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Arsenal de Toulon : les leçons d’un système de corruption

Cass crim 10 mars 2004 N° de pourvoi : 02-85285

Une vingtaine de prévenus, plus de cinquante pages d’arrêts,… On aurait tort de se laisser décourager par les méandres de l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la cour de cassation le 10 mars 2004 ! Sa lecture est même fortement recommandée à tout praticien de la commande publique.

Les faits

Au delà du caractère médiatique de cette affaire et de l’importance de certains enrichissements personnels constatés, voilà en effet des précisions importantes dans la répression du trafic d’influence et du favoritisme. Et voilà comment des juridictions répressives peuvent condamner, sur leur patrimoine personnel, des agents publics au paiement de dommages-intérêts.
En 1996, un ancien mécanicien de la Marine nationale dénonce auprès de la gendarmerie maritime de Toulon les agissements d’une entreprise, accusée de pratiques peu orthodoxes afin d’obtenir des commandes publiques : la boite de Pandore est ouverte !
Suite à ces révélations, l’enquête montre que plusieurs employés de la Direction de la construction navale (DCN) favorisaient certains fournisseurs dans l’attribution de commandes ou de marchés publics, en échange de compensations financières.
Corrupteurs et corrompus présumés sont renvoyés devant le tribunal correctionnel des chefs, suivant les cas, de trafic d’influence commis par un particulier ou par une personne exerçant une fonction publique, atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics, escroquerie, abus de biens sociaux, faux et usage et recel de certains de ces délits.


Les peines prononcées

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence confirme la condamnation de tous les prévenus (agents de l’Etat et entrepreneurs) dans un arrêt rendu le 15 mai 2002 :

• Alain Y..., pour trafic d’influence, favoritisme, faux, usage de faux, recel d’abus de biens sociaux, à 10 mois d’emprisonnement avec sursis et 1 500 euros d’amende ;

• Michel F..., pour trafic d’influence, favoritisme, recel d’abus de biens sociaux, à 3 mois d’emprisonnement avec sursis ;

• Gilles D..., pour trafic d’influence et favoritisme, à 8 mois d’emprisonnement avec sursis, 1 500 euros d’amende et 5 ans d’interdiction des droits de vote et d’éligibilité ;

• Daniel T..., pour trafic d’influence, favoritisme et recel, abus de biens sociaux, escroquerie, abus de confiance, à 18 mois d’emprisonnement dont 1 an avec sursis et 7 500 euros d’amende

• Alain P..., pour trafic d’influence, favoritisme et recel, abus de biens sociaux et usage de faux, à 8 mois d’emprisonnement avec sursis, 7 500 euros d’amende et 5 ans d’interdiction des droits de vote et d’éligibilité ;

• Philippe J..., pour trafic d’influence, favoritisme, escroquerie, recel d’abus de biens sociaux, à 6 mois d’emprisonnement avec sursis ;

• Yves R..., pour trafic d’influence, à 3 mois d’emprisonnement avec sursis et 5 ans d’interdiction du droit de vote et d’éligibilité ;

• Lucien E..., pour trafic d’influence, recel d’abus de biens sociaux, à 8 mois d’emprisonnement avec sursis et 5 ans d’interdiction des droits de vote et d’éligibilité ;

• Jean-Pierre B..., pour trafic d’influence, favoritisme, recel d’abus de biens sociaux, à 3 mois d’emprisonnement avec sursis ;

• Jean-Marc H..., pour trafic d’influence et usage de faux, à 6 mois d’emprisonnement avec sursis, 3 000 euros d’amende et 5 ans d’interdiction des droits de vote et d’éligibilité ;

• Michel O..., pour trafic d’influence, recel d’abus de biens sociaux, à 18 mois d’emprisonnement avec sursis, 4 500 euros d’amende et 5 ans d’interdiction des droits de vote et d’éligibilité ;

• Jacques Z..., pour trafic d’influence passif, usage de faux et abus de biens sociaux, à 6 mois d’emprisonnement avec sursis, 4 500 euros d’amende et 5 ans d’interdiction des droits de vote et d’éligibilité ; et qui a prononcé sur les intérêts civils ;

