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Discrimination syndicale et effets juridiques des directives européennes non transposées en droit interne

Conseil d’État, 30 octobre 2009, N° 298348

Un agent public peut-il directement invoquer une directive européenne qui n’a pas été transposée en droit français pour contester une décision administrative individuelle ? Sur qui repose la charge de la preuve en matière de discrimination ?


 [1]

La candidature d’une magistrate au poste chargé de la formation à l’Ecole nationale de la magistrature est rejetée par le garde des sceaux. Estimant être victime d’une discrimination en raison de son engagement syndical, elle attaque cette décision en invoquant notamment le bénéfice des règles relatives à la charge de la preuve fixées par l’article 10 de la directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000. Or ces dispositions, dont le délai de transposition expirait le 2 décembre 2003, n’ont été transposées que par l’article 4 de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, soit postérieurement à la décision attaquée.

1° Effet direct des directives non transposées en droit interne

Compte-tenu de la jurisprudence du Conseil d’Etat, le moyen n’avait, a priori, aucune chance d’être retenu. En effet jusqu’ici le Conseil d’Etat refusait de considérer qu’une directive européenne non transposée en droit français puisse être invoquée à l’appui d’une contestation relative à une décision administrative individuelle.
Dans son arrêt du 30 octobre 2009, le Conseil d’Etat [2] opère un important revirement de jurisprudence. Après avoir rappelé que la transposition en droit interne des directives communautaires constitue une obligation constitutionnelle, le Conseil d’Etat pose le principe qu’il appartient au « juge national, juge de droit commun de l’application du droit communautaire, de garantir l’effectivité des droits que toute personne tient de cette obligation à l’égard des autorités publiques ». Et le Conseil d’Etat d’en déduire :

 « que tout justiciable peut en conséquence demander l’annulation des dispositions règlementaires qui seraient contraires aux objectifs définis par les directives et, pour contester une décision administrative, faire valoir, par voie d’action ou par voie d’exception, qu’après l’expiration des délais impartis, les autorités nationales ne peuvent ni laisser subsister des dispositions réglementaires, ni continuer de faire application des règles, écrites ou non écrites, de droit national qui ne seraient pas compatibles avec les objectifs définis par les directives » ;

 « tout justiciable peut se prévaloir, à l’appui d’un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive, lorsque l’Etat n’a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires ».

Pour autant, en l’espèce, le Conseil d’Etat juge que les dispositions de la directive ne remplissaient pas les conditions requises pour être directement invocables. En effet elles réservent la possibilité de ne pas aménager la charge de la preuve en matière de discrimination, lorsque le juge dispose de pouvoirs d’instruction, ce qui est le cas du juge administratif en droit public français.


2° Charge de la preuve en matière de discrimination

Se fondant sur les principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l’égalité de traitement des personnes, le Conseil d’Etat reconnaît néanmoins nécessaires des aménagements compte-tenu des difficultés propres à l’administration de la preuve en ce domaine.

Ainsi « s’il appartient au requérant qui s’estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d’établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ». Au juge de forger sa conviction au vu de ces échanges contradictoires ou, en cas de doute, de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d’instruction utile.

En l’espèce la discrimination n’est pas jugée constituée dès lors « qu’il ressort des pièces du dossier et, notamment, des éléments de comparaison produits en défense par le garde des sceaux, ministre de la justice que la décision de nommer Mme B plutôt que Mme A au poste de chargé de formation à l’Ecole nationale de la magistrature repose sur des motifs tenant aux capacités, aptitudes et mérites respectifs des candidates » et « que la préférence accordée à la candidature de Mme B procédait en effet d’une analyse comparée des évaluations professionnelles des deux magistrates ».


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[1Photo : © Paolo Omero

[2Conseil d’État, 30 octobre 2009, N° 298348