Le portail juridique des risques
de la vie territoriale & associative

Maintien de la fermeture des écoles maternelles malgré le déconfinement : une atteinte au droit fondamental à l’éducation

Tribunal administratif de Montreuil, 20 mai 2020, n°2004683

Un maire peut-il, malgré la levée du confinement, décider de maintenir fermées les écoles maternelles jusqu’à la rentrée de septembre s’il estime que les conditions sanitaires pour leur réouverture ne sont pas réunies ?

 [1]

Non sauf s’il existe des raisons impérieuses propres à la commune justifiant une telle mesure sans compromettre la cohérence et l’efficacité des mesures prises par l’Etat dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale. La circonstance que le département soit classé en zone rouge n’est pas suffisante en soi pour justifier une telle décision dès lors que cet élément a déjà été pris en compte par les autorités de l’Etat et qu’un maire ne peut nuire à la cohérence des décisions prises au niveau national par l’Etat dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. La privation pour un enfant de toute possibilité de bénéficier d’une scolarisation ou d’une formation scolaire adaptée, selon les modalités que le législateur a définies afin d’assurer le respect de l’exigence constitutionnelle d’égal accès à l’instruction, qui est obligatoire dès l’âge de trois ans, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Le caractère grave et manifestement illégal d’une telle atteinte s’apprécie en tenant compte, d’une part, de l’âge de l’enfant, d’autre part, des diligences accomplies par l’autorité administrative compétente, au regard des moyens dont elle dispose. Doit être ainsi suspendu un arrêté par lequel un maire décide de maintenir fermées les écoles maternelles de la commune jusqu’à la rentrée de septembre, faute pour la collectivité de démontrer des raisons impérieuses particulières justifiant une telle mesure.

Le 15 mai 2020, le maire de Bobigny maintient, par arrêté, la fermeture de l’accueil des enfants des écoles maternelles et des crèches de son territoire jusqu’à la fin de l’année scolaire sauf pour les enfants des personnes engagées dans la gestion de la crise sanitaire. A l’appui de son arrêté, le maire relève notamment que :

- le département est classé en zone rouge ;

- la commune n’est pas en mesure d’ouvrir les classes maternelles avec des conditions garantissant la santé et la sécurité des enfants, telles que préconisées par le protocole sanitaire et les guides annexés à la circulaire du 4 mai 2020 ;

- que la réouverture des écoles induit de réelles difficultés matérielles et psychologiques pour les enseignants ;

- seuls 25% des enseignants sont présents et de nombreuses personnes sont en chômage partiel ou en autorisation spéciale d’absence jusqu’au 2 juin 2020 ;

- si le maire s’assure du respect des précautions sanitaires, il appartient à l’éducation nationale de sélectionner les enfants retenus pour être scolarisé.

Un mère d’élève saisit le juge des référés pour enjoindre à la commune d’ouvrir les grandes sections des écoles maternelles, sous un délai de 7 jours. Elle invoque une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que constituent le droit à l’éducation et l’égal accès à l’instruction et l’intérêt supérieur de l’enfant. La condition d’urgence est selon elle bien caractérisée en raison :

- des conséquences professionnelles, financières et sanitaires pour les parents amenés à reprendre leur activité professionnelle ;

- de l’atteinte portée aux libertés fondamentales, l’absence d’ouverture des grandes sections des écoles maternelles, qui méconnaît les dispositions du décret du 11 mai 2020, aggravant en outre les inégalités sociales dans un département connaissant pourtant de fortes difficultés socio-économiques et scolaires et une fracture numérique importante.

Une police spéciale relevant de la compétence de l’Etat

Le juge des référés du Tribunal administratif de Montreuil rappelle le cadre juridique de la réouverture des écoles et notamment les dispositions de l’article 12 du n° 2020-548 du 11 mai 2020 réglementant l’accueil des usagers dans les établissements d’enseignement relevant ainsi que dans les services d’hébergement, d’accueil et d’activités périscolaires qui y sont associés. C’est dans le cadre de ses pouvoirs de police sanitaire que l’Etat a décidé de modifier les équilibres antérieurement retenus dans les intérêts en présence entre, d’une part, celui de la santé et, d’autre part, notamment, ceux liés au droit à l’éducation ou à la lutte contre les inégalités sociales.

Les pouvoirs de police encadrés du maire

Si le maire conserve son pouvoir de police générale, malgré l’état d’urgence sanitaire et l’exercice de la police spéciale par l’Etat, ce pouvoir est encadré comme l’a précisé le Conseil d’Etat dans son ordonnance du 17 avril 2020. Le juge des référés du Tribunal administratif de Montreuil en reprend les termes :

« Les articles L. 2212‑1 et L. 2212‑2 du code général des collectivités territoriales (...) autorisent le maire, y compris en période d’état d’urgence sanitaire, à prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans sa commune. Le maire peut, le cas échéant, à ce titre, prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’Etat.
 