• Guillaume X..., pour trafic d’influence, recel de favoritisme et abus de biens sociaux, à 8 mois d’emprisonnement avec sursis, 4 500 euros d’amende et 5 ans d’interdiction des droits de vote et d’éligibilité ;

• Ange I..., pour trafic d’influence et abus de biens sociaux, à 1 an d’emprisonnement avec sursis, 7 500 euros d’amende et 5 ans d’interdiction des droits de vote et d’éligibilité ;

• Jean-Paul L..., pour trafic d’influence, abus de biens sociaux, recel de favoritisme, à 10 mois d’emprisonnement avec sursis, 7 500 euros d’amende et 5 ans d’interdiction des droits de vote et d’éligibilité ;


Dénonciation anonyme

Les prévenus invoquaient la nullité de la procédure au motif que l’enquête préliminaire avait été ouverte sur la base d’une dénonciation anonyme et sur des moyens de preuves frauduleusement obtenues. Ils relèvent en effet que la personne qui avait révélé les faits et dont l’identité a été communiquée en cours de procédure était un stagiaire de l’une des sociétés lequel aurait photocopié clandestinement des documents d’opérations commerciales.

La cour de cassation approuve les premiers juges d’avoir écarté ce moyen de nullité dès lors que les déclarations anonymes au début de la procédure ont justifié l’ouverture d’une enquête préliminaire et que, dès lors, “les documents invoqués dont la réalité n’est pas contestée, se révèlent dès lors superfétatoires”.


Corruption et trafic d’influence

Passible de 10 ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende, le trafic d’influence passif est réprimé au même titre que la corruption passive par l’article 432-11 du code pénal.

Ces deux infractions sont fondées sur le même mécanisme d’échange de “bons” procédés (l’obtention de faveurs en échange d’avantages “quelconques”) mais se distinguent selon que la faveur demandée rentre dans les attributions de l’agent soudoyé ou si ce dernier sert simplement d’intermédiaire :

 il s’agit d’une corruption si “l’agent est conduit à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte de sa fonction, sa mission ou son mandat” ;

 il s’agit d’un trafic d’influence lorsque “l’agent est conduit à user de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d’une autorité ou d’une administration publique toute décision favorable” (distinctions, emplois, marchés...).


Pacte de corruption

Pour qu’il y ait corruption ou trafic d’influence il faut une entente, un pacte entre un corrupteur et un corrompu. Jusqu’à l’adoption de la loi du 30 juin 2000, il était nécessaire de démontrer l’antériorité du pacte de corruption sur l’acte ou l’abstention qu’il avait pour objet de rémunérer. Les faits de l’espèce étant antérieurs à cette réforme législative certains prévenus ont fait valoir que le délit n’était pas caractérisé dès lors qu’une telle antériorité n’était pas en l’espèce démontrée. Cet argument est rejeté par la Cour de cassation. Il faut dire que bien avant la loi du 30 juin 2000, la cour de cassation considérait que “le caractère d’antériorité de la convention conclue entre le corrupteur et le corrompu résulte suffisamment du fait que les avantages reçus ont été consentis de façon régulière (ou réitérés) pendant la période pendant laquelle ont été commis les faits constitutifs de corruption, de telle sorte qu’ils ont nécessairement précédé les agissements du corrupteur et déterminé le corrompu”. C’est sur ces bases qu’est notamment confirmée en l’espèce la condamnation d’un dirigeant d’une entreprise corruptrice qui avait bénéficié, entre 1993 et 1995 de commandes publiques (achats sur facture, appel d’offre de réparation de pompes de 3 millions de francs, marché à bon de commande de 2 millions de francs).

