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Attention aux cadeaux empoisonnés

Dernière mise à jour le 29 septembre 2022

L’Agence française anti-corruption (AFA) publie un guide pratique à destination des agents publics sur la problématique des cadeaux et invitations. Avec un postulat à garder en tête : dans le milieu professionnel un cadeau est très rarement désintéressé...

 [1]

Le principe : un agent public ne doit pas accepter de cadeaux ou d’invitation dans l’exercice de ses missions

C’est la règle de base à retenir pour tout agent public et tout particulièrement lorsque l’agent exerce des fonctions dans les procédures d’achat public, d’attribution de subventions, d’autorisations ou agréments, dans des fonctions d’inspection et de contrôle, de maintien de l’ordre, des activités de guichet.

Avec pour corolaire une règle simple et efficace (avec une exception pour les cadeaux protocolaires) : le retour à l’expéditeur accompagné du refus de façon courtoise mais ferme, en rappelant les principes déontologiques applicables.

Le guide de l’AFA recense ainsi des secteurs et fonctions particulièrement à risque :

• les fonctions dans le cycle de l’achat public ;
• les fonctions qui conduisent à attribuer des aides et subventions, dont les fonds européens ;
• les fonctions menant à la prise d’une décision administrative individuelle ou à délivrer des titres, autorisations ou agréments ;
• les fonctions conduisant à gérer des files d’attente (attribution de logements sociaux, de places en crèches, etc.) ;
• les fonctions d’inspection et de contrôle d’acteurs économiques ou publics ;
• les fonctions de tutelle sur les opérateurs ;
• les fonctions en contact avec les usagers du service public ;
• les fonctions impliquant une proximité avec le secteur privé ;
• les fonctions de gestion administrative des ressources humaines et paie : recrutement, rémunération et avantages accessoires ;
• les fonctions impliquant le maniement de fonds publics (régies notamment) ;
• les fonctions liées à la gestion des biens mobiliers de l’État (gestion des stocks, comptabilité matière…) ;
• les fonctions juridictionnelles ;
• les fonctions de maintien de l’ordre.

Pour ces fonctions, entre autres, un principe de non-acceptation de tout cadeau ou invitation émanant de personnes physiques ou morales concernées, de manière directe ou indirecte, par l’exercice des fonctions, doit être posé souligne l’AFA.

L’AFA insiste également sur l’importance d’interdire tout cadeau ou invitation pour le conjoint ou destiné aux proches d’un agent (ou d’un élu) :

« on doit envisager la prohibition formelle des cadeaux à la famille de l’agent ou à ses proches, susceptibles de dériver vers des pratiques ultérieures de corruption. Même dans le cas d’invitations à un spectacle (opéra, théâtre) où sont offertes usuellement deux places, il convient de garder à l’esprit que le coût d’un tel présent dépasse en principe le seuil raisonnable (ou d’excessivité) et, de surcroît, qu’une invitation à un événement se déroulant en dehors des horaires de travail laisse à penser qu’elle est sans rapport véritable avec l’exercice des missions ou de la fonction, donc dépourvue de justification. »

🎁Exemples de cadeaux listés par l’AFA qui peuvent poser difficultés


• cadeaux et invitations reçus de partenaires contractuels ou en phase de commande publique ;
• avantages financiers quelle que soit leur forme ;
• prestations de services ou travaux à titre gratuit (ou sous-évalués) ;
• repas d’affaires ;
• voyages ;
• billets pour des manifestations sportives, concerts, spectacles ;
• bons de réduction ;
• attribution de bourses d’études aux proches ;
• mise à disposition de véhicules et autres matériels ;
• mise à disposition gratuite de locaux ;
• mise à disposition de personnel au bénéfice d’un agent public ;
• embauches de complaisance de proches.

.

L’exception : certains cadeaux peuvent être acceptés mais en respectant des règles

A titre très exceptionnel, « la courtoisie, le protocole ou d’autres motifs professionnels peuvent ponctuellement justifier l’acceptation d’un cadeau ou d’une invitation » relève l’AFA. Il importe toutefois que cette acceptation soit encadrée par des règles claires et connues de tous. D’où l’importance de la tenue d’un registre des cadeaux et de la diffusion d’un guide de bonne conduite.

