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Urgence sanitaire, réouverture des écoles et responsabilité pénale des élus locaux

Dernière mise à jour : le 18 mai 2020

Avec la levée du confinement et la réouverture des écoles, le débat sur la responsabilité pénale des élus locaux est revenu sur le devant de la scène médiatique. La loi 2020-546 du 11 mai 2020 (journal officiel du 12 mai) prorogeant l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020 contient de nouvelles dispositions en ce sens. Quels sont les réels risques encourus par les élus, quelles sont les conditions classiques d’engagement de leur responsabilité pénale, qu’est-ce qui change ... ?

 [1]

1. Dans quelles conditions un élu local peut-il engager sa responsabilité pénale pour homicide et blessures involontaires ?

Trois conditions sont requises pour engager la responsabilité pénale non intentionnelle d’une personne physique quelle qu’elle soit (élu, chef d’entreprise, fonctionnaire, responsable associatif, citoyen...) :

 une faute d’imprudence (simple ou qualifiée selon que l’élu est auteur direct ou indirect) ;

 un dommage (blessures ou mort) ;

 un lien de causalité certain entre la faute et le dommage.

En revanche le lien de causalité n’est pas nécessairement exclusif : plusieurs personnes peuvent avoir contribué de manière certaine, par leur comportement fautif, à la réalisation du dommage. Il peut donc y a avoir plusieurs personnes poursuivies pour un même accident.

📌L’exigence d’un lien de causalité certain entre la faute imputée à l’élu est de nature à limiter le risque de condamnation des élus, comme des fonctionnaires, des employeurs, ou des responsables associatifs dans l’hypothèse d’une contamination. En effet un lien de causalité hypothétique ne suffit pas. Si on prend l’exemple de la contamination d’un enfant à l’école, il faudrait que soit clairement établie la chaîne de contamination et qu’il soit démontré que la contamination est liée de manière certaine à une faute d’imprudence de l’élu. En outre pendant le temps scolaire, les enfants sont placés sous la responsabilité des enseignants, il faudrait donc prouver que la contamination a eu lieu précisément pendant le temps péri-scolaire ou que la contamination était la conséquence d’un mauvaise désinfection des locaux.

2. Quelle est la différence entre un auteur direct et un auteur indirect ?

Depuis la loi Fauchon du 10 juillet 2000, il convient de distinguer entre les auteurs directs et les auteurs indirects du dommage : une faute simple suffit à engager la responsabilité pénale des premiers, tandis qu’une faute qualifiée est exigée pour pouvoir engager celle des seconds. La philosophie de la loi peut être résumée ainsi : à causalité directe faute simple, à causalité indirecte faute qualifiée.

 Est auteur direct celui qui a été en contact avec la victime ou qui a manipulé un objet en contact avec la victime (ex : automobiliste qui renverse un piéton). Ainsi un élu atteint du covid-19 qui, ne respectant les gestes barrières, contaminerait une personne en lui serrant la main pourrait être considéré comme un auteur direct de la contamination. Il pourrait engager sa responsabilité pénale sur la base de cette imprudence. Mais toujours sous réserve que la causalité soit certaine et donc qu’il soit clairement établi que la contamination soit imputable à son imprudence.

 Sont auteurs indirects, les personnes qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter. Seule une faute qualifiée est de nature à engager leur responsabilité pénale. Dans la très grande majorité des cas les élus, et les décideurs d’une manière générale, sont des auteurs indirects du dommage. Une négligence simple ne suffit donc pas à engager leur responsabilité.

3. Qu’est-ce qu’une faute qualifiée susceptible d’engager la responsabilité pénale non intentionnelle d’un auteur indirect ?

Deux types de faute peuvent engager la responsabilité d’un auteur indirect :

 la violation de façon manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ;

 la faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qui ne ne pouvait être ignoré.

La première faute est plus difficile à caractériser car il est nécessaire pour l’accusation de s’appuyer sur un texte législatif ou réglementaire imposant une règle particulière de prudence ou de sécurité. C’est le cas par exemple de certaines dispositions du décret n°2020-293 du 23 mars 2020 fixant les règles applicables pendant le confinement et de celles du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 après la levée du confinement. En revanche le protocole sanitaire relatif à la réouverture et au fonctionnement des écoles maternelles et élémentaires n’a pas valeur de législative ou réglementaire. Son éventuelle violation, même de manière manifestement délibérée, ne pourrait donc caractériser une telle faute. Il est en est de même pour les différentes fiches métiers qui sont diffusées.

