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Imputabilité au service d’un cancer du poumon : après réexamen la collectivité peut abroger sa décision

Tribunal administratif de Bordeaux, 16 mars 2022, N° 2002223

Une commune qui a reconnu l’imputabilité au service du décès d’un agent d’un cancer du poumon peut-elle, après réexamen de la situation, décider d’abroger cette décision ?

Oui. La décision par laquelle l’administration reconnaît qu’une maladie est imputable au service crée des droits au profit de ce fonctionnaire. Dès lors, sauf en cas de fraude, l’administration ne peut retirer cette décision que dans le délai de quatre mois suivant l’intervention de cette décision si elle est illégale. Mais rien n’interdit en revanche à l’administration de « décider de l’abroger lorsque les conditions qui ont conduit à reconnaître l’imputabilité de cette maladie au service ne sont plus réunies. Il en va notamment ainsi, comme en l’espèce, lorsque l’administration, après un réexamen de la situation de l’état de santé du fonctionnaire ou des causes de la maladie de ce dernier, estime que lien de causalité entre la maladie et le service n’est pas ou n’est plus établi. »

En l’espèce la commune avait, après avis favorable de la commission de réforme et sur la base des certificats médicaux, reconnu initialement l’imputabilité au service de la maladie de l’agent en raison de son exposition professionnelle aux goudrons de houille et silice alors qu’il était agent technique de voirie. Mais après réexamen de la situation, elle n’a pas fait droit ensuite à la demande indemnitaire de la famille de la victime. Le tribunal donne raison à la commune dès lors qu’il résulte du rapport d’expertise judiciaire que le décès de l’agent était imputable à un cancer dit « non à petites cellules » dont la première cause est le tabagisme de l’intéressé, qui a consommé une moyenne d’un paquet de cigarettes par jour pendant trente ans.

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Un fonctionnaire territorial, employé à la voirie, décède d’un cancer des poumons. Un certificat médical établi par le chef du service de médecine du travail et de pathologies professionnelles retient un rapport entre le cancer de l’agent et son exposition professionnelle aux goudrons de houille et silice alors qu’il était agent technique de voirie de 1975 à 1988, en référence au tableau 16 bis du régime général de la sécurité sociale.

Après avis favorable de la commission de réforme en 2016, la maladie est reconnue comme étant imputable au service.

Son épouse sollicite auprès de la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) le bénéfice d’une rentre viagère d’invalidité, prévue par les dispositions de l’article 37 du décret 11° 2003-1306 du 26 décembre 2003. Par une décision du 21 juin 2017, la CNRACL rejette la demande, ce que valide le tribunal administratif de Bordeaux par jugement définitif du 23 février 2021.

Le 3 février 2020 l’épouse de l’agent et ses trois enfants adressent une réclamation indemnitaire à la commune, qui est implicitement rejetée. Il demandent au tribunal de condamner la commune à les indemniser des préjudices subis.

Le tribunal administratif les déboute en apportant plusieurs précisions.

1° Une décision créatrice de droits

Il résulte des dispositions de l’article 57 de la loi du 26 janvier 1984 que lorsque la maladie d’un fonctionnaire a été contractée ou aggravée dans l’exercice de ses fonctions, ce dernier conserve l’intégralité de son traitement jusqu’à ce qu’il soit en état de reprendre son service ou jusqu’à sa mise à la retraite et bénéficie du remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par cette maladie.

« La décision par laquelle l’administration reconnaît que cette maladie est imputable au service crée ainsi des droits au profit de ce fonctionnaire. Dès lors, sauf en cas de fraude, l’administration ne peut retirer cette décision que dans le délai de quatre mois suivant l’intervention de cette décision si elle est illégale. »

2° Mais la collectivité peut décider d’abroger la décision après réexamen de la situation

L’administration peut en revanche , « décider de l’abroger lorsque les conditions qui ont conduit à reconnaître l’imputabilité de cette maladie au service ne sont plus réunies. Il en va notamment ainsi, comme en l’espèce, lorsque l’administration, après un réexamen de la situation de l’état de santé du fonctionnaire ou des causes de la maladie de ce dernier, estime que lien de causalité entre la maladie et le service n’est pas ou n’est plus établi. »

Or en l’espèce, poursuit le tribunal, les travaux effectués par l’intéressé comme agent de voirie n’entrent pas dans la liste limitative des travaux définis par le tableau 16 bis comme susceptibles de provoquer un cancer broncho-pulmonaire primitif. La commune a certes, après avis favorable de la commission de réforme et sur la base des certificats médicaux, reconnu initialement l’imputabilité au service de la maladie de l’agent. Toutefois, il résulte du rapport d’expertise judiciaire du 29 mai 2019 que le décès de l’agent est imputable à un cancer dit « non à petites cellules » dont la première cause est le tabagisme de l’intéressé, qui a consommé une moyenne d’un paquet de cigarettes par jour pendant trente ans.

L’expert indique par ailleurs qu’aucune anomalie médicale n’a été relevée dans les suites des fonctions exercées par l’agent de 1975 à 1988 en qualité d’agent technique à la voirie pour la commune. Au demeurant, souligne le tribunal, « s’il n’est pas contesté que ces fonctions ont impliqué pour certaines tâches une exposition aux goudrons de houille et de silice, les requérants n’établissent pas les circonstances ni la fréquence de l’exposition de l’intéressé à ces substances ».

Enfin selon l’expert judiciaire, il n’est pas établi que cette exposition aurait participé à l’aggravation de l’état de santé de l’agent. Peu importe que l’expert judiciaire n’établit pas avoir consulté des collègues pneumo-cancérologues, les éléments apportés par les requérants ne suffisent pas à remettre en cause son appréciation et ses conclusions selon lesquelles la maladie dont l’agent a été victime n’a pas pour origine directe et certaine les fonctions qu’il a exercées entre 1975 et 1988 pour la commune.

Tribunal administratif de Bordeaux, 16 mars 2022, N° 2002223 (PDF)

[1Photo : Stephen Hocking sur Unsplash