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Coronavirus : pouvoirs et responsabilités des maires

Article mis à jour le 23 mars 2020

L’épidémie de Coronavirus qui touche notamment l’hexagone interroge sur les éventuelles responsabilités des collectivités. Si la prévention des maladies contagieuses relève de la compétence de l’Etat, les maires ne sont pas dénués de toutes prérogatives dans la lutte contre le virus Covid-19.

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La prévention des épidémies et des maladies transmissibles, une compétence de l’Etat

La prévention des maladies transmissibles relève de la compétence de l’Etat sous la forme de « décrets en Conseil d’Etat, pris après consultation du Haut Conseil de la santé publique et, le cas échéant, du Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels » (article L1311-1 du code de la santé publique).

En outre, « en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population » (article L3131-1 du code de la santé publique).

Toujours selon cet article, « le ministre peut habiliter le représentant de l’Etat territorialement compétent à prendre toutes les mesures d’application de ces dispositions, y compris des mesures individuelles. »

Relevons que si ces mesures individuelles doivent faire l’objet d’une information immédiate du procureur de la République, le préfet n’est en revanche pas tenu d’informer les maires des mesures individuelles concernant leurs administrés.

C’est ainsi que plusieurs arrêtés et décrets ont été publiés au journal officiel en durcissant le dispositif au fur et à mesure de l’évolution de l’épidémie (un tableau de suivi est disponible ici.

En outre, l’article L1311-4 du code de la santé publique, donne compétence au préfet « en cas d’urgence, notamment de danger ponctuel imminent pour la santé publique », le pouvoir « d’ordonner l’exécution immédiate, tous droits réservés, des mesures prescrites par les règles d’hygiène. »

Autant dire que selon les dispositions du code de la santé publique, c’est clairement l’Etat qui est en première ligne pour lutter contre les épidémies. Pour autant les maires ne sont pas dénués de toute prérogatives et donc de toutes responsabilités en la matière.

Ainsi l’article L1311-2 du même code dispose que les décrets pris pour la prévention des maladies transmissibles « peuvent être complétés par des arrêtés du représentant de l’Etat dans le département ou par des arrêtés du maire ayant pour objet d’édicter des dispositions particulières en vue d’assurer la protection de la santé publique dans le département ou la commune ».

Ainsi, le code de la santé publique, donne compétence au maire pour relayer et compléter sur le territoire de la commune les actions de prévention engagées à titre principal par l’Etat au niveau national et départemental.

Les pouvoirs de police du maire dans le code général des collectivités territoriales

Au titre de son pouvoir de police générale (article L2212-2 5° du code général des collectivités territoriales), le maire doit notamment « prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours et, s’il y a lieu, de provoquer l’intervention de l’administration supérieure ».

Ces dispositions sont à rapprocher de l’article L. 2212-4 du même code, selon lequel, «  en cas de danger grave ou imminent (...) le maire prescrit l’exécution de mesures de sûreté exigées par les circonstances. Il informe d’urgence le représentant de l’Etat dans le département et lui fait connaître les mesures qu’il a prescrites ».

Pour autant comme il a été dit ci-dessus, la police spéciale de la prévention des maladies contagieuses relève de la compétence de l’Etat. Il y a donc concurrence entre deux autorités de police : la police spéciale appartenant au préfet, la police générale au maire [2]. En pareille situation, le titulaire du pouvoir de police générale ne peut atténuer les mesures prises par le titulaire du pouvoir de police spéciale. Par exemple un maire ne pourrait décider de relever le seuil à partir duquel les rassemblements en milieu fermé sont autorisés sur sa commune. En revanche si des circonstances locales le justifient (ex : apparition d’un foyer de contamination sur la commune), et en cas de danger grave et imminent, le maire peut décider de durcir le dispositif sur le territoire communal, en respectant le principe de proportionnalité et en prenant soin de limiter dans le temps les mesures prises.

C’est ainsi qu’en étroite concertation avec les services de la préfecture, avant l’édiction des mesures nationales, le maire de la commune de Balme-de-Sillingy (Haute-Savoie) avait pris un arrêté municipal le 28 février 2020 ordonnant la fermeture pour 14 jours (période d’incubation du virus) de tous les services municipaux, des écoles et des crèches et annulant pour la même période toutes les manifestations et activités sportives, les locations et prêts de salles communales, les réunions et activités associatives, ainsi que le marché dominical. S’il n’avait pris ces mesures, le préfet aurait été en droit de se substituer au maire, après mise en demeure infructueuse, sur le fondement de l’article L2215-1 1° du code général des collectivités territoriales.

