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Evacuation forcée d’un terrain occupé depuis plusieurs années : attention au respect des droits fondamentaux

Conseil d’État, Juge des référés, 13 Février 2019 n° 427423

Un maire peut-il ordonner l’expulsion d’un campement illégal durablement installé sans proposer de solution pérenne de relogement aux intéressés ?

 [1]

Non : il s’agit d’une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie privée et familiale et au domicile des intéressés. Peu importe que le campement soit illégal : dès lors que les familles sont installées depuis plusieurs années et y ont élu domicile, une solution pérenne de relogement doit leur être proposée. En l’espèce la commune avait proposé un hébergement à l’hôtel pendant un mois pour les familles d’enfant de moins de trois ans aux frais de la commune et la mise en œuvre par l’État du dispositif d’hébergement d’urgence prévu par l’article L. 345-2-2 du code de l’action sociale et des familles. Solution jugée insuffisante par le juge des référés du Conseil d’État qui suspend en conséquence l’arrêté du maire mettant en demeure les intéressés de quitter les lieux dans un délai de sept jours sous peine d’évacuation forcée.

Un maire prend un arrêté par lequel il met en demeure des roms de libérer, dans un délai de 7 jours, un terrain qu’ils occupent depuis plusieurs années. A défaut de quoi, il fera procéder à l’évacuation forcée.
Le juge des référés du tribunal administratif, saisi d’un recours des occupants pour suspension de l’arrêté, rejette la demande mais le Conseil d’État leur donne raison.

L’urgence de l’intervention du juge

Le Conseil d’État retient l’urgence de la situation puisqu’il n’a été proposé aucune solution de relogement aux familles, à l’exception d’un hébergement à l’hôtel pendant un mois des familles d’enfant de moins de trois ans aux frais de la commune et de la mise en œuvre par l’État du dispositif d’hébergement d’urgence prévu par l’article L. 345-2-2 du code de l’action sociale et des familles. Le juge relève à cet égard que les familles y ont établi leur domicile, au sens juridique du terme, ce terrain étant le centre de leurs affaires (sur la notion d’occupation durable et de qualification de domicile, voir Cour de cassation, chambre civile 3, 7 avril 2016, n°15-15011).

La mairie se défend en expliquant que le terrain va être affecté prochainement à la desserte d’habitations en construction et à l’accès pompier d’un futur groupe scolaire. Pour autant le juge estime que l’arrêté « est de nature à porter une atteinte grave et immédiate » à la situation des familles installées.

Nécessaire conciliation de l’exercice des pouvoirs de police du maire et du respect de la vie privée

Revenant sur le régime des pouvoirs de police, le juge rappelle qu’il appartient à l’édile de prendre les dispositions nécessaires pour faire quitter des personnes d’un terrain situé dans la commune si son occupation fait peser sur les occupants et les tiers un danger grave et imminent.

Pour caractériser ce danger, la collectivité invoque :
  l’accès difficile pour les secours ;
  la proximité immédiate d’une route nationale ;
  le danger des installations et branchements des câbles électriques par les occupants ;
  une augmentation du nombre d’occupants engendrant des risques d’insalubrité.

La jurisprudence a déjà rappelé à plusieurs reprises que l’exercice des pouvoirs de police du maire dans le cadre de la prise de mesures à l’encontre des occupants de terrain est conditionnée à la fois par le respect des droits fondamentaux et par la proportionnalité de la mesure.

Ainsi la préservation de la sécurité ne doit pas se faire au détriment du respect des droits fondamentaux comme le respect du droit à la vie privée, notamment en cas d’occupation durable (Cour de cassation, chambre civile 3, 7 avril 2016, n°15-15011).

De même, le maire peut justifier une décision de refus de raccordement au réseau par l’application des règles de l’urbanisme et de protection de l’environnement, à condition que ce refus soit proportionné à l’objectif poursuivi, à défaut de quoi il y aura ingérence dans la vie privée (Conseil d’État, 15 décembre 2010, N° 323250).

Un danger imminent non démontré

En l’espèce le maire avait déjà précédemment émis un autre arrêté pour faire procéder à l’évacuation du terrain en raison d’un risque incendie, arrêté annulé par le tribunal administratif au motif que le risque n’était pas établi.

Pour ce nouvel arrêté reprenant pour partie les mêmes motifs, le Conseil d’État considère que les éléments invoqués ne sont pas plus établis tant par le rapport du service de salubrité que par le procès-verbal d’huissier.

De plus, le juge rappelle que la commune elle-même a mis en place des mesures d’hygiène afin de lutter contre le risque d’insalubrité :
 mise en place et entretien de sanitaires et de bennes à ordures ;
 aménagement d’un accès pour les secours ;
 installation des branchements électriques en hauteur.

Le Conseil d’État tranche en faveur des occupants du terrain, suspendant l’exécution de l’arrêté :

"l’arrêté contesté, en mettant en demeure l’ensemble des habitants de quitter les lieux, a porté, en l’état de l’instruction, une atteinte grave et manifestement illégale, eu égard à l’absence de relogement mentionnée au point 5, à leur droit au respect de leur vie privée et familiale ainsi que de leur domicile."

Conseil d’État, Juge des référés, 13/02/2019, 427423

[1Photo : Anh Vy sur Unsplash