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Réglementation de l’utilisation des pesticides : compétence exclusive de l’Etat

Conseil d’Etat, 31 décembre 2020 : N°440923

Un maire est-il compétent pour réglementer l’utilisation de pesticides sur le territoire communal ?

Non, tranche définitivement le Conseil d’Etat qui estime que cette compétence relève exclusivement du pouvoir de police spéciale attribué à l’Etat : nonobstant l’existence d’un pouvoir de police générale conféré par les articles L.2212-1 et L.2212-2 du code général des collectivités territoriales, un maire ne peut pas légalement user de cette compétence pour réglementer l’utilisation des pesticides.

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Comme de nombreux maires, le premier magistrat de la commune de Gennevilliers (92) a pris un arrêté interdisant l’utilisation de produits phytopharmaceutiques pour l’entretien de certains espaces du territoire communal (entretien des jardins et espaces verts des entreprises, des propriétés et copropriétés, des bailleurs privés et bailleurs sociaux privés, des voies ferrées et de leurs abords, des voies de tramway et de leurs abords, et des abords des routes traversant la commune).

Saisi par le préfet des Hauts-de-Seine d’une demande tendant à la suspension de l’exécution de cet arrêté, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise rejette la requête [2]. Le juge des référés reconnaît, certes, l’existence d’une police spéciale confiée à l’Etat en la matière. Toutefois, il estime que « le maire de cette commune a pu à bon droit considérer que les habitants de celle-ci étaient exposés à un danger grave, justifiant qu’il prescrive les mesures contestées ». Le juge s’appuie sur la dangerosité pour la santé publique et l’environnement des produits phytopharmaceutiques et l’absence de mesures réglementaires suffisantes. Cette décision isolée (pour un cas de tri entre les arrêtés relevé par Me Eric Landot, voir TA Montreuil, ord., 3 mars 2020, n° 2001526) pouvait donner un mince espoir aux maires qui avaient pris des arrêtés similaires.

Mais, par une ordonnance du 14 mai 2020, le juge des référés de la Cour administrative d’appel de Versailles suspend l’exécution de l’arrêté contesté [3], ce que confirme le Conseil d’Etat.

Pour rejeter le pourvoi en cassation formé par la commune, le Conseil d’Etat met en avant la compétence exclusive de l’Etat dans le domaine des produits phytosanitaires, tout en concédant que « les effets de long terme de ces produits sur la santé restent, en l’état des connaissances scientifiques, incertains ».

Police spéciale confiée à l’Etat

Le code rural et de la pêche maritime (le Conseil d’Etat cite entre autres les articles L.253-1, L.253-7, L.253-8, R.253-1, R.253-45, D.253-45-1, D.253-46-1-5) confie en effet aux autorités de l’Etat la police spéciale de la mise sur le marché, de la détention et de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques. Ces autorités, à savoir les ministres chargés de l’agriculture, de la santé, de l’environnement et de la consommation, sont chargées de « prendre les mesures d’interdiction ou de limitation de l’utilisation de ces produits qui s’avèrent nécessaires à la protection de la santé publique et de l’environnement, en particulier dans les zones où sont présentes des personnes vulnérable ».

« Il résulte de ces dispositions que le législateur a organisé une police spéciale de la mise sur le marché, de la détention et de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, confiée à l’Etat et dont l’objet est, conformément au droit de l’Union européenne d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement tout en améliorant la production agricole et de créer un cadre juridique commun pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable, alors que les effets de long terme de ces produits sur la santé restent, en l’état des connaissances scientifiques, incertains. »

L’adaptation au niveau local relève de la seule compétence préfectorale

Au niveau local, il appartient au seul préfet d’intervenir pour protéger les personnes vulnérables et les riverains de zones d’utilisation de ces produits :
 en fixant les distances minimales d’utilisation de ces produits ;
 en approuvant les chartes d’engagement d’utilisateurs formalisant les mesures de protection ;
 en interdisant ou en restreignant l’utilisation de pesticides en cas de risque exceptionnel et justifié pour préserver la santé publique et l’environnement.

Et le Conseil d’Etat de clore définitivement et fermement le débat en excluant toute intervention municipale en la matière :

« Dans ces conditions, si les articles L. 2212-1 et L. 22122 du code général des collectivités territoriales habilitent le maire à prendre, pour la commune, les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, celui-ci ne peut légalement user de cette compétence pour édicter une réglementation portant sur les conditions générales d’utilisation des produits phytopharmaceutiques qu’il appartient aux seules autorités de l’Etat de prendre. »

Par ricochet, aucune responsabilité de la commune ne pourra être engagée pour défaillance dans l’exercice des pouvoirs de police, si des effets néfastes pour la santé de la population devaient être mis à jour du fait de l’utilisation de ces produits. Bien entendu, il reste permis aux maires d’interdire l’utilisation de ces produits pour l’entretien des espaces verts de la commune par les agents communaux.

Conseil d’Etat, 31 décembre 2020 : N°440923

[1Photo : İbrahim Özdemir sur Unsplash

[2Ordonnance n°1912597 du 8 novembre 2019

[3CAA de Versailles, 14 mai 2020 : n°19VE03891