En revanche, la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat. »

Ainsi « l’usage par le maire de son pouvoir de police générale pour édicter des mesures de lutte contre cette épidémie est subordonné à la double condition qu’elles soient exigées par des raisons impérieuses propres à la commune et qu’elles ne soient pas susceptibles de compromettre la cohérence et l’efficacité des mesures prises par l’Etat dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale, plus particulièrement au titre de sa stratégie de "déconfinement" ».

Au demeurant, si dans l’actuelle période d’état d’urgence sanitaire, il appartient aux différentes autorités compétentes de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie, il reste que ces mesures, qui peuvent limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux doivent, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent.

L’égal accès à l’instruction : une liberté fondamentale

Le juge des référés souligne qu’il résulte des dixième et onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 une exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant et que l’égal accès à l’instruction [2] est bien une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, même si elle doit être conciliée avec la protection de la santé :

« Dans ces conditions, la privation pour un enfant de toute possibilité de bénéficier d’une scolarisation ou d’une formation scolaire adaptée, selon les modalités que le législateur a définies afin d’assurer le respect de l’exigence constitutionnelle d’égal accès à l’instruction, qui est obligatoire dès l’âge de trois ans, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Le caractère grave et manifestement illégal d’une telle atteinte s’apprécie en tenant compte, d’une part, de l’âge de l’enfant, d’autre part, des diligences accomplies par l’autorité administrative compétente, au regard des moyens dont elle dispose. Cette liberté doit, cependant, être conciliée avec l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé. »

A cet égard, la circulaire du 4 mai 2020 du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse a privilégié l’accueil, notamment, des enfants de grande section de maternelle, se bornant à renvoyer à une exigence de souplesse dans les modalités retenues par les communes, afin de tenir compte des circonstances locales.

Le juge reconnait au maire le pouvoir, sur le fondement des articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, y compris en période d’état d’urgence sanitaire, de prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’Etat. Mais toujours en conciliant les intérêts de la santé et « ceux tendant à la lutte contre les inégalités ou au respect au droit à l’éducation et à l’instruction et à la nécessité qui en résulte de poursuivre la continuité pédagogique ».

Le maire peut ainsi prendre des mesures s’inscrivant dans les diverses modalités particulièrement détaillées du protocole sanitaire ou tendant à porter une attention particulière aux élèves en situation de handicap et à ceux dont les familles ne peuvent assurer une instruction à domicile leur permettant d’acquérir les apprentissages nécessaires, compte tenu de l’importance que revêt l’école dans une commune se trouvant en zone de réseau d’éducation prioritaire simple et renforcée et connaissant un taux élevé de difficultés et d’échecs scolaires.

Le classement en zone rouge ne suffit pas

La circonstance que le département soit classé en zone rouge est jugée indifférente. En effet, cet élément a déjà été pris en compte par les autorités de l’Etat et il n’appartient pas au maire de nuire à la cohérence des mesures prises au niveau national. Seule l’existence, non démontrée en l’espèce, de raisons impérieuses propres à la commune aurait pu justifier la fermeture complète des écoles maternelles de la commune autres qu’affectées aux enfants des personnels prioritaires.

En outre la commune, « qui n’a pas cherché à prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application des mesures décidées par les autorités compétentes de l’Etat », n’apporte aucune précision sur les raisons pour lesquelles elle ne pourrait respecter le protocole sanitaire, à raison, par exemple, de la configuration des locaux scolaires ou de l’impossibilité de réaliser les opérations préalables de nettoyage ou d’assurer l’entretien régulier des locaux.

La commune ne peut pas plus invoquer la difficulté de trouver des enseignants sans apporter de précisions de nature à établir l’impossibilité dans laquelle il se trouverait d’accepter l’ouverture des grandes sections des écoles maternelles.

L’arrêté du maire porte ainsi « une atteinte grave et manifestement illégale au droit à l’éducation et à l’instruction justifiant que le juge des libertés fasse usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 521-2 du code de justice administrative et enjoigne à la commune de Bobigny de définir, pour le 3 juin 2020, les modalités d’accueil dans les grandes sections des écoles maternelles, en prenant les mesures strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu applicables en ce début de « déconfinement », dans le respect des prescriptions du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020. »

[1Photo : Element5 Digital sur Unsplash

[2Garanti par le treizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, auquel se réfère celui de la Constitution de 1958, et confirmé par l’article 2 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.