Il est à noter à cet égard que le pacte de corruption ne doit pas nécessairement être explicite entre les parties. Il peut se déduire d’éléments de fait notamment de la concomitance entre l’obtention de marchés et les avantages octroyés aux agents, ce qui peut remettre en cause certaines pratiques commerciales. C’est ainsi qu’en l’espèce la cour de cassation relève pour confirmer la condamnation d’un autre dirigeant que “le prévenu a offert ou vendu, divers objets à des prix très avantageux, à certains agents de la DCN, qu’il a invités à de nombreuses reprises au restaurant” et “que, dans le même temps, il a obtenu, par l’intermédiaire de ces agents, en avril 1995, de nombreux marchés de fourniture et de maintenance”. Dès lors, il est manifeste “que le prévenu n’a procuré ces avantages aux agents précités qu’en considération de l’influence réelle ou supposée qu’il leur prêtait dans l’attribution des commandes ou marchés relevant de leur compétence et en exécution du concert frauduleux nécessairement préalable existant au sein de la DCN entre les parties, les avantages versés, avant ou après l’attribution de ces commandes ou marchés n’ayant d’autre objet que de récompenser les actes passés ou à venir”.


Menus cadeaux

“Offres, promesses, dons, présents ou avantages quelconques” nous dit l’article 432-11 du code pénal. En l’espèce, les avantages reçus ont été variables selon les prévenus : sommes d’argent (de 1000 francs à plus de 200 000 francs), voyages (séjours au club Med mais aussi à Paris pour visiter une foire-exposition ou en Italie pour découvrir une usine), cadeaux divers (pièces mécaniques de bateau, bouteilles de plongée, montre, tickets d’autoroute...), prêt d’un camion pour un déménagement, rabais importants pour des achats personnels, invitations aux restaurants...

La cour de cassation confirme à cet égard que des “menus cadeaux” (une bâche en nylon et un filet brise-vent pour une valeur maximale de 650 francs) peuvent suffire à caractériser la corruption dès lors qu’ils n’ont été donnés que “dans le seul but de faire bénéficier par l’intermédiaire de cet agent de plusieurs commandes ou achats sur factures”.

Ainsi, ce qui compte, c’est moins l’importance du cadeau que l’intention du donateur : celui-ci cherche-t-il par son don à obtenir une faveur de la part du fonctionnaire ? Comme par ailleurs cette intention peut se déduire de l’obtention concomitante d’un marché, autant dire qu’élus et fonctionnaires doivent être vigilants à ne pas se faire piéger : invitations au restaurant, petits cadeaux, rabais concédés pour des achats personnels... peuvent caractériser autant d’indices accréditant a posteriori l’existence d’un pacte de corruption.

Ainsi, en l’espèce, la Cour de cassation a approuvé les premiers juges d’avoir condamné l’un des fournisseurs en relevant que “ce dernier a invité au restaurant un certain nombre de préparateurs de commandes ou acheteurs exerçant dans l’unité de production Diesel de la DCN, qu’il leur a offerts divers objets et qu’il a, dans le même temps, bénéficié, par l’intermédiaire de ces agents, de plusieurs commandes”. Dès lors “il est manifeste que le prévenu n’a versé ces avantages auxdits agents qu’en considération de l’influence réelle ou supposée qu’il leur prêtait dans l’attribution des commandes ou marchés relevant de leurs compétences”.

A cet égard, on ne saurait trop conseiller aux élus et aux fonctionnaires, sinon d’éviter d’avoir recours à des fins privées à des entreprises qui travaillent pour le compte de la collectivité qui les emploie, tout au moins de payer leurs achats ou prestations au “prix public” et de conserver une trace écrite de leurs paiements : obtenir un rabais, c’est prendre le risque que celui-ci soit interprété, non comme le fruit d’un talent personnel de négociation, mais comme la manifestation d’une entente corruptrice.


Temps d’avance et offre modifiée

Un entrepreneur est condamné pour recel de favoritisme, s’agissant d’un marché de près de trois millions de francs portant sur un remplacement de vannes du porte avions Foch et la constitution d’un stock magasin en vue des réparations à venir.

Les premiers juges déduisent l’obtention d’informations privilégiées du fait que, 10 jours avant l’officialisation de la demande d’approvisionnement, le fournisseur en question s’est fait attribuer l’exclusivité de ces vannes auprès du fabriquant alors même que jusqu’ici il n’avait jamais livré la moindre vanne à l’arsenal !

En outre, il ressort des pièces du dossier que l’entrepreneur a bien participé à une réunion au cours de laquelle, non seulement la définition des besoins de la commande a été modifiée, mais encore l’offre de prix de la société revalorisée de 50 %, pour se caler par rapport aux prix de la concurrence” !