Dans le département de l’Oise où ce sont plusieurs communes qui sont concernées, c’est le préfet qui a interdit par arrêté du 29 février 2020 (toujours avant les mesures nationales) tous les rassemblements collectifs dans le département jusqu’au 14 mars 2020. En effet le représentant de l’Etat dans le département est seul compétent pour prendre les mesures relatives à l’ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, dont le champ d’application excède le territoire d’une commune (article L2215-1 3° du code général des collectivités territoriales).

De fait dans son ordonnance du 22 mars 2020, le juge des référés du Conseil d’Etat souligne le rôle important des maires :

- « le représentant de l’État dans le département et le maire disposent, dans les conditions et selon les modalités fixées en particulier par le code général des collectivités territoriales, du pouvoir d’adopter, dans le ressort du département ou de la commune, des mesures plus contraignantes permettant d’assurer la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, notamment en cas d’épidémie et compte tenu du contexte local » ;

- « il appartient à ces différentes autorités de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie. Ces mesures, qui peuvent limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux, comme la liberté d’aller et venir, la liberté de réunion ou encore la liberté d’exercice d’une profession doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent » ;

- « dans le cadre du pouvoir qui leur a été reconnu par ce décret ou en vertu de leur pouvoir de police les représentants de l’Etat dans les départements comme les maires en vertu de leur pouvoir de police générale ont l’obligation d’adopter, lorsque de telles mesures seraient nécessaires des interdictions plus sévères lorsque les circonstances locales le justifient. »

- « Enfin, une information précise et claire du public sur les mesures prises et les sanctions encourues doit être régulièrement réitérée par l’ensemble des moyens à la disposition des autorités nationales et locales. »

Dans des termes ne laissant pas place à l’équivoque, le juge des référés conforte ainsi le pouvoir de police des maires dans la lutte contre l’épidémie et ce bien que la police spéciale de lutte contre les épidémies relève de la compétence de l’Etat.

Quelles responsabilités pour les collectivités et les maires ?

Une défaillance dans l’exercice des pouvoirs de police du maire est susceptible d’engager la responsabilité de la commune devant les juridictions administratives s’il en résulte un dommage (en l’espèce une contamination) pour un administré. Si comme nous l’avons évoqué, le pouvoir de police spéciale de la prévention des maladies contagieuses relève de la compétence de l’Etat (lequel serait donc logiquement en 1ère ligne en cas de recherche en responsabilité), il n’en demeure pas moins que l’on ne peut exclure que la responsabilité d’une commune soit recherchée dans l’hypothèse où les mesures de police seraient jugées insuffisantes ou trop tardives et auraient favorisé des contaminations. Le plus délicat serait sans doute d’établir un lien de causalité entre la faute de l’administration et la contamination au regard notamment de la période d’incubation du virus de 14 jours.

Mais sur le plan des principes, la compétence principale de l’Etat ne fait pas obstacle, à ce que la responsabilité d’une collectivité soit également recherchée. Par exemple, dans un autre domaine, à la suite de la catastrophe du Grand-Bornand, la responsabilité de l’Etat (le préfet ayant délivré l’autorisation d’ouverture du terrain de camping sans prescrire de mesures particulières susceptibles de protéger contre les inondations les installations et les occupants du terrain) n’avait pas été exclusive de celle de la commune : les pouvoirs de police du préfet pour délivrer l’autorisation d’ouverture du camping ne dispensaient pas en effet le maire d’exercer ses propres pouvoirs de police « qui lui imposait de veiller à la sécurité publique et, plus particulièrement, de prévenir par des précautions convenables les fléaux calamiteux tels que les inondations » (Cour administrative d’appel de Lyon, 13 mai 1997, N° 94LY00923 94LY01204).

En cas de contamination résultant d’une carence fautive dans l’exercice des pouvoirs de police (du préfet et/ou du maire), il ne peut être exclu que des poursuites pénales pour homicide et blessures involontaires soient engagées contre des représentants de l’Etat et/ou le maire. Peuvent en effet engager leur responsabilité pénale, les personnes physiques qui bien que n’ayant pas causé directement le dommage, ont créé ou ont contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter (article 121-3 du code pénal. Deux types de fautes peuvent engager la responsabilité pénale de ces "auteurs indirects" :

 la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité imposée par la loi ou le règlement ;
 la faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qui ne pouvait être ignoré.