Ainsi est-il notamment le cas des cadeaux protocolaires qui sont assez répandus dans les fonctions de représentation : « ils ne peuvent, bien souvent, pas être refusés par principe afin de ne pas désobliger l’autorité qui les offre. Ils ne sont pas offerts en contrepartie d’une action de leur destinataire, mais peuvent impliquer un échange ou une réciprocité en application de règles coutumières ou de courtoisie. Les cadeaux protocolaires sont remis aux élus plutôt qu’aux agents publics, souvent à l’occasion d’événements institutionnels comme des échanges entre collectivités et, comme ils expriment la volonté d’honorer une institution par leur nature officielle, ils ne peuvent être refusés. En général, les chartes déontologiques des collectivités territoriales prévoient la remise de tels cadeaux à la collectivité » [et non à l’élu à titre personnel].

🎙Un podcast AFA/CNPFT


L’anticorruption expliquée aux agents publics : une série de 3 émissions radiophoniques élaborée avec le CNPT avec l’AFA. L’Observatoire SMACL est heureux d’y avoir modestement contribué en évoquant le hit parade des mauvaises excuses.

L’AFA évoque également la question des cadeaux de faible valeur. Ceux-ci peuvent être tolérés mais il faut rester très prudent note l’AFA.

Cette faible valeur, en tant qu’élément d’appréciation dans certaines situations non régulées pour un acteur public, peut prendre pour référence un certain montant monétaire. Elle devrait alors rester d’un niveau modéré.

Un guide de bonne conduite interne à la collectivité peut ainsi fixer un seuil maximal de valeur monétaire des cadeaux qui peuvent être reçus.

Cependant, souligne l’AFA, « cette option est à considérer en veillant à éviter l’écueil consistant à laisser penser qu’en deçà d’un certain montant, le principe du refus serait systématiquement levé. En effet, dans cette hypothèse, un tel seuil laisserait entendre qu’un cadeau serait acceptable en toute circonstance en fonction de son montant, ce qui ne peut être le cas par exemple en phase de passation d’un marché ou pour certains métiers ».

De fait l’appréciation du seuil maximal acceptable reste subjective et les membres du groupes de travail qui ont participé à l’élaboration du guide ont fait état de diversité d’avis et de pratiques (entre 20 € pour un département et 150 € pour un ministère). Certaines collectivités ou certains acteurs publics fixent aussi des seuils en cas de cumul de cadeaux ou invitations pour un même agent et en provenance de la même source (par exemple 50 euros). A cet égard l’AFA insiste sur « le fait qu’un acteur public décidant de recourir à un seuil devra veiller à limiter autant que possible les ambiguïtés, en précisant la manière dont il doit être compris et utilisé (éventuel cumul de seuils, pluralité de cadeaux ou invitations en deçà des seuils émanant du même auteur sur une période donnée, exclusion dans certaines circonstances etc.). »

🔎La position de la chambre criminelle de la Cour de cassation sur les cadeaux


Pour la chambre criminelle de la Cour de cassation ce qui compte c’est moins l’importance du cadeau que l’intention de celui qui donne. C’est ainsi que la Cour de cassation a jugé dans l’affaire de l’Arsenal de Toulon, pour confirmer la condamnation d’un dirigeant, que “le prévenu a offert ou vendu, divers objets à des prix très avantageux, à certains agents (...), qu’il a invités à de nombreuses reprises au restaurant” et “que, dans le même temps, il a obtenu, par l’intermédiaire de ces agents, en avril 1995, de nombreux marchés de fourniture et de maintenance”. Dès lors, il est manifeste “que le prévenu n’a procuré ces avantages aux agents précités qu’en considération de l’influence réelle ou supposée qu’il leur prêtait dans l’attribution des commandes ou marchés relevant de leur compétence et en exécution du concert frauduleux nécessairement préalable existant au sein de la DCN entre les parties, les avantages versés, avant ou après l’attribution de ces commandes ou marchés n’ayant d’autre objet que de récompenser les actes passés ou à venir”.