En revanche la faute caractérisée ne nécessite pas de rapporter la preuve de la violation d’un texte précis. Mais il faut que le risque engendré par le comportement soit d’une particulière gravité et ne pouvait être ignoré par son auteur. A l’évidence le risque de contamination est un risque d’une particulière gravité au regard de ses conséquences possibles. Un élu qui prendrait le risque de contamination à la légère en ne prenant pas les dispositions nécessaires pour limiter la contamination des enfants à l’école ou du personnel communal s’exposerait ainsi à des poursuites. Et pour le coup la violation répétée de mesures du protocole sanitaire pourrait être prise en compte. Mais encore faudrait-il qu’un lien de causalité certain soit établi entre la faute imputée à l’élu et la contamination.

📌 Les collectivités territoriales comme tout employeur doivent mettre à jour leur document unique d’évaluation des risques. Dans une ordonnance particulièrement motivée le juge des référés du Tribunal judiciaire de Paris a ainsi précisé que si la priorité devait être donnée à l’engagement des actions de prévention quitte à différer la retranscription de l’identification des risques dans le document unique, cette obligation formelle n’est pas pour autant suspendue pendant la durée de la crise sanitaire. Au contraire cette obligation est renforcée pour tenir compte spécifiquement de l’épidémie de Covid-19 et viser, autant que possible, à l’anticipation et à l’exhaustivité afin de garantir la santé et de la sécurité des travailleurs. Et l’employeur (qu’il soit public ou privé) ne saurait se contenter dans le document unique de paraphraser les recommandations publiques et officielles : dans l’exercice de son pouvoir de direction, il lui appartient de faire adopter des mesures opérationnelles et déclinables dans chaque unité de travail.
Par ailleurs il convient d’être particulièrement ferme par le respect par tous des gestes barrières en exerçant au besoin son pouvoir disciplinaire. La diffusion des consignes est indispensable mais ne suffit pas, il faut aussi s’assurer de leur respect.

4. Les moyens dont disposaient l’élu au moment des faits doivent-ils être pris en compte ?

Oui : il appartient au juge de vérifier que l’auteur des faits « n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait » (alinéa 3 de l’article 121-3 du code pénal). Cette exigence a été posée, quatre avant la loi Fauchon du 10 juillet 2000, par la loi du 13 mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour des faits d’imprudence ou de négligence.

Cette loi de 1996 a intégré un article L2123-34 dans le Code général des collectivités territoriales. Cet article a connu depuis des évolutions mais le principe d’une appréciation in concreto (en tenant compte de la situation au moment des faits des faits) y est toujours rappelé : le maire ou un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ne peut être condamné pour des faits non intentionnels commis dans l’exercice de ses fonctions que s’il est établi qu’il n’a pas accompli les diligences normales compte tenu de ses compétences, du pouvoir et des moyens dont il disposait ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi lui confie.

📌 Attention : il ne faut pas en conclure qu’il suffit d’invoquer un manque de moyens pour être exonéré de toute responsabilité. La sécurité prime en effet sur toute autre considération. Un élu qui mettrait par exemple à disposition une salle communale qui ne respecte pas les normes de sécurité pourrait engager sa responsabilité pénale en cas d’accident et dommages résultant de ce défaut de conformité. L’élu pourrait difficilement s’exonérer en soutenant qu’il n’avait pas les moyens de mettre en conformité la salle. Le juge pourrait en effet lui répondre que si la commune n’avait pas les moyens d’avoir une salle aux normes, elle aurait dû s’abstenir de la mettre à disposition le temps d’avoir le budget nécessaire pour la mettre en conformité. L’appréciation in concreto de la faute ne signifie pas immunité.

5. Que change la loi prolongeant l’état d’urgence sanitaire quant à la responsabilité pénale des élus ?

Elle insère un article L. 3136-2 dans le Code de la santé publique ainsi rédigé :
« Art. L. 3136-2. – L’article 121-3 du code pénal est applicable en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur. »

C’est donc un rappel et une déclinaison de l’appréciation in concreto qui est posée dans l’article 121-3 du code pénal depuis la loi du 13 mai 1996. Le juge est invité à prendre en compte les compétences, le pouvoir et les moyens dont disposait l’auteur des faits ainsi que de la nature de ses missions ou fonctions, le tout à l’aune « de la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire ». Le juge est invité a évaluer les diligences normales in concreto en tenant compte des circonstances et des moyens dont disposait l’auteur au moment des faits. Rien de révolutionnaire : c’est juste un rappel d’une exigence d’une appréciation in concreto un peu plus marquée en cette période de crise sanitaire. Il ne s’agit donc pas, contrairement à certaines propositions qui avaient été formulées, d’une modification en profondeur du régime de la responsabilité pénale non intentionnelle et l’équilibre trouvé par la loi du 10 juillet 2000 est préservé. C’est encore moins une loi d’amnistie [2].

