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Reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, force majeure et responsabilité des collectivités territoriales

Cour administrative d’appel de Nantes, 17 septembre 2021 : n°20NT02509 & n°20NT02508

La reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle permet-elle à une collectivité de s’exonérer de sa responsabilité pour les dommages causés aux propriétés riveraines par des inondations consécutives au débordement d’un lac artificiel ?

Non, le fait que le caractère de catastrophe naturelle soit reconnu par arrêté ne constitue pas pour autant un cas de force majeure. En effet, la reconnaissance de la catastrophe naturelle ne signifie pas que les conditions de la force majeure sont réunies : la force majeure suppose que l’évènement climatique à l’origine des dommages soit à la fois imprévisible et irrésistible pour que la collectivité puisse s’exonérer. Ces conditions cumulatives sont très difficiles à réunir.

Les intempéries en cause, faute d’établir leur caractère imprévisible et irrésistible, ne constituent pas un cas de force majeure, et ce malgré l’existence d’un arrêté reconnaissant l’état de catastrophe naturelle pris pas les autorités publiques.

 [1]

En juin 2016, des pluies torrentielles se sont abattues sur la commune de Bourges dans le Cher entraînant une forte crue de la rivière d’Auron qui alimente le lac artificiel d’Auron propriété de la commune. Ce lac est une retenue d’eau de 73 hectares située à moins de 2 kilomètres du centre-ville de Bourges.
Suite au débordement du lac plusieurs propriétés riveraines subissent des inondations.

L’état de catastrophe naturelle est constaté par un arrêté du 8 juin 2016 [2]. L’assureur des propriétaires sinistrés adresse une réclamation préalable à la commune en vue du remboursement des indemnités versées par elle à ses assurés.

Suite au rejet de ces demandes, l’assureur, subrogé dans les droits de ses assurés, saisit le tribunal administratif d’Orléans tendant au paiement de ces sommes (91893,90 pour le premier dossier et un peu plus de 65000 euros pour le second).

Responsabilité de la commune

Le tribunal administratif d’Orléans reconnaît la responsabilité de la commune et la condamne à rembourser l’assureur (jugements du 16 juin 2020 n° 1803918 et n°1803919).

Par deux arrêts du 17 septembre 2021, la cour administrative d’appel de Nantes confirme la condamnation de la commune sur le fondement de la responsabilité du fait des ouvrages publics. En revanche, pour un autre dossier évalué à plus de 200 000 euros, le juge écarte le recours indemnitaire car introduit tardivement (CAA Nantes, 17 septembre 2021 : n°20NT02224). Parallèlement, la ville avait déjà été condamnée à rembourser un autre assureur (CAA de Nantes du 5 février 2021 : n°19NT02483 et n°19NT02482).

La cour administrative d’appel rappelle que la responsabilité de la commune peut être recherchée, même en l’absence de faute, les propriétaires ayant la qualité de tiers par rapport au lac qualifié d’ouvrage public :

« Le maître de l’ouvrage est responsable, même en l’absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement (…). Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu’ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel ».

Au cas présent, les rapports d’expertise démontrent que les sinistres et les préjudices sont au moins imputables à la fois au dysfonctionnement de l’une des pelles du système hydraulique de régulation du niveau du lac (un mois avant les faits cette avarie avait été constatée mais non réparée), et au choix fait par la commune, " au vu de l’événement pluvieux " en cause, de ne pas actionner le système de régulation du niveau du lac.

Le juge nantais qualifie les dommages d’accidentels (les dommages « ne sont pas inhérents à la seule présence du lac ») ce qui évite aux propriétaires d’avoir à rapporter la preuve de l’anormalité et de la spécialité du préjudice.
Ce principe a été réaffirmé par le Conseil d’Etat dans une décision du 10 avril 2019 ( n°411961)

Pas de force majeure

La cour administrative de Nantes juge que la commune ne peut se prévaloir ni de l’existence d’un cas de force majeure malgré la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle pour ces inondations, ni d’une faute de la victime.

Il a déjà été jugé que le fait que le caractère de catastrophe naturelle soit reconnu par arrêté ne constitue pas pour autant un cas de force majeure (CE, 2 octobre 1987 : n°71.122). En effet, la reconnaissance de la catastrophe naturelle ne signifie pas que les conditions de la force majeure sont réunies : la force majeure suppose que l’évènement climatique à l’origine des dommages soit à la fois imprévisible et irrésistible pour que la collectivité puisse s’exonérer. Ces conditions cumulatives sont très difficiles à réunir.

« S’il est constant que l’état de catastrophe naturelle a été reconnu par un arrêté du ministre de l’intérieur du 8 juin 2016, cette circonstance ne suffit pas, à elle seule et en l’absence de tout autre élément susceptible d’établir le caractère imprévisible et irrésistible des intempéries en cause, à caractériser un cas de force majeure ».

En première instance le juge avait estimé que « la très forte pluviométrie (…) à supposer qu’elle présente un caractère exceptionnel, ne permet pas d’invoquer l’excuse de force majeure ». « La manœuvre des pelles de régulation aurait suffi à écrêter la lame d’eau de manière suffisante pour empêcher le sinistre, quand bien même l’ouvrage n’a pas été conçu pour être un écrêteur de crue ».

💥 Dans un arrêt rendu le 31 mai 2021 (Conseil d’Etat, 31 mai 2021, N° 434733) le Conseil d’Etat a également écarté la force majeure après la tempête Xynthia en soulignant que des submersions importantes ont déjà eu lieu au cours du XXe siècle dans la zone touchée par l’inondation consécutive à la tempête et que plusieurs études, dès le début des années 2000, ont mis en évidence le risque majeur d’inondation de forte intensité auquel est exposée la commune en cas de phénomène climatique d’ampleur exceptionnelle : « malgré le caractère exceptionnel de la conjonction des phénomènes de grande intensité ayant caractérisé la tempête Xynthia, celle-ci n’était ni imprévisible en l’état des connaissances scientifiques de l’époque, ni irrésistible compte tenu de l’existence de mesures de protection susceptibles d’être prises pour réduire le risque d’inondation et ses conséquences. »

Le juge écarte également l’argument de la commune consistant à soutenir que les propriétaires avaient connaissance de la proximité du lac d’Auron lorsqu’ils ont acquis leurs maisons d’habitation de sorte qu’ils ne pouvaient ignorer le risque d’inondation lequel, par ailleurs, avait fait l’objet d’une campagne d’information communale sur les risques majeurs durant l’année 2009.

D’une part, les propriétaires ne pouvaient pas déduire l’existence d’un tel risque de la seule proximité d’un plan d’eau et dont il n’est pas établi qu’ils auraient eu connaissance de précédents épisodes de débordement du lac.

D’autre part, il n’est pas établi que ces propriétaires auraient été destinataires de la campagne d’information sur les risques majeurs dont la commune soutient qu’elle a été menée en 2009.

La commune est condamnée à rembourser à l’assureur les sommes qu’il a versées à ses assurés.

Cour administrative d’appel de Nantes, 17 septembre 2021 : n°20NT02508 & n°20NT02509

[1Photo : Sanjiv Nayak sur Unsplash

[2NOR : INTE1615488A