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Menus de substitution à la cantine : ni interdiction, ni obligation

Conseil d’Etat, 11 décembre 2020 : N°426483

Les menus de substitution proposés dans certaines cantines scolaires sont-ils contraires au principe de laïcité ?

 [1]

Non affirme le Conseil d’Etat. Les principes de laïcité, de neutralité du service public ne font pas, par eux-mêmes, obstacle à ce que les collectivités proposent un menu différencié permettant aux usagers de ce service public facultatif « de bénéficier d’un menu équilibré sans avoir à consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses ». Toutefois, la Haute juridiction rappelle qu’il n’existe aucune obligation pour les gestionnaires d’un service public de restauration scolaire de proposer un menu de substitution. Les menus de substitution ne sont donc ni obligatoires, ni prohibés.

En 2015, le maire de Chalon-sur Saône décide d’interrompre une pratique ancrée depuis 31 ans consistant à proposer un menu de substitution sans porc dans les cantines scolaires de la commune.

Cette décision est, dans un premier temps, annoncée par un communiqué de presse publié le 16 mars 2015. Puis, le conseil municipal prend une délibération le 29 septembre 2015 dont l’objet est de modifier le règlement intérieur des restaurants scolaires afin « qu’il ne soit plus proposé qu’un seul type de repas à l’ensemble des enfants inscrits dans les restaurants scolaires de la commune ».

Ces deux décisions sont prises sur le fondement du principe de laïcité.

Saisi par une association [2] le Tribunal administratif de Dijon annule ces deux décisions [3], ce que confirment la cour administrative d’appel de Lyon [4] puis le Conseil d’Etat.

Pas d’obligation...

Il n’existe aucune obligation pour les collectivités territoriales gérant une cantine scolaire « de distribuer à ses usagers des repas différenciés leur permettant de ne pas consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses ».

📌Il en va différemment pour les enfants allergiques ou atteints d’un trouble de santé.Des repas adaptés au régime particulier défini dans le projet d’accueil individualisé peuvent-être fournis. Les modalités sont définies par la circulaire du 8 septembre 2003 (NOR MENE0300417C)

De même, la distribution de repas de substitution en raison de pratiques, de prescriptions religieuses n’est pas un droit pour les usagers.

Le Conseil d’Etat se réfère au principe de laïcité inscrit à l’article 1er de la Constitution :

« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».

Le Conseil constitutionnel a rappelé que ces dispositions « interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers » [5].

📌A noter : Dans un rapport de juin 2019 intitulé « Un droit à la cantine scolaire pour tous », le Défenseur des droits rappelle cette absence d’obligation pour les collectivités de proposer un menu de substitution.

... mais pas d’interdiction

C’est l’apport de la décision : Le conseil d’Etat juge que les collectivités peuvent offrir des repas de substitution pour permettre aux élèves de ne pas consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses, cette faculté ne heurte pas les principes de laïcité et de neutralité du service public ni celui d’égalité des usagers devant le service public.

Tous les enfants doivent pouvoir bénéficier de ce service public, lorsque la collectivité a décidé de le prendre en charge (la restauration scolaire est un service public facultatif [6]). Ce principe lié à « l’intérêt général » doit conduire l’action de la collectivité lorsqu’elle définit ou redéfinit les règles d’organisation de ce service « au regard des exigences du bon fonctionnement du service et des moyens humains et financiers dont disposent ces collectivités ».

Abandon injustifié des menus de substitution

Pour justifier l’abandon de la pratique des menus de substitution, la commune arguait que la distribution de repas alternatifs entrainait une stigmatisation des enfants concernés contraire aux principes déjà évoqués (regroupement « des élèves sur les mêmes tables pour faciliter la distribution des repas, fichage des enfants inscrits à la cantine scolaire faisant apparaître, implicitement mais nécessairement, leur appartenance religieuse »). Mais le juge relève qu’aucun élément ne démontre l’existence de telles pratiques.

La position de la cour administrative de Lyon est donc également confirmée sur ce point : la commune ne démontre aucune difficulté particulière, aucun trouble à public pendant toutes les années durant lesquelles a duré cette pratique.

Le Conseil d’Etat confirme que la commune ne pouvait pas légalement se fonder sur les seuls principes de laïcité et de neutralité du service public pour justifier un abandon de la pratique des repas de substitution.

📌A noter : Le Défenseur des droits souligne, dans son rapport déjà cité, que le principe de laïcité et de neutralité ne sauraient justifier la suppression des menus de substitution mis en place. Cette suppression pourrait constituer « une discrimination fondée sur les convictions religieuses portant atteinte tant à la liberté de conscience qu’à l’intérêt supérieur de l’enfant ». Le Défenseur des droits avait d’ailleurs présenté ses observations devant la cour administrative d’appel de Lyon dans le cadre de l’affaire qui nous intéresse ici.

Conseil d’Etat, 11 décembre 2020 : N°426483

[1Photo : Sigmund sur Unsplash

[2La Ligue de défense judiciaire des musulmans.

[3TA Dijon, 28 août 2017 : n°1502100

[4CAA Lyon, 23 octobre 2018 : n°17LY03323

[5Conseil Constitutionnel du 19 novembre 2004 n°2004-505 DC

[6Conseil Constitutionnel 26 janvier 2017 : n° 2016-745 DC