Le portail juridique des risques
de la vie territoriale & associative
SUNBEAM PHOTOGRAPHY sur Unsplash

Mentions obligatoires pour l’opposabilité des délais de recours après le rejet d’un recours gracieux

Conseil d’Etat, 27 décembre 2021 : N° 432032

SUNBEAM PHOTOGRAPHY sur Unsplash

Opposabilité des délais de recours : la décision explicite de rejet d’un recours gracieux formé contre une décision rejetant une demande indemnitaire préalable doit-elle mentionner les voies et délais de recours ?

 
Oui souligne le Conseil d’Etat : le recours gracieux adressé à une administration étant une demande au sens du code des relations entre le public et l’administration (article L.110-1), la décision explicite de rejet de ce recours doit mentionner les délais de recours quand bien même ce recours est formé contre la décision de rejet de la demande indemnitaire préalable (qui elle mentionne les voies et délais de recours).
A défaut, le délai de recours n’est pas opposable.
 

Estimant avoir subi un préjudice en raison du dysfonctionnement des services de la préfecture de police, un administré adresse au préfet une demande préalable indemnitaire. L’administré réclame une somme de 1274 euros. Il considère que la préfecture a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat en raison d’informations tardives et erronées concernant la mise en fourrière de son véhicule.

Le préfet de police rejette explicitement la demande indemnitaire en mentionnant dans sa décision les voies et délais de recours. L’administré forme alors un recours gracieux contre cette décision défavorable. Son recours est rejeté par le préfet.

Quelques mois plus tard, l’administré saisit le tribunal administratif de Paris d’une demande tendant à la mise en jeu de la responsabilité de l’Etat et à l’indemnisation de son préjudice. Le tribunal administratif juge ce recours est tardif. Tel n’est pas l’avis du Conseil d’Etat qui annule l’ordonnance du président du tribunal.

Rappel des règles applicables

Délai de recours et décision administrative préalable

La Haute juridiction rappelle que l’article R.421-1 du code de justice administrative (CJA) enferme le recours devant le juge administratif dans un délai de deux mois qui court à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée.

Toutefois pour le contentieux indemnitaire, l’administré doit au préalable adresser une demande indemnitaire à l’administration (le juge ne peut être saisi qu’après « l’intervention de la décision prise par l’administration sur une demande préalablement formée devant elle » - article R.421-1 du CJA).

 

Opposabilité des délais de recours

 Classiquement, les délais de recours contre une décision administrative sont opposables seulement s’ils ont été mentionnés (ainsi que les voies de recours) dans la notification de la décision (article R.421- du code de la justice administrative).

 Lorsqu’une demande est adressée à l’administration, cette dernière est tenue de délivrer un accusé de réception conformément à l’article L.112-3 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA).

Le contenu de l’accusé de réception est précisé par l’article R.112-5 du CRPA lequel exige, lorsque la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet, que les délais et voies de recours soient mentionnés dans l’accusé de réception.

Le défaut de cette mention obligatoire entraîne l’inopposabilité des délais de recours :
« Les délais de recours ne sont pas opposables à l’auteur d’une demande lorsque l’accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation » (article L.112-6 du code des relations entre le public et l’administration) .

Toutefois, si une décision expresse a été régulièrement notifiée au demandeur avant qu’une décision implicite ne soit née, le défaut de délivrance d’un accusé réception n’emporte pas l’inopposabilité des délais de recours (article L.112-6 alinéa 2 du CRPA).

Il ressort de l’ensemble de ces dispositions que le délai pour présenter un recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d’une personne publique n’est opposable qu’à la condition d’avoir été mentionné :
 soit dans la notification de la décision rejetant la réclamation indemnitaire préalablement adressée à l’administration si cette décision est expresse ;
 soit dans l’accusé de réception de la réclamation l’ayant fait naître, si elle est implicite.

Application de ces règles au litige

En l’espèce, la décision explicite du préfet rejetant le recours gracieux formé contre la décision rejetant la demande préalable indemnitaire ne mentionnait pas les voies et délais de recours dans lesquels l’administré pouvait introduire une action indemnitaire.

 

Pourtant, le tribunal administratif avait considéré que la requête introduite devant le juge administratif était tardive car le délai de recours avait commencé à courir à compter de la date de notification de la décision de rejet du recours gracieux.


En effet, pour le tribunal, l’administré avait été informé des délais et voies de recours par la première décision de rejet du préfet contre laquelle l’intéressé avait formé un recours gracieux.

 

Tel n’est pas l’avis du Conseil d’Etat qui annule l’ordonnance du président du tribunal administratif. Le délai de recours contentieux n’avait pas commencé à courir puisque la décision de rejet du recours gracieux ne mentionnait pas les voies et délais de recours. Le tribunal a commis une erreur de droit.

 

En effet, le recours gracieux (exercé dans les délais suite à la première décision de rejet du préfet) interrompt le délai de recours pour former une action indemnitaire.
Le délai, ainsi interrompu, ne recommence à courir qu’à compter :

 
 soit de la notification d’une nouvelle décision expresse de refus mentionnant les voies et délais d’un recours indemnitaire, 

 soit, en cas de silence de l’administration, à compter de la naissance de la décision implicite qui en résulte, à la condition que l’accusé de réception du recours gracieux ait mentionné la date à laquelle cette décision implicite était susceptible de naître, ainsi que les voies et délais de recours qui lui seraient applicables ».

 

Ainsi pour être opposables, les délais de recours (et voies de recours) doivent être mentionnés dans les décisions explicites de rejet (y compris s’agissant des décisions rejetant explicitement le recours gracieux formé à l’encontre de la décision administrative initiale). Ils doivent également être mentionnés dans les accusés de réception en cas de décisions implicites de rejet.