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Licenciement pour insuffisance professionnelle d’un cadre territorial : précisions du Conseil d’Etat

Conseil d’État, 13 avril 2018, N° 410411

Un cadre territorial peut-il être licencié pour insuffisance professionnelle pour des carences dans un poste sur lequel il a été illégalement affecté ?

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Oui : l’aptitude d’un fonctionnaire à exercer normalement ses fonctions peut être appréciée au regard de fonctions auxquelles il a été irrégulièrement nommé sauf si ses fonctions ne correspondent pas à celles pour lesquelles il a été engagé ou à celles de son grade. En effet un fonctionnaire irrégulièrement nommé aux fonctions qu’il occupe doit être regardé comme légalement investi de ces fonctions tant que sa nomination n’a pas été annulée. Le licenciement pour insuffisance professionnelle d’un fonctionnaire ne peut être fondé que sur des éléments manifestant son inaptitude à exercer normalement les fonctions pour lesquelles il a été engagé ou correspondant à son grade et non sur une carence ponctuelle dans l’exercice de ces fonctions. Mais pour autant il n’est pas nécessaire que l’insuffisance professionnelle ait été constatée à plusieurs reprises au cours de la carrière de l’agent ni qu’elle ait persisté après qu’il ait été invité à remédier aux insuffisances constatées. Est ainsi justifié le licenciement pour insuffisance professionnelle d’une attachée territoriale recrutée initialement comme DRH et qui avait été finalement chargée de la veille documentaire des modes de financement et d’un observatoire des subventions. Peu importe que cette nomination ait été ensuite annulée pour vice de procédure par le tribunal administratif dès lors que les missions confiées correspondaient bien à celles que peut exercer une attachée, et que l’intéressée a manqué de diligence et de rigueur dans l’exercice de ses fonctions et s’est révélée inapte à leur exercice.

Une attachée territoriale est recrutée en 2007 par une commune comme directrice des ressources humaines (DRH). Deux ans plus tard elle est nommée chargée de mission des politiques contractuelles en matière de ressources humaines avant d’être finalement "chargée de la veille documentaire des modes de financement et de l’observatoire des subventions".

Placée sous l’autorité directe du directeur général adjoint des services, ses missions consistent alors, selon les termes de la fiche de poste, à :

 "apporter une assistance technique et des conseils auprès de la direction générale et des services de la collectivité pour le montage et le suivi des dossiers de demandes de subventions, dans le cadre de l’ensemble des politiques subventionnées (...) et des politiques de droit commun (...) ;

 accompagner les services concernés dans le suivi des contrats territoriaux et de projets issus des politiques subventionnées (...) ;

 assister les services lors du montage de dossiers de financements de projets (...) et des politiques publiques locales (...) ;

 optimiser la recherche et l’obtention de cofinancements (...)".

Plusieurs missions lui sont confiées dans ce cadre notamment la rédaction d’une note méthodologique destinée à accompagner les services dans leurs démarches de financement externe, l’élaboration d’une base de données sur les projets d’investissement de la commune susceptibles d’être financés et le recensement des subventions offertes par la région, par le conseil général et par la CAF.

La cadre territoriale ne donnant pas satisfaction dans ces nouvelles missions, elle est dans un premier temps rétrogradée, avant d’être licenciée pour insuffisance professionnelle en février 2012.

Oui mais voilà que, postérieurement au licenciement, le tribunal administratif annule pour vice de procédure la nomination sur le poste où les carences professionnelles ont été constatées...

Le licenciement est-il vicié pour autant ?

Oui répond la Cour administrative d’appel de Versailles qui annule le licenciement : "le maire de la commune ne pouvait pas apprécier l’aptitude professionnelle de la requérante au regard de fonctions auxquelles elle a été irrégulièrement nommée".

Tel n’est pas l’avis du Conseil d’Etat. En effet :


 "un fonctionnaire irrégulièrement nommé aux fonctions qu’il occupe doit être regardé comme légalement investi de ces fonctions tant que sa nomination n’a pas été annulée" ;

 "son aptitude à exercer normalement ses fonctions peut être appréciée au regard de fonctions auxquelles il a été irrégulièrement nommé, sauf si ces dernières ne correspondent pas à celles pour lesquelles il a été engagé ou à celles de son grade".

De fait le Conseil d’Etat approuve le licenciement :

 d’une part les missions confiées à l’intéressée correspondent bien à celles que peut exercer une attachée ;

 d’autre part la cadre territoriale "a non seulement manqué de diligence et de rigueur dans l’exercice de ses fonctions mais, plus largement, s’est révélée inapte à leur exercice ainsi que l’a relevé le conseil de discipline saisi pour avis de la mesure projetée de licenciement pour insuffisance professionnelle".

Certes le Conseil d’Etat reconnait que "le licenciement pour insuffisance professionnelle d’un fonctionnaire ne peut être fondé que sur des éléments manifestant son inaptitude à exercer normalement les fonctions pour lesquelles il a été engagé ou correspondant à son grade et non sur une carence ponctuelle dans l’exercice de ces fonctions".

Mais pour autant, poursuit-il, "une telle mesure ne saurait être subordonnée à ce que l’insuffisance professionnelle ait été constatée à plusieurs reprises au cours de la carrière de l’agent ni qu’elle ait persisté après qu’il ait été invité à remédier aux insuffisances constatées".

Et le Conseil d’Etat de conclure qu’une "évaluation portant sur la manière dont l’agent a exercé ses fonctions durant une période suffisante et révélant son inaptitude à un exercice normal de ses fonctions est de nature à justifier légalement son licenciement".

Conseil d’État, 13 avril 2018, N° 410411

[1Photo : @carlheyerdahl via Unsplash