La cour de cassation approuve cette condamnation en constatant “qu’il est manifeste que le prévenu a bénéficié d’informations privilégiées et qu’avant tout commencement d’exécution de la commande, il a reçu un acompte dans des conditions contraires à l’article 155 du Code des marchés publics”.


Aides coupables à l’élaboration d’une offre

L’un des volets de cette affaire concerne un militaire qui a favorisé trois entreprises différentes, en communiquant à la première les caractéristiques techniques du matériel souhaité, en initiant la seconde dans l’art et la manière de réaliser un bon devis, en invitant des salariés de la troisième à visiter l’arsenal.

La défense argue d’informations distillées dans l’intérêt du service, en vue d’obtenir une offre plus pertinente. Autant d’arguments rejetés d’un revers de manche : “Les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit de favoritisme dont elle a déclaré le prévenu coupable”.

Il faut en conclure que tous les éléments à charge retenus contre le prévenu sont jugés pertinents et que tous ses moyens de défense sont jugés inopérants. Ce d’autant plus que la Cour de cassation n’a pas hésité pour d’autres prévenus à relever que l’infraction n’était pas suffisamment caractérisée et cassé sur ce point l’arrêt de la Cour d’appel.

Ces motifs de condamnations soulignent l’extrême prudence dont doivent faire preuve les élus et les fonctionnaires en matière de marchés publics : délivrance d’informations techniques, aides à l’élaboration des devis ou des réponses aux cahiers des charges, essais de matériels... peuvent être autant d’éléments caractérisant aux yeux du juge une rupture d’égalité entre les candidats.


Condamnation solidaire et paiement aux dommages-intérêts

C’est là que se situe sans aucun doute l’intérêt principal de l’arrêt. En effet, l’Etat s’est constitué partie civile et a demandé la condamnation solidaire des prévenus, y compris ses propres agents, en vue de la réparation de son préjudice matériel (1 372 795 euros, excusez du peu !) ainsi que son préjudice moral évalué à 8 500 euros.

Les magistrats de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence ont fait droit à cette demande en relevant que les faits imputés aux agents de l’Etat “sont d’une exceptionnelle gravité, caractérisée par la vénalisation de leurs fonctions dans leur intérêt personnel au détriment de la collectivité publique” et “qu’il s’agit là de fautes qui, bien que commises à l’occasion de l’exécution du service, constituent des fautes personnelles, détachables de l’exercice de leurs fonctions, ouvrant le droit pour l’Etat de réclamer la réparation de son préjudice”.

Ils poursuivent en constatant que “même si la pertinence des observations formulées par les prévenus, sur l’incurie et la "cécité" volontaire des organes directionnel de la DCN et des plus hautes autorités de l’Etat qui n’ont pas jugé opportun de remédier aux graves dysfonctionnements des différents services de l’Arsenal de Toulon, stigmatisés dans le "rapport Henric" du 15 décembre 1993, est partagée par la Cour, ceux-ci ne peuvent prétendre pour autant à un partage de responsabilité au motif que la partie civile aurait largement concouru à la réalisation du préjudice dont elle demande réparation dès lors que l’auteur d’une infraction est tenu à la réparation intégrale du dommage qui en résulte pour la victime à laquelle aucune faute n’est imputée”.

Les prévenus contestaient devant la Cour de cassation cette position en relevant que :

 “le litige relatif à la réparation du préjudice causé à l’Etat par des fautes détachables du service commises par ses agents relève de la compétence des juridictions administratives, de sorte que si l’Etat peut exercer l’action civile pour soutenir l’action publique dirigée contre un des ses agents auteur d’une faute personnelle lui ayant causé un préjudice, il ne peut obtenir de la juridiction répressive devant laquelle cette action est exercée l’indemnisation de ce dommage”.

 en tout état de cause, quand bien même les juridictions répressives seraient compétentes, encore faudrait-il que celles-ci appliquent les principes du droit public lesquels “commandent que la contribution finale de l’administration et de l’agent soit réglée compte tenu de l’existence et de la gravité des fautes respectives des agents et de l’Administration”. Ils en concluent en conséquence qu’en “refusant d’examiner la part de contribution susceptible de revenir à l’Etat du fait du dysfonctionnement de ses services dont elle a elle-même, de manière expresse, reconnu l’existence, la cour d’appel a violé le principe précité”.