De fait, dans sa décision 2020-800 du 11 mai 2020, le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions rappellent celles de droit commun (alinéa 3 de l’article 121-3 du code pénal) et s’appliquent de la même manière à toute personne ayant commis un fait susceptible de constituer une faute pénale non intentionnelle dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire. Dès lors, contrairement à ce que soutenaient les requérants, elles ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant la loi pénale.

📌 S’agissant d’une loi pénale plus douce, ce texte s’appliquera y compris pour les faits qui ont été commis avant son entrée en vigueur qui n’ont pas été définitivement jugés. En effet, contrairement aux lois pénales plus sévères, les lois pénales plus douces sont d’application rétroactive (dite rétroactivité "in mitius") aux procédures qui n’ont pas encore été définitivement jugées avant leur entrée en vigueur [3]. Il convient de noter à cet égard que le texte évoque la « situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire » et ne se limite à la période d’état d’urgence sanitaire stricto sensu. Il devrait donc pouvoir s’appliquer pour des décisions prises avant la loi proclamant l’état d’urgence sanitaire, comme pour des faits commis après l’expiration de l’état d’urgence (en principe le 10 juillet 2020), si la situation de crise perdure après cette date.

6. L’évolution des connaissances scientifiques peut-elle constituer rétroactivement un élément à charge contre le décideur qui aurait mal évalué un risque ?

Non : ce qui compte c’est l’état des connaissances scientifiques au moment où le décideur prend sa décision. C’est ce qu’a rappelé la chambre criminelle de la Cour de cassation en 2015 (Cour de cassation, chambre criminelle, 14 avril 2015, N° 14-85333) dans le dossier de l’amiante où plusieurs membres du Comité permanent amiante (CPA) étaient mis en cause. Le magistrat instructeur les avaient mis en examen, leur reprochant d’avoir contribué à créer le dommage ou de n’avoir pas pris les mesures permettant de l’éviter, l’exposition à l’amiante ayant eu pour conséquence les atteintes à la santé et à la vie de salariés. Mais la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris avait annulé leur mise en examen, ce qu’a confirmé la Cour de cassation dès lors que les membres du comité ne pouvaient pas « dans le contexte des données scientifiques de l’époque », mesurer le risque d’une particulière gravité auquel elles auraient exposé les victimes. Ainsi si de nouvelles recherches scientifiques sur le covid-19 devaient mettre à jour a posteriori que des décisions prises étaient insuffisantes ou inappropriées, le juge ne pourrait rétroactivement les prendre en considération pour entrer en voie de condamnation. Il appartient en revanche aux décideurs d’être particulièrement réactifs et de suivre les évolutions des connaissances scientifiques.

7. Combien d’élus locaux ont-ils été poursuivis et condamnés pour homicide et blessures involontaires ?

Entre avril 1995 et avril 2019, l’Observatoire SMACL (Rapport annuel 2019 a recensé :
 187 élus poursuivis pour violences involontaires et/ou atteintes à la sécurité d’autrui (environ 8/an en moyenne) ;
 45 élus condamnés (un peu moins de 2/an en moyenne).

Pour s’en tenir aux seules infractions d’homicide et blessures involontaires (hors mise en danger délibérée de la vie d’autrui, omission de porter secours) depuis l’entrée en vigueur de la loi Fauchon du 10 juillet 2000, l’Observatoire SMACL a recensé 31 condamnations d’élus locaux pour violences involontaires (soit un moyenne de 1.5/an) alors qu’entre 1995 et le 09/07/2000 nous avions recensé 18 condamnations de ce chef (moyenne de 3,6 par an). La loi du 10 juillet 2000 a donc incontestablement joué un rôle d’amortisseur sans pour autant conduire à une amnistie des élus (contrairement à ce qu’il a pu être soutenu par certains, il y a bien eu des condamnations d’élus locaux pour violences involontaires postérieurement à l’adoption de la loi).

Sur la mandature 2014-2020 nous estimons que ce sont un peu moins de 50 élus locaux qui auront été poursuivis pour violences involontaires et un peu plus de 10 qui seront, au final, condamnés de ce chef. Le contentieux des violences involontaires représente moins de 3% des poursuites engagées contre les élus locaux durant cette mandature, soit le 6e motif de poursuites.

Sur l’ensemble des mandatures (depuis 1995), les atteintes involontaires à la vie, à l’intégrité physique et à la sécurité d’autrui constituent le 5e motif de poursuites (3,89 % des poursuites) et le 6e motif de condamnations des élus locaux (3,36 % des condamnations).

