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Elu d’opposition diffamé dans le journal municipal : responsabilité civile personnelle du maire ?

Cour de cassation, Chambre criminelle, 18 janvier 2022, N° 20-86.203

Un maire peut-il engager son patrimoine personnel pour indemniser le préjudice moral d’un élu d’opposition reconnu victime de diffamation après la publication d’un article dans le bulletin municipal ?

Potentiellement oui. Encore faut-il que les juges retiennent à son encontre l’existence d’une faute personnelle détachable. En l’espèce les juges d’appel avaient condamné le maire à verser sur ses deniers personnels 3000 euros au plaignant (un élu d’opposition qui avait fait l’objet d’un article jugé diffamatoire dans le bulletin municipal) mais sans caractériser à son encontre l’existence d’une faute personnelle détachable. Il appartiendra à la cour d’appel de renvoi de statuer conformément au droit. L’occasion de rappeler que l’existence d’une faute personnelle ne suppose pas nécessairement un enrichissement personnel ou la recherche d’un intérêt personnel. D’où l’importance pour les élus de penser à souscrire une assurance personnelle qui les couvre dans l’exercice de leurs fonctions.

 [1]

Un maire (commune de plus de 10 000 habitants) publie un article dans le journal municipal signé par les 25 élus de la majorité municipale. La tribune vise, sur un ton sarcastique et sur le thème de Star Wars, l’ancien adjoint au finances qualifié de « Jedi de l’empire du bien » :

« Mais pourquoi celui qui se rêve en lanceur d’alerte du nouveau monde, s’évertue-t-il de la sorte ? Serait-ce pour bâtir une nouvelle virginité en détournant les regards de son réel bilan depuis 1989 ? Devant ces provocations incessantes, il est grand temps de révéler le côté obscur de sa force en livrant ce que nous avons découvert de la gestion de cet ancien 1er adjoint aux finances. Il y a tout d’abord l’acquisition d’un iMac 3442 euros pour l’ancien maire, appareil aujourd’hui disparu de la mairie. Des smartphones et des abonnements téléphoniques pris en charge par la ville pour des élus pourtant dotés d’indemnités. Certaines entreprises (...), livrant avant les fêtes des paniers de victuailles à l’oligarchie locale. En échange de quoi ? Nous ne saurions le dire, mais on est bien loin de la moralisation de la vie publique si chère à M. [C] »

L’élu d’opposition, réplique par une plainte avec constitution de partie civile contre les vingt-cinq signataires de la tribune. Après instruction, le maire est renvoyé devant le tribunal correctionnel. Il est condamné pour diffamation publique à 1 500 euros d’amende, et à la publication du jugement (dans le journal municipal et sur le site internet de la commune), ce que confirme la cour d’appel de Versailles.

Les juges d’appel condamnent également le maire au civil à verser sur ses deniers personnels 3000 euros au plaignant en réparation de son préjudice moral. Le maire objecte qu’il ne peut être condamné sur ses deniers personnels en l’absence de faute personnelle détachable.

L’occasion pour la chambre criminelle de la Cour de cassation de rappeler le grand principe de base :

« Les tribunaux répressifs de l’ordre judiciaire ne sont compétents pour statuer sur les conséquences dommageables d’un acte délictueux commis par l’agent d’un service public que si cet acte constitue une faute personnelle détachable de ses fonctions. »

Or, « en se reconnaissant ainsi compétente pour statuer sur la responsabilité civile d’un maire qui s’exprimait dans une publication communale, dont il est, en outre, ès-qualités, le directeur de publication, sans rechercher si la faute imputée à celui-ci présentait le caractère d’une faute personnelle détachable du service, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et le principe rappelé ci-dessus ».

Il appartiendra donc à la cour d’appel de renvoi de rejuger l’affaire conformément au droit.

💥Attention : cela ne signifie pas que le maire ne pourra pas être condamné sur ses deniers personnels si les juges de la cour d’appel de renvoi estiment qu’il a commis une faute personnelle détachable. En effet la caractérisation d’une faute personnelle détachable ne signifie pas nécessairement que l’élu fautif ait recherché un intérêt personnel.

Une faute jugée d’une particulière gravité peut caractériser une faute personnelle et rendre l’élu redevable sur ses derniers personnels(Conseil d’Etat, 30 décembre 2015, N° 391798 & N° 391800).

Ainsi la chambre civile de la Cour de cassation (Cour de cassation, chambre civile 1, 25 janvier 2017, N° 15-10852) a annulé un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence qui avait exclu la responsabilité civile personnelle d’un maire recherchée par un propriétaire mécontent d’un refus d’allotir. L’administré avait obtenu gain de cause devant les juridictions administratives mais demandait au maire de l’indemniser personnellement de son préjudice résultant du retard pris dans les travaux. Les juges du fond avaient écarté la responsabilité civile personnelle du maire en soulignant l’absence de tout intérêt personnel. La Cour de cassation censure cette position reprochant aux juges d’appel de ne pas avoir examiné la gravité de la faute imputée au maire et ce même en l’absence d’intérêt personnel poursuivi par celui-ci : « en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, quel qu’en ait été le mobile, les agissements de M. Y... ne revêtaient pas, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils avaient été commis, une gravité telle qu’ils étaient détachables de l’exercice de ses fonctions de maire, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

D’où l’intérêt pour les élus de penser à s’assurer à titre personnel dans l’exercice de leurs fonctions pour se couvrir dans l’hypothèse où leur responsabilité civile personnelle serait retenue. C’est l’objet du contrat "Sécurité Elus" que propose SMACL Assurances.

Cour de cassation, Chambre criminelle, 18 janvier 2022, N° 20-86.203

[1Photo : Bank Phrom sur Unsplash