Les attendus de principe de la Cour de cassation

Les attendus de la Cour de cassation parlent d’eux-mêmes et méritent par leur exemplarité d’être repris in extenso :
“Attendu que, pour condamner [les prévenus] à verser, à l’Etat, à titre de dommages-intérêts, les sommes mentionnées aux moyens, la cour d’appel énonce que l’atteinte aux intérêts matériels de l’Etat est constituée par la valeur des avantages indûment versés et acceptés et le surcoût financier résultant de l’intégration de cette valeur dans le prix des biens et services fournis par les bénéficiaires des commandes publiques et par le paiement de fournitures et travaux non exécutés ou surfacturés ;

Qu’elle ajoute que le caractère systématique et généralisé du trafic d’influence et les infractions de favoritisme, escroqueries, faux et usage de faux qui lui sont associées, ont nécessairement faussé le jeu de la concurrence et la recherche du meilleur emploi des deniers publics ;

Qu’elle retient également que l’Etat est fondé à demander réparation de son préjudice moral, résultant des délits de trafic passif d’influence et favoritisme commis par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions, dès lors que ces agissements, détachables de la fonction à l’occasion de laquelle ils ont été commis, jettent le discrédit sur l’ensemble de la fonction publique, affaiblissent l’autorité de l’Etat dans l’opinion publique et lui causent un préjudice personnel direct ;
Que, pour justifier la condamnation solidaire des prévenus au paiement des dommages-intérêts, les juges relèvent que les sociétés dirigées par les prévenus avaient "tissé une pieuvre ou un labyrinthe" destiné à leur permettre d’accéder aux marchés de la DCN et dont Philippe 5..., "qui avait constitué un réseau dans tous les sens, en interne et en externe", était la plaque tournante ;

Attendu qu’en statuant ainsi, par des motifs relevant de son pouvoir souverain d’appréciation quant au montant des indemnités allouées et d’où il se déduit que le même dommage n’a pas été indemnisé deux fois, la cour d’appel, qui a caractérisé l’existence d’un préjudice moral distinct de l’atteinte à l’intérêt social, ainsi que la connexité des faits reprochés aux prévenus, a justifié sa décision ;
Qu’en effet, d’une part, les juridictions pénales sont compétentes pour apprécier, à la suite de sa condamnation pénale, la responsabilité de l’agent d’un service public à raison des fautes personnelles détachables de la fonction, lorsque l’Administration exerce, aux fins de réparation, les droits de la partie civile prévus par les articles 2 et 3 du Code de procédure pénale ;

Que, d’autre part, aucune disposition de la loi ne permet de réduire, en raison d’une négligence de la victime, le montant des réparations civiles dues à celle-ci par l’auteur d’une infraction intentionnelle contre les biens ;
D’où il suit que les moyens doivent être écartés”.


Charge de la réparation et favoritisme

Cet arrêt de la Cour de cassation doit être rapproché d’un arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux rendu le 28 mai 2004 (n°03/01052) qui mérite également d’être souligné : la Cour y condamne pour favoritisme le président d’un syndicat intercommunal mais considère que les faits qui lui sont reprochés “ne peuvent constituer une faute détachable du service dès lors qu’il n’a pas agi dans une intention malveillante, ni pour satisfaire un intérêt personnel étranger au service”. Et la cour de renvoyer la partie civile à mieux se pourvoir devant les juridictions administratives.

On peut ainsi avancer qu’en matière de favoritisme la compétence des juridictions judiciaires à condamner le prévenu au paiement des dommages-intérêts est fonction des circonstances de l’espèce : le prévenu a-t-il eu ou non une intention malveillante et/ou cherché à satisfaire un intérêt personnel étranger au service ? Si oui (comme dans l’espèce jugée par la Cour de cassation le 10 mars 2004), les juridictions pénales sont compétentes à condamner les agents à indemniser ; sinon (comme dans l’espèce jugée par la Cour d’appel de Bordeaux) seules les juridictions administratives sont compétentes pour statuer sur l’indemnisation des victimes.