors qu’elle y déposait des déchets végétaux. Elle décède des suites de ses blessures quelques semaines plus tard.

Soutenant que l’accident est imputable à un défaut d’entretien normal de l’ouvrage public, la sœur de la défunte recherche la responsabilité de la communauté de communes. Elle réclame un peu plus de 54 000 euros au titre du préjudice matériel et 500 000 euros pour le préjudice moral.

Absence même momentanée de garde-corps : défaut d’entretien normal

La cour administrative d’appel confirme le défaut d’entretien normal car les lieux au moment de l’accident n’étaient pas conformes aux prescriptions de l’arrêté du 26 mars 2012 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées relevant du régime de l’enregistrement au titre de la rubrique n° 2710-2 [2].
En effet, l’article 27 de cet arrêté impose des obligations en matière de prévention des chutes : 

« Les piétons circulent de manière sécurisée entre chaque zones possibles de dépôts de déchets.
I. ― Lorsque le quai de déchargement des déchets est en hauteur, un dispositif anti-chute adapté est installé tout le long de la zone de déchargement. Sur les autres parties hautes du site, comme la voie d’accès à la zone de déchargement, un dispositif est mis en place afin d’éviter notamment la chute de véhicules en contre bas.
Des panneaux signalant le risque de chutes sont affichés à divers endroits de ces zones ».

Or, au sein de la déchetterie, le garde-corps (amovible à l’époque de l’accident) destiné à prévenir les chutes dans la benne avait été retiré par un autre usager avant le passage de la victime.
Le juge sanctionne le manque de célérité des agents : « le garde-corps n’ayant pas été remis en place sans délai par les agents présents sur place, les lieux n’étaient, au moment de l’accident, pas conformes aux prescriptions de l’arrêté du 26 mars 2012 ».

🚧 Il a été jugé qu’un muret de 54 cm et de 40 cm de large bordant la plateforme accessible aux usagers ne pouvait être regardé comme un dispositif antichute au sens des dispositions de l’arrêté du 26 mars 2012 (CAA Lyon, 27 janvier 2022 : n°20LY00403). De même « la présence d’une margelle d’une hauteur de 37 cm sur toute la longueur du quai de déchargement, y compris sur sa partie ne faisant pas face aux bennes situées en contrebas, est insuffisante au regard du danger de chute, lequel aurait justifié la mise en place d’un garde-corps adapté et d’une signalisation appropriée conformément aux dispositions de l’arrêté » (CAA Lyon, 25 août 2020 : n°18LY04254).

Absence de faute de la victime

Contrairement au tribunal administratif, la cour administrative d’appel ne retient aucune faute de la victime, même partielle, de nature à exonérer l’EPCI de sa responsabilité. Le juge de première instance avait considéré que l’imprudence de la victime exonérait la communauté de communes à hauteur de 20 %.

Les juges d’appel considèrent que l’absence d’équipement anti-chute obligatoire est la cause exclusive de l’accident et qu’« aucune imprudence ne peut être reprochée à la victime alors même que celle-ci, qui était usagère depuis plusieurs années, connaissait les dangers inhérents au déchargement de déchets à la déchetterie et que le risque de chutes était signalé ».

🚨 Des poursuites pénales peuvent être aussi engagées


Des poursuites pénales pour homicide et blessures involontaires peuvent aussi être engagées dans ce type d’accident. Le tribunal correctionnel de La Rochelle, dans un jugement du 19 décembre 2019, a ainsi condamné une communauté de communes pour homicide involontaire. Un usager de la déchetterie, âgé de 78 ans, était tombé en approchant une benne qui n’était pas munie d’un garde-corps. Sa tête était restée coincée entre la benne et le mur. Il était décédé de ses blessures huit jours plus tard. Il est reproché à la collectivité de ne pas avoir équipé la déchèterie de garde-corps pour empêcher la chute d’une personne comme l’impose l’arrêté du 27 mars 2012 pour les quais en hauteur. Seule une bordure de 25cm était présente, destinée à retenir les véhicules. En raison de cette négligence, le tribunal condamne la collectivité à une amende de 30 000 € avec sursis, ainsi qu’une obligation d’affichage du motif et du dispositif du jugement sur le site internet de la collectivité pendant deux mois et l’obligation de publication de la décision dans l’édition d’un journal régional.

Postes de préjudice indemnisés

Le préjudice moral de la requérante est évalué à 20 000 euros (8000 euros avait estimé le tribunal). La sœur de la défunte justifie ce préjudice par les conditions particulièrement difficiles et pénibles dans lesquelles elle a perdu sa sœur avec qui elle vivait.

En revanche, le préjudice matériel n’est pas indemnisé.
Pour calculer le montant de son préjudice, la requérante faisait valoir que sa sœur lui versait mensuellement 200 euros par virement. En se basant sur l’espérance de vie moyenne établie à 85,6 ans par l’INSEE, elle demandait que son préjudice soit indemnisé à hauteur de 54 240 euros correspondant à 2400 euros annuels versés pendant les 22,6 ans lui restant à vivre. Les juges d’appel approuvent les juges de première instance d’avoir qualifié ce préjudice de simplement éventuel et de non certain, n’ouvrant ainsi pas droit à réparation.

La communauté de communes est en revanche condamnée à verser à la caisse primaire d’assurance maladie un peu plus de 64 000 euros.

Cour administrative d’appel de Douai, 2 novembre 2022 : n°21DA01556

[1Photo : Camilo Jimenez sur Unsplash

[2Installations de collecte de déchets non dangereux apportés par leur producteur initial.