Hors période d’état d’urgence sanitaire, les maires peuvent-ils, au plan local, durcir le dispositif national pour lutter contre la propagation du coronavirus ?
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Oui si les circonstances locales le justifient répond le juge des référés du Conseil d’Etat avant l’adoption de la loi du 23 mars 2020. Si le maire ne peut pas alléger les mesures prises au niveau national par les pouvoirs publics, il peut durcir le dispositif au titre de son pouvoir de police lorsque les circonstances locales le nécessitent. C’est même une obligation relève le Conseil d’Etat dans son ordonnance du 22 mars 2020 : « les maires en vertu de leur pouvoir de police générale ont l’obligation d’adopter, lorsque de telles mesures seraient nécessaires des interdictions plus sévères lorsque les circonstances locales le justifient. » Il appartient ainsi au maire de prendre toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie par des mesures adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique. Il appartient également aux autorités locales, rappelle le juge des référés, de délivrer une information précise et claire du public sur les mesures prises et les sanctions encourues, avec des piqûres régulières de rappel. Attention : par une ordonnance du 17 avril 2020, le juge des référés du Conseil d’Etat a statué sur les pouvoirs de police du maire en période d’état d’urgence sanitaire en précisant que les règles étaient différentes durant cette période : les maires ne peuvent prendre des mesures supplémentaires de lutte contre le covid-19 que si des circonstances propres à leur commune l’imposent de manière impérieuse, et à condition que les arrêtés municipaux ne nuisent pas à la cohérence des mesures prises, dans l’intérêt de la santé publique, par les autorités sanitaires compétentes.
Estimant que les mesures prises pour lutter contre l’épidémie sont insuffisantes, un syndicat de jeunes médecins demande au juge des référés du Conseil d’Etat d’enjoindre notamment au Gouvernement de prononcer un confinement total de la population.
Dans une ordonnance rendue le 22 mars 2020, le juge des référés accepte d’examiner la demande. En effet le droit au respect de la vie, rappelé notamment par l’article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, constitue bien une liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.
Un confinement total jugé inapproprié et dangereux
Mais le juge des référé du Conseil d’Etat rejette la demande d’un confinement total estimant qu’une telle mesure pourrait avoir des implications graves pour la santé de la population :
1° « Si un confinement total de la population dans certaines zones peut être envisagé, les mesures demandées au plan national ne peuvent, s’agissant en premier lieu du ravitaillement à domicile de la population, être adoptées, et organisées sur l’ensemble du territoire national, compte tenu des moyens dont l’administration dispose, sauf à risquer de graves ruptures d’approvisionnement qui seraient elles-mêmes dangereuses pour la protection de la vie et à retarder l’acheminement des matériels indispensables à cette protection » ;
2° « En outre, l’activité indispensable des personnels de santé ou aidants, des services de sécurité de l’exploitation des réseaux, ou encore des personnes participant à la production et à la distribution de l’alimentation rend nécessaire le maintien en fonctionnement, avec des cadences adaptées, des transports en commun, dont l’utilisation est restreinte aux occurrences énumérées par le décret du 16 mars 2020. »
3° « Par ailleurs, la poursuite de ces diverses activités vitales dans des conditions de fonctionnement optimales est elle-même tributaire de l’activité d’autres secteurs ou professionnels qui directement ou indirectement leur sont indispensables, qu’il n’apparaît ainsi pas possible d’interrompre totalement. »
Des précisions exigées
Pour autant le juge des référés estime que le dispositif actuel de confinement nécessite d’être amélioré au regard des difficultés rencontrées en pratique pour sa mise en œuvre. Ainsi « l’ambiguïté de la portée de certaines dispositions, au regard en particulier de la teneur des messages d’alerte diffusés à la population » est dénoncée :
1° « Il en va ainsi tout d’abord du 3° de l’article 1er du décret du 16 mars 2020 qui autorise, sans autre précision quant à leur degré d’urgence, les "déplacements pour motif de santé" ».
2° « La portée du 5° du même article qui permet les "déplacements brefs, à proximité du domicile, liés à l’activité physique individuelle des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive collective, et aux besoins des animaux de compagnie" apparait trop large, notamment en rendant possibles des pratiques sportives individuelles, telles le "jogging" ».
3° « Enfin, il en va de même du fonctionnement des marchés ouverts, sans autre limitation que l’interdiction des rassemblements de plus de cent personnes dont le maintien paraît autoriser dans certains cas des déplacements et des comportements contraires à la consigne générale ».
D’où l’injonction faite au Premier ministre et au ministre de la santé, de prendre dans les quarante-huit heures les mesures suivantes :
- - préciser la portée de la dérogation au confinement pour raison de santé ;
- - réexaminer le maintien de la dérogation pour « déplacements brefs à proximité du domicile » compte tenu des enjeux majeurs de santé publique et de la consigne de confinement ;
- - évaluer les risques pour la santé publique du maintien en fonctionnement des marchés ouverts, compte tenu de leur taille et de leur niveau de fréquentation.
La déclinaison locale et le durcissement des mesures prises au niveau national : un devoir pour les maires
Mais si l’ordonnance du juge des référés a été médiatisée sur la question du confinement total, elle est passée plus inaperçue sur un autre aspect qui intéresse directement les collectivités territoriales. Le juge des référés souligne en effet leur rôle important :
– « le représentant de l’État dans le département et le maire disposent, dans les conditions et selon les modalités fixées en particulier par le code général des collectivités territoriales, du pouvoir d’adopter, dans le ressort du département ou de la commune, des mesures plus contraignantes permettant d’assurer la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, notamment en cas d’épidémie et compte tenu du contexte local » ;– « il appartient à ces différentes autorités de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie. Ces mesures, qui peuvent limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux, comme la liberté d’aller et venir, la liberté de réunion ou encore la liberté d’exercice d’une profession doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent » ;
– « dans le cadre du pouvoir qui leur a été reconnu par ce décret ou en vertu de leur pouvoir de police les représentants de l’Etat dans les départements comme les maires en vertu de leur pouvoir de police générale ont l’obligation d’adopter, lorsque de telles mesures seraient nécessaires des interdictions plus sévères lorsque les circonstances locales le justifient. »
– « Enfin, une information précise et claire du public sur les mesures prises et les sanctions encourues doit être régulièrement réitérée par l’ensemble des moyens à la disposition des autorités nationales et locales. »
Dans des termes ne laissant pas place à l’équivoque, le juge des référés conforte ainsi le pouvoir de police des maires dans la lutte contre l’épidémie et ce bien que la police de lutte contre les épidémies relève de la compétence de l’Etat. Le juge des référés va plus loin en soulignant qu’il s’agit d’une véritable obligation pour les maires, ce qui peut conduire à d’éventuelles recherches en responsabilité en cas de défaillance comme nous l’avions déjà souligné [2]. De fait, de nombreux maires n’ont pas attendu l’ordonnance du Conseil d’Etat pour prendre des mesures plus contraignantes après avoir constaté que les règles de confinement édictées au niveau national n’étaient pas toujours respectées dans leur commune, notamment en fermant certains lieux particulièrement fréquentés au public, en restreignant la possibilité des sorties pour l’exercice d’une activité physique, voire même en imposant un couvre-feu.
Si les maires doivent veiller à prendre des mesures « adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique », et penser à limiter dans le temps les restrictions imposées, l’état d’urgence sanitaire peut les conduire, en concertation avec les services de la préfecture, à limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux, comme la liberté d’aller et venir, la liberté de réunion ou encore la liberté d’exercice d’une profession quand les circonstances locales le justifient.