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L’imprécision du cahier des charges, une atteinte aux obligations de publicité et de mise en concurrence

Conseil d’État, 12 juillet 2019, N°429782

La diffusion d’une information incomplète et erronée aux candidats peut-elle caractériser un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence justifiant l’annulation du marché ?

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Oui dès lors qu’il s’agit d’une information utile pour l’élaboration des offres. Doit être ainsi annulée l’attribution d’un marché à la suite d’une information incomplète et erronée fournie aux candidats en ce qui concerne le nombre et la répartition des commandes, ce qui a pu avoir une incidence sur le prix. Ce d’autant qu’il ne peut être exclu, compte-tenu du faible écart de note entre les deux premiers candidats, que l’ordre aurait pu être inversé si cette information avait été correctement délivrée. De manière incidente le juge des référés souligne que la société attributaire a pu bénéficier à ce titre de sa situation d’attributaire sortant. Le Conseil d’Etat ne se place pas en l’espèce sur ce terrain mais les imprécisions d’un cahier des charges peuvent, à l’évidence, conduire à donner un avantage décisif au candidat sortant.

La Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM) lance une procédure d’appel d’offres ouvert pour la conclusion d’un marché en vue du renouvellement, pour une durée de cinq ans, du programme français de dépistage du cancer colorectal reposant sur l’utilisation d’un test immunologique et sa solution de lecture. Le marché est attribué à un groupement dont le mandataire est le candidat sortant. Trois laboratoires évincés contestent cette attribution devant le juge des référés précontractuels estimant que l’information délivrée par l’acheteur n’était pas suffisante pour pouvoir répondre utilement.

Le juge des référés annule la procédure, ce qu’approuve le Conseil d’Etat. En effet :

 une information incomplète et erronée a été fournie aux candidats en ce qui concerne le nombre et la répartition des commandes, alors qu’il s’agissait d’une information utile pour l’élaboration des offres, car elle avait notamment une incidence sur le coût du transport ; cette irrégularité constitue un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.

 si la quantité totale des commandes de l’année de référence figurait bien dans une annexe du cahier des charges techniques particulières (CCTP), cette annexe ne permettait pas de distinguer, au sein des commandes des centres de gestion, la répartition entre coffrets de 20 et de 50 " kits ", et le tableau transmis aux candidats le jour de l’expiration du délai qui leur était imparti pour demander des renseignements complémentaires, comportait des incohérences, ne permettait pas de déterminer la périodicité des volumes indiqués et comprenait des données ne correspondant pas à celles figurant dans l’annexe.

En filigrane se posait la question de l’avantage concurrentiel dont disposait l’attributaire sortant qui a pu mieux adapter sa réponse aux besoins de l’acheteur. De fait le juge des référés avait relevé incidemment que la société avait pu bénéficier de sa situation d’attributaire sortant. Le Conseil d’Etat ne se place pas sur ce terrain mais approuve le juge des référés d’avoir souligné le faible écart de note entre les deux premiers candidats. Ainsi il ne peut être exclu qu’en l’absence du manquement relevé, la société classée seconde aurait pu obtenir une meilleure note que la société attributaire.

A noter que ce contentieux avait fait craindre le risque d’une pénurie de tests de dépistage de cancer colorectal, ce qui a conduit la CNAM à conclure en urgence un marché transitoire de fourniture de kits de dépistage immunologique et de gestion de la solution d’analyse. Si aucune solution n’avait pu être trouvée pour lever le risque de pénurie, les impératifs de santé publique auraient pu conduire le juge des référés à ne pas suspendre le marché, malgré les irrégularités constatées. Les dispositions de l’article L. 551-2 du code de justice administrative l’y autorise « s’il estime, en considération de l’ensemble des intérêts susceptibles d’être lésés et notamment de l’intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l’emporter sur leurs avantages ».

Conseil d’État, 12 juillet 2019, N° 429782

[1Photo : Lucas Vasques sur Unsplash