“Offres, promesses, dons, présents ou avantages quelconques” nous dit l’article 432-11 du code pénal. En l’espèce, les avantages reçus ont été variables selon les prévenus : sommes d’argent (de 150 euros à plus de 30 000 euros), voyages (séjours au club Med mais aussi à Paris pour visiter une foire-exposition ou en Italie pour découvrir une usine), cadeaux divers (pièces mécaniques de bateau, bouteilles de plongée, montre, tickets d’autoroute...), prêt d’un camion pour un déménagement, rabais importants pour des achats personnels, invitations aux restaurants...

La cour de cassation confirme à cet égard que des “menus cadeaux” (une bâche en nylon et un filet brise-vent pour une valeur maximale de 100 euros) peuvent suffire à caractériser la corruption dès lors qu’ils n’ont été donnés que “dans le seul but de faire bénéficier par l’intermédiaire de cet agent de plusieurs commandes ou achats sur factures”.

Ainsi, ce qui compte, c’est moins l’importance du cadeau que l’intention du donateur : celui-ci cherche-t-il par son don à obtenir une faveur de la part du fonctionnaire ? Comme par ailleurs cette intention peut se déduire de l’obtention concomitante d’un marché ou d’une décision favorable, autant dire qu’élus et fonctionnaires doivent être vigilants à ne pas se faire piéger : invitations au restaurant, petits cadeaux, rabais concédés pour des achats personnels... peuvent caractériser autant d’indices accréditant a posteriori l’existence d’un pacte de corruption.

A cet égard, on ne saurait trop conseiller aux élus et aux fonctionnaires, sinon d’éviter d’avoir recours à des fins privées à des entreprises qui travaillent pour le compte de la collectivité qui les emploie, tout au moins de payer leurs achats ou prestations au “prix public” et de conserver une trace écrite de leurs paiements : obtenir un rabais, c’est prendre le risque que celui-ci soit interprété, non comme le fruit d’un talent personnel de négociation, mais comme la manifestation d’une entente corruptrice.

Les bonnes pratiques générales

Le guide de l’AFA recense et donne des conseils pratiques pour mettre en oeuvre des bonnes pratiques au sein des administrations et des collectivités :

• le code de conduite ;
• le registre de déclaration des cadeaux ou invitations, en veillant à ce que son éventuelle mise en place ne soit pas excessivement coûteuse ou complexe ;
• la déclaration sur l’honneur annuelle de non-acceptation ;
• le guide de sensibilisation des agents publics avec des exemples concrets.
• la formation des agents ;
• le retour d’expérience à destination des agents après contrôle ;
• le don ;
• le retour à l’expéditeur ;
• la conservation ou l’exposition provisoire du cadeau.

Se poser les bonnes questions


Pour mieux analyser le risque de corruption l’AFA liste les questions à se poser :

→ Qui offre ou propose un cadeau ou une invitation ?
→ Quelles sont les fonctions et missions du récipiendaire ou de l’invité potentiel ?
→ Quelles sont les caractéristiques du cadeau, ou de l’invitation en termes de moment, de nature, de valeur ou de fréquence ?
→ Existe-t-il pour l’agent public un risque de créer une situation de redevabilité à l’égard du tiers, notamment du fait du caractère personnalisé du cadeau ou de l’invitation ?
→ L’agent public concerné par cette proposition se sent-il à l’aise à l’idée d’en parler autour de lui ?

Le guide de l’AFA propose ensuite deux fiches pratiques :
1° Un rappel des grands principes déontologiques et des lignes directrices à suivre dans la réflexion sur la conduite à tenir face à un cadeau ou une invitation (Fiche n° 1) ;
2°Une présentation du risque pénal et des potentielles sanctions disciplinaires associés à l’acceptation ou à l’offre d’un cadeau ou d’une invitation (Fiche n° 2).

