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Notion de conseiller intéressé : quid lorsque l’intérêt personnel de l’élu coïncide avec l’intérêt général ?

Conseil d’État, 26 octobre 2012, N° 351801

La circonstance qu’un élu exerce une activité professionnelle en lien avec une délibération prise par le conseil suffit-elle à caractériser un intérêt personnel prohibé ?

 [1]


Non répond le Conseil d’Etat dès lors que l’intérêt de l’élu n’est pas nécessairement distinct de celui de la généralité des habitants. Ainsi la qualité de viticulteur d’un maire ne suffit pas à le considérer comme personnellement intéressé à une délibération du conseil favorisant la vente de vins du terroir dès lors que le secteur viticole représente l’activité économique prépondérante de la commune (qui compte notamment quarante-sept producteurs) et une part dominante des emplois de ses habitants. Attention cependant : cette jurisprudence n’engage pas le juge pénal qui reste autonome dans l’appréciation de l’intérêt "quelconque" de l’article 432-12 du code pénal réprimant la prise illégale d’intérêts.


Une commune du Haut-Rhin [2] projette la construction d’un complexe hôtelier comprenant notamment un hébergement haut de gamme et des espaces de commercialisation de vins et d’accueil d’événements sur le vin et sa culture.

Dans cette perspective, le maire de la commune et une société signent un protocole d’accord par lequel cette dernière s’engage à proposer à la clientèle du complexe au moins 50 % des vins du terroir. Il est prévu que la sélection de la carte se fera sur une base qualitative et d’une représentation équitable des différents producteurs et coopératives concernés.

Petit souci : le projet empiète sur un espace naturel sensible. Il faut donc préalablement obtenir du conseil général une réduction de la zone de préemption. Le conseil municipal adopte une délibération en ce sens. La commission permanente du conseil général fait droit à la demande, réduisant de 192 ares (soit 0,7 %) le périmètre de la zone de préemption de l’espace naturel sensible de la commune.

Deux associations de protection de l’environnement contestent en justice une telle amputation. Elles observent que le maire, viticulteur, et une conseillère municipale, épouse de viticulteur, ont participé à la délibération par laquelle le conseil municipal a demandé une réduction de la zone de préemption. En outre le maire a été rapporteur du projet. Or, en application des dispositions de l’article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales, la participation de membres d’un conseil municipal aux délibérations relatives aux affaires dans lesquelles ils sont intéressés à titre personnel ou comme mandataires et sur l’adoption desquelles ils ont eu une influence entache ces délibérations d’illégalité.

Déboutées en première instance, les deux associations obtiennent gain de cause en appel : les deux élus, en leurs qualités respectives de viticulteur et d’épouse de viticulteur, avaient un intérêt distinct de celui des autres habitants de la commune. D’où l’annulation de la délibération.

Par une approche pragmatique, le Conseil d’Etat annule l’arrêt refusant de considérer que les élus ont poursuivi un intérêt distinct de celui de la généralité des habitants :

 le secteur viticole représente, directement ou indirectement, l’activité économique prépondérante de la commune, qui compte notamment quarante-sept producteurs, et une part dominante des emplois de ses habitants ;

 le protocole d’accord prévoit une répartition équitable de l’approvisionnement en vins du complexe hôtelier ; sous-entendu : le maire et l’époux de la conseillère municipale ne seront nullement avantagés par rapport aux autres viticulteurs.

Ainsi la circonstance que le maire et la conseillère municipale concernée exercent une activité professionnelle en lien avec la viticulture ne suffit pas à leur conférer des intérêts distincts de celui de la généralité des habitants.

Conseil d’État, 26 octobre 2012, N° 351801 [

[1Photo : © Oleksandr Bilozerov

[2Voegtlinshoffen