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Ralentisseur non conforme sur une route départementale en agglomération : la commune condamnée à la démolition de l’ouvrage

Cour administrative d’appel de Lyon, 11 février 2021, N° 20LY00724 & 20LY02611

Une commune peut-elle être condamnée à supprimer un ralentisseur située en agglomération sur une route départementale à la demande d’un automobiliste victime d’un accident lors de son franchissement ?

Oui si le ralentisseur litigieux a été implanté irrégulièrement et si la démolition de l’ouvrage n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général. Le maire d’une commune est seul compétent, dans le cadre de ses pouvoirs de police de la circulation, pour décider de la mise en place de dispositifs de ralentissement sur les routes départementales à l’intérieur de l’agglomération et sur le territoire de sa commune, dès lors que ces dispositifs n’ont ni pour objet, ni pour effet, de modifier l’assiette de la route départementale. Ainsi « les dommages résultant de la mise en œuvre ou de l’absence de mise en œuvre de ces pouvoirs de police entraînent, le cas échéant, la responsabilité de la seule commune. »

En l’espèce une commune (moins de 1000 habitants) est condamnée, à la demande d’un automobiliste victime d’un accident, à supprimer un ralentisseur de type trapézoïdal implanté irrégulièrement sur une route départementale, la fréquentation journalière moyenne étant supérieure à 3000 véhicules par jour. Le rapport d’analyse de la circulation comptabilisant le nombre de véhicules par jour pendant deux mois produit par la commune n’est pas jugé, eu égard à la brève période au cours de laquelle ce comptage a été effectué, de nature à remettre en cause les données issues du comptage annuel effectué par le département.

Entre-temps la commune avait fait procéder à des travaux ayant eu pour effet d’abaisser la hauteur du plateau du ralentisseur en question pour que celle-ci n’excède pas 10 cm, conformément aux règles issues de la norme NF P 98-300 du 16 mai 1994. Insuffisant répond la juridiction administrative. Seule possibilité pour la commune : mettre en place à cet endroit un ralentisseur de type « plateau surélevé » occupant toute la largeur de la chaussée, dont la hauteur ne peut dépasser 5 cm et la longueur est d’au moins 8 m, permettant d’obtenir un ralentissement des véhicules moins brutal que les ralentisseurs de type dos d’âne ou trapézoïdal.

La commune dispose de quatre mois pour s’exécuter.

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Un automobiliste est victime d’un accident lors du franchissement d’un ralentisseur sur une route départementale en agglomération. Il impute son accident à un défaut d’entretien normal de cette voie communale qui résulterait selon lui d’irrégularités affectant l’implantation de ce ralentisseur. Il recherche la responsabilité de la commune (800 habitants) lui réclamant un peu plus de 2000 euros en dédommagent des réparations qu’il a dû effectuer sur son véhicule.

Rien que de très classique jusqu’ici.

Plus original : il accompagne sa demande indemnitaire d’une requête tendant à ce que la commune soit condamnée à supprimer le ralentisseur litigieux ainsi que tous ceux implantés sur son territoire qui ne seraient pas conformes aux normes issues du décret du 27 mai 1994 relatif aux caractéristiques et aux conditions de réalisation des ralentisseurs de type dos d’âne ou de type trapézoïdal.
L’implantation de ralentisseurs est interdite sur des voies où le trafic est supérieur à 3 000 véhicules en moyenne journalière annuelle

Le tribunal administratif de Lyon rejette la demande indemnitaire mais fait droit à la demande d’injonction (mais uniquement pour le ralentisseur où s’est produit l’accident) : la commune dispose de six mois pour faire supprimer le ralentisseur litigieux.

Le tribunal prend appui sur les dispositions de l’article 3 de l’annexe du décret du 27 mai 1994 (relatif aux caractéristiques et aux conditions de réalisation des ralentisseurs de type dos d’âne ou d e type trapézoïdal) en vertu desquelles l’implantation de ces ralentisseurs est interdite sur des voies où le trafic est supérieur à 3 000 véhicules en moyenne journalière annuelle. Or, en l’espèce, le ralentisseur de type trapézoïdal était irrégulièrement implanté sur une voie où la moyenne journalière annuelle du trafic était de 7 099 véhicules. Deux options sont donc laissées à la commune : la suppression pure et simple du ralentisseur, laquelle ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général, ou la mise en place d’un dispositif de ralentissement non régi par le décret du 27 mai 1994, s’agissant d’une voie où le trafic journalier est supérieur à 3 000 véhicules en moyenne. Le tout dans un délai de six mois.

Les règles relatives à la démolition d’un ouvrage public

Sur appel de la commune, la cour administrative d’appel de Lyon rappelle le cadre applicable à la démolition d’un ouvrage public :

« Lorsqu’il est saisi d’une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d’un ouvrage public dont il est allégué qu’il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l’implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l’administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l’ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d’abord, si eu égard notamment à la nature de l’irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, de prendre en considération, d’une part les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d’assiette de l’ouvrage, d’autre part, les conséquences de la démolition pour l’intérêt général, et d’apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général. »

Articulation des pouvoirs de police du maire et des prérogatives du département pour les routes départementales en agglomération

La cour administrative d’appel souligne ensuite que la décision d’implanter un ralentisseur en agglomération relève de la compétence exclusive du maire, y compris s’agissant d’une route départementale. Il résulte en effet des articles L. 2213-1 et L. 3221-4 du code général des collectivités territoriales que :

1° le département, en tant que propriétaire du domaine, est seul compétent pour opérer tous travaux d’aménagement ou d’entretien de son domaine routier, y compris à l’intérieur des agglomérations, dès lors que ces travaux ne privent pas de leur portée les compétences détenues par le maire au titre de ses pouvoirs de police de la circulation.

