Des agents prennent l’initiative de récupérer des feux d’artifice chez un particulier pour les stocker dans un atelier municipal. Les artifices, de mauvaise qualité, explosent tuant un agent et en blessant plusieurs autres. La commune est-elle responsable bien qu’aucun ordre n’ait été donné en ce sens et que le maire ignorait tout de cette initiative ?
Oui. Même si l’imprudence coupable des agents peut caractériser une faute personnelle, cette faute n’est pas dépourvue de tout lien avec le service dès lors que les agents ont utilisé les moyens du service (véhicule de la commune pour le transport, atelier communal pour le stockage) et avaient pour intention d’améliorer le feu d’artifice tiré par la commune. Peu importe que les agents aient agi de leur propre initiative sans avoir reçu d’instructions en ce sens.
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En décembre 2011, le directeur des services techniques et un agent communal (commune de moins de 2000 habitants) récupèrent au domicile d’une dame, dont le fils artificier est décédé, du matériel pyrotechnique. Ce sera l’occasion d’améliorer le feu d’artifice du 14 juillet tiré par la commune.
Les deux agents transportent 15 kilos d’explosifs dans un véhicule de service pour le stocker dans un atelier de la commune. Se rendant compte lors de la manipulation que le matériel récupéré n’avait pas été stocké dans les meilleures conditions de conservation et n’offrait pas toutes les garanties de stabilité, ils effectuent un test sur l’une des bombes dans un lieu sécurisé qui confirme leurs doutes. Ils s’empressent alors de revenir à l’atelier pour récupérer l’ensemble du matériel en vue de sa destruction. Malheureusement à leur arrivée, les bombes explosent les blessant grièvement ainsi que deux autres collègues et tuant un autre agent. L’expertise a déterminé que l’agent tué étant occupé à meuler ou à souder à proximité immédiate des artifices...
La responsabilité pénale des agents engagée
Entendue par les enquêteurs la maire de la commune explique ne pas avoir donné d’ordre aux agents pour récupérer les explosifs au domicile du particulier et de ne pas avoir été informée de cette initiative. Elle précise également qu’elle n’était maire que depuis 3 mois au moment des faits et que son prédécesseur avait donné tous
pouvoirs au DST pour la gestion, le stockage et le tir des feux d’artifice, ce que l’intéressé a confirmé. Le tribunal correctionnel de Nevers, en mars 2015, condamne les deux agents à une peine d’emprisonnement avec sursis relevant :
– qu’ils étaient tous deux titulaires d’une habilitation d’artificier K3 et les seuls employés municipaux à disposer de
l’agrément préfectoral leur permettant de tirer des feux d’artifice ;
– qu’ils se sont rendus chez un particulier avec un véhicule de service sans ordre de mission, ni même simple avis
de leur autorité hiérarchique ;
– qu’ils ont récupéré, manipulé et stocké des artifices visiblement en mauvais état dans un local accessible à tous à proximité de postes dédiés au soudage et au meulage.
La responsabilité civile personnelle des agents écartée
Le tribunal retient également la responsabilité civile personnelle de deux agents estimant qu’ils avaient commis une série de fautes inexcusables excédant largement le cadre de leur mission de service et reprochant plus particulièrement au DST d’avoir agi sans ordre de mission, ni avis ou autorisation préalable de son autorité hiérarchique.
Mais en appel, toutes les parties civiles sont invitées à se pourvoir devant le juge administratif pour rechercher la responsabilité de la commune. Saisie des seuls intérêts civils (la condamnation pénale étant définitive), la cour d’appel de Bourges infirme en effet le jugement sur les intérêts civils : la seule violation par les agents des règles de sécurité qu’ils étaient censés connaître, alors qu’au surplus le mauvais état des artifices aurait dû les conduire à redoubler de prudence, ne suffit pas à caractériser une faute détachable du service. En outre s’ils n’avaient pas reçu
d’ordre de mission, ni d’avis ou d’autorisation de leur autorité hiérarchique, ils ne sont pas pour autant sortis de leur mission dès lors que le DST disposait de tous pouvoirs pour gérer les feux d’artifice. Les deux agents n’ont par ailleurs poursuivi aucun mobile personnel, leur intention n’étant pas de faire un usage personnel des explosifs, mais d’améliorer le prochain feu d’artifice tiré par la commune. Il appartenait donc aux victimes de rechercher la responsabilité de la commune devant le juge administratif.
Recours devant le juge administratif, la commune condamnée
Une action est introduite en ce sens en janvier 2018, soit plus de six ans après le drame. La commune invoque alors la prescription quadriennale. Le tribunal écarte le moyen, l’action introduite au pénal avec constitution de partie civile ayant suspendu le délai de prescription. En effet l’arrêt de la cour d’appel de Bourges déboutant les parties civiles n’a été rendu qu’en décembre 2016. Ainsi le délai de prescription qui a recommencé à courir à compter du 1er janvier 2017 n’était pas écoulé lorsque le requérant a introduit sa requête le 18 janvier 2018.
Sur le fond, le tribunal administratif d’Orléans rappelle le régime de responsabilité applicable :
« La réparation de dommages causés par un agent public peut être demandée au juge judiciaire lorsqu’ils trouvent leur origine dans une faute personnelle de cet agent, au juge administratif lorsqu’ils trouvent leur origine dans une faute non détachable du service ou encore à l’un et l’autre des deux ordres de juridiction lorsqu’ils trouvent leur origine dans une faute qui, bien que personnelle, n’est pas dépourvue de tout lien avec le service. Il en va ainsi indépendamment de la personne contre laquelle l’action est engagée. Il appartient seulement à la juridiction compétemment saisie de rejeter l’action portée devant elle si elle l’estime mal dirigée. »
Or en l’espèce, poursuit le tribunal, les deux agents étaient habilités au maniement des feux d’artifice et ont récupéré avec un véhicule de service des feux d’artifice dans la perspective de leur utilisation par la commune pour les fêtes du 14 juillet suivant. Ils ont entreposé ces matériels dans un atelier appartenant à la commune.
« Dès lors, leur coupable imprudence et le fait qu’ils n’avaient pas interrogé leur employeur sur l’opportunité de récupérer ces matériels chez un particulier ne peuvent permettre de regarder la faute ainsi commise comme dépourvue de tout lien avec le service. La responsabilité de la commune est engagée »
La commune est condamnée à indemniser les ayants-droit de la victime à hauteur de 11500 euros au titre des préjudices extrapatrimoniaux : déficit fonctionnel permanent (3500 euros), souffrances endurées (4000 euros) et déficit fonctionnel temporaire (4000 euros).
📌Le tribunal se place ainsi sur le terrain de la faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service (les agents ont utilisé les moyens du service et dans le but du service public) et non sur celui de la faute de service, considérant implicitement que les agents ont commis une faute personnelle qui aurait pu autoriser le juge judiciaire à retenir leur responsabilité civile personnelle (le tribunal administratif désavoue ainsi implicitement les magistrats de la cour d’appel de Bourges qui ont estimé que les agents n’avaient pas commis de faute personnelle). En effet en cas de faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service, les victimes disposent d’un droit d’option et peuvent actionner à leur choix la responsabilité des agents ou celle de l’administration. |
Tribunal administratif Orléans, 15 décembre 2020,N°1800251 (PDF)
[1] Photo : Jake Stephens sur Unsplash