L’utilisation à des fins commerciales de l’image d’un bâtiment public est-elle assimilée à une utilisation privative du domaine public justifiant le paiement d’une redevance ?
Non.
En l’espèce une célèbre marque de bière réalise des photographies du château de Chambord, qui appartient au domaine public immobilier de l’Etat, en vue de l’utilisation de l’image de ce château dans le cadre d’une campagne publicitaire. L’établissement public indique à la société que l’utilisation de l’image du château à des fins commerciales constitue une utilisation privative du domaine public justifiant le versement d’une contrepartie financière. Deux titres de recettes exécutoires sont émis. Les juridictions administratives annulent les titres de recette ce que confirme le Conseil d’Etat :
🔸 l’occupation ou l’utilisation du domaine public n’est soumise à la délivrance d’une autorisation que lorsqu’elle constitue un usage privatif de ce domaine public, excédant le droit d’usage appartenant à tous. L’occupation ou l’utilisation du domaine public dans les limites ne dépassant pas le droit d’usage appartenant à tous, laquelle n’est soumise à la délivrance d’aucune autorisation, ne peut, par suite, être assujettie au paiement d’une redevance.
🔸 Si l’opération consistant en la prise de vues d’un bien appartenant au domaine public est susceptible d’impliquer, pour les besoins de la réalisation matérielle de cette opération, une occupation ou une utilisation du bien qui excède le droit d’usage appartenant à tous, une telle opération ne caractérise toutefois pas, en elle-même, un usage privatif du domaine public.
🔸 L’utilisation à des fins commerciales de l’image d’un tel bien ne saurait être assimilée à une utilisation privative du domaine public, au sens des dispositions du code général de la propriété des personnes publiques.
🔸 L’autorité administrative ne saurait, en l’absence de disposition législative le prévoyant, soumettre à un régime d’autorisation préalable l’utilisation à des fins commerciales de prises de vues d’un immeuble appartenant au domaine public, un tel régime étant constitutif d’une restriction à la liberté d’entreprendre et à l’exercice du droit de propriété.
🔸Certes de nouvelles dispositions ont été introduites dans le code du patrimoine dans le but de protéger l’image des domaines nationaux et de permettre leur valorisation économique [1] mais cette disposition n’a été instituée que par la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, le domaine de Chambord n’ayant lui-même été défini comme domaine national que par le décret du 2 mai 2017 fixant la liste et le périmètre de domaines nationaux. Ainsi, antérieurement à l’entrée en vigueur de l’article L. 621-42 du code du patrimoine, le gestionnaire du domaine national de Chambord ne tenait d’aucun texte ni d’aucun principe le droit de soumettre à autorisation préalable l’utilisation à des fins commerciales de l’image du château. Dans ces conditions, une telle utilisation sans autorisation préalable ne constituait pas une faute.
🔸Le seul préjudice dont le domaine national de Chambord peut, le cas échéant, demander réparation était celui résultant d’une utilisation de cette image qui lui aurait causé un trouble anormal, dans les conditions définies par la jurisprudence de la Cour de cassation. Mais il n’appartient pas pas à la juridiction administrative, en l’absence de disposition législative contraire, de statuer sur la responsabilité qu’une personne privée peut avoir encourue à l’égard d’une personne publique, une telle action indemnitaire relève de la compétence de la juridiction judiciaire.
Conseil d’État, 13 avril 2018, N° 397047
[1] Le législateur a prévu, à l’article L. 621-42 du code du patrimoine, la possibilité pour les gestionnaires des domaines nationaux de soumettre à autorisation préalable l’utilisation à des fins commerciales de l’image des immeubles qui constituent ces domaines, lesquels peuvent relever d’un régime de domanialité publique.
Cette autorisation peut prendre la forme d’un acte unilatéral ou d’un contrat, assorti ou non de conditions financières, la redevance éventuellement mise à la charge du titulaire de l’autorisation tenant compte des avantages de toute nature que celle-ci lui procure.
Ainsi il découle de ces dispositions que l’utilisation à des fins commerciales des prises de vues d’un immeuble entrant dans leur champ, sans qu’ait été au préalable obtenue l’autorisation qu’elles prévoient, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’utilisateur à l’égard du propriétaire ou du gestionnaire de l’immeuble, le préjudice subi par celui-ci consistant notamment en l’absence de perception de la redevance dont l’autorisation aurait pu être assortie.
La victime du dommage peut, dans ce cas, en demander la réparation devant la juridiction administrative, alors même qu’elle aurait le pouvoir d’émettre un état exécutoire en vue d’obtenir le paiement de la somme qu’elle réclame.