Ce n’est donc pas le contentieux pénal pour lequel les élus locaux sont les plus exposés. Mais les enjeux liés à la protection de la vie et de l’intégrité physique sont forts et expliquent une forte sensibilité à ce sujet.

8. Un élu peut-il être poursuivi pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui ?

A la différence de l’homicide et blessures involontaires, la mise en danger délibérée de la vie d’autrui (article 223-1 du code pénal) ne nécessite pas la réalisation d’un dommage. C’est une infraction dite formelle (par opposition aux infractions dites matérielles) qui n’intègre pas le résultat redouté (mort ou blessure de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente) dans les éléments constitutifs de l’infraction. Autant dire qu’il n’est pas nécessaire d’attendre un éventuel accident (ou une éventuelle contamination) pour que des poursuites puissent être engagées de ce chef.

Mais encore faut-il démontrer que l’auteur a :
 violé de façon manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ;
 exposé directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessure de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente.

Cette notion d’immédiateté du risque est-elle conciliable avec le délai d’incubation du covid-19 ? Il peut y avoir débat mais une circulaire du 25 mars 2020 de la direction des affaires criminelles et des grâces a précisé, à propos des manquements à l’obligation de confinement, que « l’exigence tenant à la caractérisation d’un risque immédiat de mort ou de blessures graves ne paraît pas pouvoir être remplie au regard des données épidémiologiques connues ». Si cette interprétation est retenue, cela voudrait qu’il en serait de même pour les élus et décideurs.

9.La commune peut-elle engager sa responsabilité pénale en cas de contamination ?

Potentiellement oui : à la différence de l’Etat, les collectivités territoriales peuvent engager leur responsabilité pénale en qualité de personne morale. Ainsi depuis 1994, l’Observatoire a recensé 50 collectivités territoriales et établissements publics locaux (dont 27 communes) condamnés pour des violences involontaires.

La distinction entre auteur direct et auteur indirect ne s’applique pas aux personnes morales (collectivités, entreprises ou associations) : une négligence simple suffit à engager la responsabilité des personnes morales dès lors qu’elle a été commise, pour son compte, par leurs organes ou représentants.

Il existe une limite juridique à l’engagement de la responsabilité pénale des collectivités : les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public. Ainsi dans la catastrophe du Drac [4], la Cour de cassation (Cour de cassation, chambre criminelle, 12 décembre 2000, N° 98-83969) avait écarté la responsabilité pénale de la commune relevant que « l’exécution même du service public communal d’animation des classes de découverte suivies par les enfants des écoles publiques et privées pendant le temps scolaire, qui participe du service de l’enseignement public, n’est pas, par nature, susceptible de faire l’objet de conventions de délégation de service public ».

Même si rien n’interdit de poursuivre cumulativement la personne morale et des personnes physiques, ces conditions restrictives pour engager la responsabilité des personnes morales de droit public peuvent, par ricochet, constituer une incitation indirecte à privilégier les poursuites contre les personnes physiques. Lever ce frein à l’engagement de la responsabilité des collectivités territoriales pourrait donc contribuer à alléger un peu plus la pression pénale sur les élus locaux.

En tout état de cause, y compris pour une personne morale, il faudrait établir un lien de causalité certain entre le faute imputée à son organe ou représentant, et le dommage subi.

📌 Sur le volet indemnitaire le risque de mise en jeu de la responsabilité civile personnelle d’un élu ou d’un fonctionnaire territorial en cas de contamination est très minime. Il faudrait en effet prouver à leur encontre une faute personnelle ce qui suppose la recherche d’un intérêt personnel ou la commission d’une faute d’une particulière gravité (et encore sur ce dernier point, en l’état de la jurisprudence, la chambre criminelle de la Cour de cassation ne retient pas la responsabilité civile personnelle d’un agent public en cas d’infractions non intentionnelles et ce quelle que soit la gravité de la faute commise).
La question de la responsabilité administrative de la collectivité pourrait en revanche se poser notamment en cas de défaillance dans l’exercice du pouvoir de police du maire (mais le risque est limité car en période d’état d’urgence sanitaire le pouvoir de police est très circonscrit compte tenu du pouvoir de police spéciale appartenant à l’Etat au regard de l’ordonnance rendue par le juge des référés du Conseil d’Etat le 17 avril 2020) ou de défaut d’entretien normal de l’ouvrage public (comme une mauvaise désinfection des locaux de l’école par exemple). Mais encore faudrait-il dans ce cas établir que la contamination a bien eu lieu dans l’ouvrage public et non à l’extérieur, ce qui serait là aussi délicat à établir (pour un exemple où la responsabilité d’une commune a été écartée après une infection d’un enfant liée à une piqûre d’insecte, faute pour la victime de pouvoir prouver que la piqûre s’est bien produite à l’école voir Tribunal administratif de Melun, 1er avril 2015 N°1402045

10. Si un maire est poursuivi à titre personnel pour des faits non intentionnels commis dans l’exercice de ses fonctions est-ce à la commune de prendre en charge sa défense ?