Le guide de l’AFA souligne également le rôle central du référent déontologue.
Il est en effet chargé d’apporter à tout agent public (fonctionnaire ou contractuel) qui le demande, des conseils utiles au respect des principes déontologiques de la fonction publique, dont le principe de probité et l’exigence de faire cesser les situations de conflit d’intérêts. ace à une situation soulevant un doute ou une interrogation au regard des principes déontologiques, un agent public peut utilement se tourner vers le référent déontologue désigné dans sa structure et recueillir auprès de lui tout conseil pour connaître les comportements à proscrire et les bons réflexes à adopter.
Cela suppose qu’il soit connu et identifié et que les modalités pour le contacter et le saisir soient connues. Rappelons que depuis la loi du 20 avril 2016 la désignation d’un référent déontologue est obligatoire dans toutes les communes (fonction qui peut être mutualisée au niveau du centre de gestion), tout fonctionnaire ayant le droit de le consulter.

💥Depuis la loi 3 DS (loi n° 2022-217 du 21 février 2022) tout élu local peut consulter un référent déontologue chargé de lui apporter tout conseil utile au respect des principes déontologiques consacrés dans la Charte de l’élu local.

Le cas des invitations à déjeuner

Le principe est le même que pour les cadeaux : il doit être « interdit, même en l’absence de contrepartie illégale, d’accepter une offre de repas (même avec des collègues) pendant l’instruction d’un dossier concernant la partie invitante, pendant la consultation préalable à la passation d’un contrat de la commande publique ou pendant une opération d’expertise ou de contrôle, etc.
En outre, les invitations à un repas ne peuvent être acceptées si elles n’ont pas un caractère strictement ponctuel. La hiérarchie doit être informée pour décider, le cas échéant, de la participation financière de l’agent. »

💥La Cour de cassation (Cour de cassation chambre criminelle, N°03-88.040) a confirmé la condamnation d’un agent poursuivi pour corruption passive. L’un des éléments retenus à charge contre le fonctionnaire était le fait pour une entreprise attributaire d’avoir financé le repas de fin d’année d’une amicale dont le fonctionnaire était adhérent (Dessous de table et financement associatif : même corruption !

« S’agissant des invitations à déjeuner, un agent public peut accepter un repas dont le coût excède significativement celui prévu par les taux des indemnités de mission, à la seule condition qu’il s’agisse d’une mission de représentation (de l’institution publique ou d’un supérieur hiérarchique), ou encore si le repas est organisé après ou en marge d’un conseil d’administration, d’une autre instance de gouvernance, d’un colloque ou atelier d’experts. »

L’AFA reconnaît que « refuser une invitation présentant un intérêt professionnel ou pour la mission particulière de l’agent peut, dans certains cas, présenter un inconvénient pour le service ».

Il faut alors « encadrer les règles d’acceptation par des dispositions précises : accord ou information systématique de la hiérarchie, avis du référent déontologue, règles d’alternance des personnes ou organisations proposant les invitations (réciprocité ou source différente des invitations), etc.
En fonction du critère professionnel lié à la finalité d’une invitation à déjeuner, le supérieur hiérarchique doit pouvoir apprécier si une invitation est nécessaire à l’exercice de la mission et à quelles conditions elle peut être acceptée.

Dans certains cas, il peut être de bonne pratique d’éviter, autant que la confidentialité des dossiers le permet, de se rendre en tête à tête à un déjeuner de travail (par exemple, en se faisant accompagner par un agent compétent du service pour éviter un risque de confidences ou d’atteinte à l’indépendance). Une prise en charge par le service sur ordre de mission et note de frais est ici encore possible et à décider par le chef de service. »

Article 432-11 du code pénal [2]


« Est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 000 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction, le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public, ou investie d’un mandat électif public, de solliciter ou d’agréer, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour elle-même ou pour autrui :

1° Soit pour accomplir ou avoir accompli, pour s’abstenir ou s’être abstenue d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat ;

2° Soit pour abuser ou avoir abusé de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d’une autorité ou d’une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable.

La peine d’amende est portée à 2 000 000 € ou, s’il excède ce montant, au double du produit de l’infraction, lorsque les infractions prévues au présent article sont commises en bande organisée. »

Télécharger le guide pratique de l’AFA (renvoi sur le site internet de l’AFA)

[1Kira auf der Heide sur Unsplash

[2Modifié par la loi n°2020-1672 du 24 décembre 2020 - art. 30