Un maire qui s’affranchirait des règles édictées au niveau national (ou renforcées par arrêté préfectoral dans le département) les jugeant disproportionnées et qui autoriserait, par exemple une manifestation rassemblant un nombre de personnes dépassant le seuil autorisé (ou qui laisserait ouverts au public des lieux qui doivent être fermés), s’exposerait à des poursuites pénales pour homicide et blessures involontaires en cas de contamination au cours de la manifestation litigieuse.

Là aussi, la question de la preuve du lien de causalité entre la faute imputée à l’élu et la contamination serait sans doute la plus délicate à rapporter. Mais on peut se demander si, même en l’absence de toute contamination démontrée, des poursuites pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui (article 223-1 du code pénal) ne pourraient pas être engagées. En effet ce délit peut être caractérisé, en amont de tout préjudice (et donc de toute contamination), en cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement. Si la Cour de cassation (Cour de cassation chambre criminelle, 25 juin 1996, N° de pourvoi : 95-86205 a eu l’occasion de préciser que le pouvoir de police générale du maire ne constituait pas une obligation particulière de sécurité, la violation d’un texte réglementaire imposant des règles de sécurité particulière pour prévenir l’épidémie, laquelle est potentiellement mortelle, pourrait rentrer dans ce cadre. Certes il faudrait démontrer que la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité exposait « directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente », mais le risque relativement élevé (5 % selon les connaissances scientifiques actuelles) de développer une forme aigüe de la maladie pourrait plaider en ce sens.

Enfin pour poursuivre jusqu’au bout la logique juridique des principes de la responsabilité pénale non intentionnelle, il pourrait être envisagé, que la responsabilité pénale d’un élu soit pénalement recherchée pour avoir ne pas avoir respecté les gestes barrière et de distanciation sociale (en violation de l’article préliminaire de l’arrêté du 14 mars 2020) au risque de contaminer d’autres personnes alors qu’il avait été préalablement en contact avec des personnes malades ou qu’il avait lui même développé des symptômes et se savait potentiellement contaminé. Dans cette hypothèse, l’élu pourrait être considéré comme un auteur direct du dommage, sa responsabilité pénale pouvant être retenue sur la base d’une négligence simple (mais toujours sous la réserve de la démonstration d’un lien de causalité certain entre la poignée de mains et la contamination).

Plan communal de sauvegarde

Le plan communal de sauvegarde fait partie des outils à la disposition des communes.
De fait, en réponse à un courrier du Premier ministre du 25 février, la plupart des maires des grandes villes ont préactivé le volet « Crise sanitaire » de leurs plans communaux de sauvegarde. Dans un communiqué, France urbaine, fait ainsi état de la mise en place de petites cellules de suivi et de veille (rassemblant généralement les services Prévention des risques, Santé, Protection de la population, Ressources humaines, Environnement du travail, Communication interne et externe), « en lien avec les autorités sanitaires, pour faire le point sur la situation ainsi que sur les actions relevant de la collectivité vis-à-vis de la population et de ses agents, ou concernant le fonctionnement des services » avec pour priorité « de relayer l’information sanitaire aux habitants et aux agents pour contenir les risques de contagion ».

L’occasion de rappeler que si le plan communal de sauvegarde n’est obligatoire que pour les communes dotées d’un plan de prévention des risques naturels (PPRN) prévisibles approuvés (articles L. 562-1 à L. 562-9 du Code de l’Environnement) ou comprises dans le champ d’application d’un plan particulier d’intervention (PPI), il n’en demeure pas moins un outil opérationnel d’aide à la décision qui peut être mis en œuvre dans toutes les communes pour gérer les risques liés à tout type d’évènement : tempêtes, inondations, explosions, grands rassemblements... et pandémie. Un outil qui, sous l’effet de l’épidémie du coronavirus, pourrait retrouver une nouvelle jeunesse et s’inviter dans le débat à l’occasion des élections municipales...

[1Photo par CDC sur Unsplash

[2Sur l’articulation entre de ces deux pouvoirs de police voir "Coronavirus : quelle articulation entre compétences du maire et de l’Etat ?", Thomas Chevandier et Aloïs Ramel (Avocats - Cabinet Seban et associés), Gazette des communes 28 février 2020 / "Coronavirus : quel est le rôle du maire ?" Thomas CHEVANDIER, La Gazette des communes 16 mars 2020