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Harcèlement moral : même sans intention de nuire

Cour de cassation, chambre criminelle, 13 novembre 2019, N° 18-85367

Le délit de harcèlement moral suppose-t-il que soit démontrée une intention de nuire ?

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Non : constitue le délit de harcèlement moral le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel. Il n’est pas nécessaire de prouver une intention de nuire. C’est ce que rappelle la Cour de cassation à une chambre de l’instruction qui avait jugé du contraire dans le cadre d’une plainte après le suicide d’une salariée d’une association qui avait laissé une lettre expliquant son geste et exposant que sa mort devrait être imputée à sa hiérarchie.

Une médecin du travail, salariée d’une association de santé au travail, est retrouvée sans vie à son domicile. L’enquête conclut qu’il s’agit d’un suicide. La défunte, a laissé derrière elle des éléments écrits accusant son employeur de harcèlement moral et de non-respect de la législation sociale à son égard, exposant que sa mort devrait être imputée à sa hiérarchie. A la suite de la plainte des chefs de harcèlement moral et de discrimination, déposée au nom des membres de la famille de la victime et de plusieurs syndicats professionnels le procureur de la République prend un réquisitoire introductif des chefs de harcèlement moral et homicide involontaire.

Le juge d’instruction dit n’y avoir lieu à suivre contre quiconque, ce que confirme la chambre de l’instruction en prenant appui sur la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle pour caractériser les éléments constitutifs du délit de harcèlement moral, il faut que soient démontrés :

- l’existence d’agissements répétés qui ont outrepassé les limites de l’exercice du pouvoir disciplinaire de l’employeur, et ont porté atteinte au droit, à la dignité et à la santé d’une salariée ;

- des actes fautifs ayant gravement dégradé les conditions de travail de la victime et ayant concouru à l’altération de son état de santé.

Mais les juges ajoutent que le délit de harcèlement moral suppose, pour être établi, des actes positifs et une véritable intention de nuire de la part du ou de ses auteurs. Or en l’espèce, poursuivent les magistrats de la chambre de l’instruction, l’information judiciaire n’a mis en évidence aucun propos ou comportement répétés susceptibles de traduire une telle intention délibérée, tels qu’une mise à l’écart, des propos insultants ou menaçants, des comportements humiliants ou méprisants ou encore des pressions insupportables.

La Cour de cassation censure cette position reprochant aux juges d’appel d’avoir ajouté une condition non prévue par la loi : l’exigence d’une intention de nuire.

Cela ne signifie pas pour autant qu’en l’espèce l’infraction est caractérisée. L’affaire n’est pas encore jugée sur le fond et il appartiendra à la chambre de l’instruction de renvoi de se prononcer sur l’existence d’éléments à charge suffisants pouvant justifier un renvoi devant le tribunal correctionnel.

Cour de cassation, chambre criminelle, 13 novembre 2019, N° 18-85367

[1Photo : Pim Chu sur Unsplash