Oui dès lors que l’élu n’a pas commis de faute personnelle. Il appartient à la commune, sur délibération du conseil municipal à laquelle ne participe pas l’élu intéressé, d’accorder à l’élu la protection fonctionnelle et prendre en charge les frais d’avocat nécessaire à sa défense.

Depuis la loi engagement et proximité du 27 décembre 2019 (article 104), les communes sont tenues de s’assurer pour protéger les élus. Cet article a modifié en ce sens les articles L. 2123-34 et L. 2123-35 du code général des collectivités territoriales en créant une obligation d’assurance pour les collectivités territoriales avec compensation de l’Etat dans les communes de moins de 3500 habitants :

« La commune est tenue de souscrire, dans un contrat d’assurance, une garantie visant à couvrir le conseil juridique, l’assistance psychologique et les coûts qui résultent de l’obligation de protection à l’égard du maire et des élus mentionnés au deuxième alinéa du présent article. Dans les communes de moins de 3 500 habitants, le montant payé par la commune au titre de cette souscription fait l’objet d’une compensation par l’Etat en fonction d’un barème fixé par décret. »

🚨 Attention : la protection fonctionnelle due par la commune n’est pas automatique et suppose que l’élu n’ait pas commis de faute personnelle. Il est fortement recommandé aux élus de souscrire une assurance personnelle. En présence d’une faute personnelle, non seulement l’élu devra assurer seul sa défense, mais en outre il pourra engager son patrimoine personnel pour indemniser la victime. Or une faute personnelle peut être caractérisée même si l’élu n’a pas recherché un intérêt personnel. La chambre civile de la Cour de cassation (Cour de cassation, chambre civile 1, 25 janvier 2017, N° 15-10852) a ainsi annulé un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence qui avait exclu la responsabilité civile personnelle d’un maire recherchée par un propriétaire mécontent d’une décision de refus d’allotir. L’administré demandait au maire de l’indemniser personnellement de son préjudice résultant du retard pris dans les travaux. Les juges du fond avaient écarté la responsabilité civile personnelle du maire en soulignant l’absence de tout intérêt personnel de sa part. La chambre civile de la Cour de cassation censure cette position reprochant aux juges d’appel de ne pas avoir examiné la gravité de la faute imputée au maire et ce même en l’absence d’intérêt personnel poursuivi par celui-ci.
Selon notre baromètre, les infractions classées dans le code pénal comme étant non-intentionnelles (celles pour lesquelles l’octroi de la protection fonctionnelle ne soulève, en principe, pas de difficultés) représentent moins de 3 % des poursuites contre les élus locaux. C’est dire que dans 97 % l’octroi ou non de la protection fonctionnelle en cas de poursuites pénales pourra être sujet à des discussions, parfois vives, au sein du conseil municipal. La médiatisation de l’affaire, et de toujours possibles calculs politiques, ne seront pas nécessairement de nature à apporter de la sérénité aux débats...

📽En complément de cet article nous vous invitons à revivre en replay l’excellent webinaire consacré à la responsabilité des élus (Déconfinement : quels sont les pouvoirs et les responsabilités du maire ? organisé par la Gazette des communes et le Courrier des maires en partenariat avec SMACL Assurances. Me Yvon Goutal y répond aux questions de Guillaume Doyen et des internautes.

[1Photo : G-R Mottez sur Unsplash

[2Le même procès avait déjà eu lieu, de manière encore plus marquée, lors de l’adoption de la loi Fauchon du 10 juillet 2000. D’ailleurs si cette loi avait été adoptée, quatre ans après la loi de 1996, c’est parce que l’exigence d’une appréciation in concreto n’avait pas produit aux yeux du législateur les résultats escomptés (les juges répondant qu’ils se sont toujours livrés à une telle appréciation).

[3Principe que rappelle l’article 112-1 du code pénal : les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes

[4Le 4 décembre 1995, un lâcher d’eau d’un barrage EDF avait surpris une classe de la ville de Grenoble en excursion sur les bords du Drac. Six écoliers et une accompagnatrice s’étaient noyés.