2° le maire d’une commune est seul compétent, dans le cadre de ses pouvoirs de police de la circulation, pour décider de la mise en place de dispositifs de ralentissement sur les routes départementales à l’intérieur de l’agglomération et sur le territoire de sa commune, dès lors que ces dispositifs n’ont ni pour objet, ni pour effet, de modifier l’assiette de la route départementale.

Ainsi, rappelle la cour administrative d’appel, « les dommages résultant de la mise en œuvre ou de l’absence de mise en œuvre de ces pouvoirs de police entraînent, le cas échéant, la responsabilité de la seule commune. » (pour une autre illustration : Cour administrative d’appel de Bordeaux, 18 décembre 2020, N° 19BX03269).

En l’espèce la commune avait conclu une convention avec le département portant sur l’aménagement de dispositifs de sécurité sur la route départementale à l’intérieur de l’agglomération incluant notamment la réalisation d’un unique ralentisseur, de type « plateau surélevé ». Outre les aménagements prévus par cette convention, la commune a entrepris de réaliser un autre ralentisseur de type trapézoïdal au niveau de l’entrée nord de l’agglomération. Précisément celui où s’est produit l’accident...

Le rapport d’analyse du trafic produit par la commune jugé peu probant

La commune objectait que le trafic routier n’était pas aussi élevé au passage de ce second ralentisseur, plusieurs bifurcations s’offrant aux automobilistes. Elle produisait en ce sens un rapport d’analyse de la circulation comptabilisant le nombre de véhicules par jour à l’entrée nord de l’agglomération entre le 10 janvier 2020 et le 4 mars 2020. Peine perdue : la cour administrative d’appel écarte cette étude qui n’est pas, eu égard à la brève période au cours de laquelle ce comptage a été effectué, de nature à remettre en cause les données issues du comptage annuel effectué par le département. En effet il résulte du bilan annuel des comptages routiers effectués par le département, que la moyenne journalière annuelle s’établissait à 7 099 véhicules en 2014 et à 7 116 véhicules en 2019. Au demeurant, la convention conclue entre la commune et le département confirme une moyenne journalière annuelle en traversée s’établissant à 7 099 véhicules. Enfin il résulte des données issues du comptage effectué par le département que le trafic moyen journalier s’établissait à 4 477 véhicules au niveau d’une commune située à moins de deux kilomètres au nord du ralentisseur. Ainsi la moyenne journalière annuelle tous véhicules confondus sur la route départementale au niveau du ralentisseur trapézoïdal était telle qu’en vertu des dispositions combinées de l’article 1er du décret du 27 mai 1994 et de l’article 3 de l’annexe de ce décret, l’implantation d’un ralentisseur de type trapézoïdal y était interdite.

La commune soutenait d’une part que les règles régissant la hauteur des ralentisseurs de type trapézoïdal fixées par la norme NF P 98-300 du 16 mai 1994 n’auraient pas de valeur contraignante et, d’autre part, que la mesure de la hauteur du ralentisseur effectuée par un huissier de justice aurait été insuffisamment précise. Peu importe répond la cour administrative d’appel : en tout état de cause, l’implantation d’un ralentisseur de ce type sur cette voie était irrégulière.

Pas de demi-mesure

Entre-temps la commune avait fait procéder à des travaux ayant eu pour effet d’abaisser la hauteur du plateau du ralentisseur en question pour que celle-ci n’excède pas 10 cm, conformément aux règles issues de la norme NF P 98-300 du 16 mai 1994. Insuffisant répond la juridiction administrative :

« ces travaux ne sauraient avoir eu pour effet de régulariser l’implantation irrégulière de l’ouvrage en cause, aucun ralentisseur de type trapézoïdal ne pouvant être implanté sur cette voie, eu égard à l’importance du trafic qu’elle supporte. »

« Si la commune fait valoir que cet ouvrage, implanté sur une voie rectiligne dont la visibilité est importante a pour objectif d’inciter les automobilistes à ralentir et poursuit ainsi un objectif de sécurité routière, cette circonstance n’est pas de nature à faire regarder sa démolition comme entraînant une atteinte excessive à l’intérêt général dès lors que ce ralentisseur ne respecte pas les règles d’implantation fixées par le décret du 27 mai 1994 et édictées en vue précisément d’assurer la sécurité des usagers de la voie publique. »

Seule possibilité pour la commune : mettre en place à cet endroit un ralentisseur de type « plateau surélevé » occupant toute la largeur de la chaussée, dont la hauteur ne peut dépasser 5 cm et la longueur est d’au moins 8 m, permettant d’obtenir un ralentissement des véhicules moins brutal que les ralentisseurs de type dos d’âne ou trapézoïdal.

La commune dispose de quatre mois pour s’exécuter.

Cour administrative d’appel de Lyon, 11 février 2021, N° 20LY00724 & 20LY02611

[1Photo : Artur Opala sur Unsplash