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Utilisation des pesticides à proximité des habitations : le Conseil d’Etat donne six mois à l’Etat pour durcir la réglementation

Conseil d’Etat, 26 juillet 2021, N° 437815, 438085, 438343, 438444, 438445, 439100, 439127, 439189, 441240, 443223

La réglementation relative à l’utilisation des pesticides à proximité des habitations est-elle suffisamment protectrice de la santé des riverains ?

Non tranche le Conseil d’Etat, saisi notamment par un collectif de maires anti-pesticides. Le Conseil d’Etat donne 6 mois au Gouvernement pour modifier la législation sur trois points :

1° Les chartes d’engagement doivent prévoir systématiquement des modalités d’information des résidents et des personnes présentes préalablement à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques ;

2° Les distances de sécurité applicables aux produits ayant des effets perturbateurs endocriniens néfastes pour l’homme sont jugées manifestement insuffisantes, l’ANSES recommandant de prévoir des distances de sécurité supérieures à 10 mètres pour l’ensemble de ces produits sans distinction des catégories de danger ;

3° Aucune mesure de protection n’est prévue pour les personnes travaillant à proximité des zones d’utilisation des produits phytopharmaceutiques.

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Plusieurs maires ont pris des arrêtés pour interdire ou réglementer l’utilisation des pesticides sur leur commune. Dans un arrêt du 30 décembre 2020, le Conseil d’Etat a mis un terme au débat juridique en soulignant qu’il s’agissait d’une compétence qui relevait exclusivement du pouvoir de police spéciale attribué à l’Etat et qu’ils ne pouvaient donc pas intervenir.

Qu’à cela ne tienne : un collectif de maires opposés aux pesticides, des communes, des associations et des agriculteurs bio saisissent alors le Conseil d’Etat estimant que la réglementation nationale n’est pas assez protectrice des riverains et des plantation voisines. Ils demandent l’annulation du décret du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d’habitation et de l’arrêté du même jour relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques.

L’occasion pour le Conseil d’Etat de rappeler le cadre juridique existant et de souligner trois carences devant conduire l’Etat à prendre des mesures plus contraignantes dans les six mois.

1° Des chartes d’engagement pertinentes mais des modalités d’information des riverains insuffisantes

En vertu du III de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime, lorsque les produits phytopharmaceutiques sont utilisés à proximité des zones d’habitation, cette utilisation est subordonnée aux mesures de protection contenues dans des chartes d’engagements des utilisateurs, approuvées par l’autorité administrative lorsqu’elle constate que les mesures qui y sont inscrites sont suffisantes pour protéger les personnes habitant à proximité des zones traitées.

Le Conseil d’Etat rappelle que ces chartes doivent nécessairement faire l’objet d’une décision de l’autorité préfectorale pour produire des effets juridiques. Mais il souligne qu’en l’absence de telles chartes ou dans l’intérêt de la santé publique il appartient aux ministres chargés de la santé, de l’agriculture, de l’environnement et de la consommation « de prendre toute mesure d’interdiction ou de restriction de l’utilisation de ces produits qui s’avère nécessaire à la protection de la santé des personnes habitant à proximité des zones susceptibles d’être traitées. »

Le Conseil d’Etat ne trouve rien à redire à ce mécanisme sur le principe :

1° S’il est soutenu par les requérant que le décret méconnaît le principe d’égalité en ce qu’il conduit, de manière injustifiée, à ce que des personnes résidant dans un département bénéficient d’une protection différente de personnes résidant dans un autre département, le décret se borne, sur ce point, à tirer les conséquences qui découlent de la loi elle-même.

2° Les dispositions attaquées ne sont pas équivoques et sont suffisamment précises. Ainsi « elles ne méconnaissent, en tout état de cause, ni le principe de sécurité juridique, ni l’objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la norme. »

Mais le Conseil d’Etat estime en revanche que les modalités actuelles d’informations des riverains sont insuffisantes.

En effet si l’article D. 253-46-1-2 inséré dans le code rural et de la pêche maritime par l’article 1er du décret attaqué prévoit que les chartes d’engagements des utilisateurs intègrent obligatoirement « des modalités d’information des résidents ou des personnes présentes au sens du règlement (UE) 284/2013 », l’inclusion de modalités d’information préalable à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques n’est que facultative.

Or, il ressort de l’avis de l’ANSES du 14 juin 2019 et du rapport inter-inspections de mars 2019 relatif à l’évaluation du dispositif réglementant l’utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des lieux accueillant des personnes vulnérables, que l’information des personnes habitant à proximité des zones susceptibles d’être traitées et des personnes présentes préalablement à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, combinée avec d’autres mesures de gestion des risques déjà prévues par la règlementation, constitue une mesure pertinente et efficace de gestion des risques liés à l’exposition résidentielle et dont l’impact sur la compétitivité du secteur agricole est proportionné au but recherché.

« Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que les dispositions de l’article 1er du décret attaqué n’assurent pas une protection suffisante des personnes habitant à proximité des zones susceptibles d’être traitées et des personnes présentes, faute d’imposer que les chartes prévoient des modalités d’information des résidents et des personnes présentes préalablement à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques. »

2° Des distances de sécurité insuffisantes

Pour assurer la transposition et l’application de la réglementation européenne, la législation française a opté pour le mécanisme suivant :

1° Les autorisations de mise sur le marché désormais délivrées par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) contiennent des distances de sécurité appropriées qui s’imposent aux utilisateurs de produits phytopharmaceutiques ;

2° A défaut de telles distances fixées dans l’autorisation de mise sur le marché, il convient de déterminer des mesures de protection adaptées pour l’utilisation des produits phytopharmaceutiques. Avec deux obligations :

▪ l’utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d’habitation est subordonnée à des mesures de protection des personnes habitant les lieux situés à proximité des zones susceptibles d’être traitées, formalisées dans les chartes d’engagement ( III de l’article L. 253-8 du code rural) ;

▪ le respect de distances minimales de sécurité (articles 14-1 et 14-2 de l’arrêté du 27 décembre 2019 modifiant l’arrêté du 4 mai 2017) pour protéger les personnes habitant à proximité des zones susceptibles d’être traitées. L’article 14-1 de l’arrêté du 4 mai 2017 modifié impose ainsi désormais une distance de sécurité minimale de 20 mètres qui ne peut être réduite, lorsque sont utilisés des produits phytopharmaceutiques comportant certaines mentions de danger ou contenant une substance considérée comme ayant des effets perturbateurs endocriniens néfastes pour l’homme. L’article 14-2 retient, pour d’autres produits phytopharmaceutiques, une distance minimale de sécurité de 10 mètres pour les cultures hautes et de 5 mètres pour les cultures basses, ces distances pouvant être adaptées dans les conditions prévues à l’annexe 4 de l’arrêté du 4 mai 2017 modifié. Elles le sont notamment lorsque les techniques de réduction de la dérive sont mises en œuvre conformément aux chartes d’engagements.

C’est sur cette seconde distance de sécurité que le Conseil d’Etat donne raison aux requérants.

En effet l’ANSES, dans son avis du 14 juin 2019, recommande de prévoir des distances de sécurité supérieures à 10 mètres pour l’ensemble des produits classés cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, sans distinction des catégories de danger prévues par le règlement du 16 décembre 2008. La santé des personnes habitant à proximité des zones traitées est susceptible d’être gravement affectée par les autres produits qui présentent l’une des mentions de danger correspondant aux substances dont la cancérogénicité, la mutagénicité ou la toxicité pour la reproduction est suspectée (CMR2) et qui ne figurent pourtant pas parmi la liste fixée par l’article 14-1 de l’arrêté modifié.

Ainsi « les requérants sont fondés à soutenir que les distances de sécurité applicables à ces produits sont manifestement insuffisantes au regard de l’objectif consistant à éviter la réalisation du dommage susceptible de résulter de l’exposition des résidents aux produits phytopharmaceutiques et que les dispositions de l’arrêté attaqué méconnaissent, dans cette mesure, le principe de précaution et doivent être annulées. »

🔎 Le Conseil d’Etat était aussi saisi par d’autres requérants qui défendaient l’utilisation des pesticides et soutenaient que la réglementation allait trop loin en portant une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre.

L’argument est écarté :

« si les dispositions de l’article 14-1 de l’arrêté du 4 mai 2017 modifié, qui ont pour effet de fixer, en l’absence de distance de sécurité prévue par l’autorisation de mise sur le marché, une distance de sécurité minimale de 20 mètres pour l’utilisation des produits phytopharmaceutiques qu’elles mentionnent sur les parcelles agricoles situées à proximité des lieux où se trouvent des personnes vulnérables et des zones d’habitation, affectent par voie de conséquence les conditions d’exercice du droit de propriété et de la liberté d’entreprendre, elles ne sont pas, eu égard aux caractéristiques des produits en cause, entachées d’erreur d’appréciation et ne portent pas d’atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre ou au droit de propriété.  »

3° Pas de protection des personnes travaillant à proximité des zones traitées

Dernier point sur lequel le Conseil d’Etat donne raison aux requérants : l’arrêté est illégal en ce qu’il ne prévoit pas de mesure de protection des personnes travaillant à proximité des zones d’utilisation des produits phytopharmaceutiques. En effet contrairement aux riverains, ces personnes ne font l’objet d’aucune mesure réglementaire de protection.

Sur ces trois points le Conseil d’Etat donne six mois au Gouvernement pour modifier la réglementation.

Conseil d’Etat, 26 juillet 2021, N° 437815

[1Photo : Paddy Walker sur Unsplash