Une association peut-elle être qualifiée d’organisme de droit public et de pouvoir adjudicateur et donc soumise aux règles de la commande publique ?
Une filiale de la société des chemins de fer lituaniens, ayant pour objet la fabrication et la maintenance de locomotives et de wagons lance un appel à concurrence pour la fourniture d’achat de barre de métal ferreux. Un candidat sollicite l’annulation de la procédure. Il soutient en effet que cette société est un pouvoir adjudicateur soumis aux règles des marchés publics dès lors que :
– la filiale a été créée pour satisfaire aux besoins de la société des chemins de fer lituaniens, entreprise financée par l’État et chargée d’une mission de service public ;
– les conditions des prestations et des ventes qu’elle réalisait au profit de sa société mère ne correspondaient pas à des conditions concurrentielles normales.
Le juge lituanien saisit la Cour de justice de l’union européenne (CJUE) d’une question préjudicielle.
Trois critères cumulatifs
L’occasion pour la CJUE de revenir sur les critères permettant de définir la notion de pouvoir adjudicateur et d’organisme de droit public. La CJUE rappelle à cet égard qu’aux termes de l’article 1er, paragraphe 9, deuxième alinéa, sous a) à c), de la directive 2004/18, constitue un « organisme de droit public » tout organisme qui :
1° a été créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial ;
2° est doté de la personnalité juridique ;
3° et dont soit l’activité est financée majoritairement par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public.
Ces trois types de critères sont cumulatifs : en l’absence d’une seule de ces conditions un organisme ne saurait être qualifié d’« organisme de droit public » et, partant, de pouvoir adjudicateur au sens de la directive.
En l’espèce, la seule question qui mérite débat est de savoir si la société constitue ou non un « organisme créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial ».
A cet égard la CJUE rappelle :
– "qu’il ne suffit donc pas qu’une entreprise ait été créée par un pouvoir adjudicateur ou que ses activités soient financées par des moyens financiers découlant des activités exercées par un pouvoir adjudicateur pour qu’elle soit elle-même considérée comme un pouvoir adjudicateur" [1] ;
– qu’il est en revanche "indifférent que, outre les activités visant à satisfaire des besoins d’intérêt général, l’entité en cause accomplisse également d’autres activités dans un but lucratif sur le marché concurrentiel" [2].
En l’espèce, constate la CJUE, la société filiale fournit des marchandises et des services afin de permettre à sa société mère d’exercer son activité de transport de passagers et de marchandises. Créée après la restructuration de la société des chemins de fer lituaniens, l’activité de la filiale est nécessaire pour que la société mère puisse exercer son activité destinée à satisfaire les besoins d’intérêt général. Peu importe que la filiale exerce également d’autres activités dans un but lucratif.
Et la CJUE de conclure que "l’article 1er, paragraphe 9, deuxième alinéa, de la directive 2004/18 doit être interprété en ce sens qu’une société qui, d’une part, est détenue entièrement par un pouvoir adjudicateur dont l’activité est de satisfaire des besoins d’intérêt général et qui, d’autre part, réalise tant des opérations pour ce pouvoir adjudicateur que des opérations sur le marché concurrentiel doit être qualifiée d’« organisme de droit public » au sens de cette disposition, pour autant que les activités de cette société sont nécessaires pour que ledit pouvoir adjudicateur puisse exercer son activité et que, afin de satisfaire des besoins d’intérêt général, ladite société se laisse guider par des considérations autres qu’économiques" [3].
Faisceau d’indices
Pour apprécier si un organisme satisfait des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial, le juge applique la technique du faisceau d’indices en prenant en compte l’ensemble des éléments juridiques et factuels pertinents, tels que :
– les circonstances ayant présidé à la création de l’organisme concerné ;
– les conditions dans lesquelles il exerce les activités visant à satisfaire des besoins d’intérêt général, y compris, notamment, l’absence de concurrence sur le marché ;
– l’absence de poursuite d’un but lucratif ;
– l’absence de prise en charge des risques liés à ces activités ;
– le financement public éventuel des activités en cause.
Dès lors que l’organisme en cause opère dans des conditions normales du marché, poursuit un but lucratif et supporte les pertes liées à l’exercice desdites activités, il est ainsi peu probable que les besoins qu’il vise à satisfaire aient un caractère autre qu’industriel ou commercial [4].
A contrario, un organisme qui n’opère pas dans les conditions normales du marché, poursuit un but non lucratif et ne supporte pas les pertes de ses activités, aura plus de chances (de risques en l’occurrence) d’être assimilé à un organisme de droit public soumis aux règles de la commande publique...
Ce d’autant que la CJUE ajoute que l’existence d’une concurrence développée ne permet pas, à elle seule, de conclure à l’absence d’un besoin d’intérêt général et donc à écarter la qualification d’organisme de droit public. A fortiori le risque est donc plus grand pour une association à but non lucratif...
Un risque de requalification pour les associations
Les associations qui sont majoritairement financées sur des fonds publics (en pensant à inclure les avantages en nature comme la mise à disposition gratuite de locaux), ou dont la gestion est contrôlée par des organismes publics, ou dont les organes de direction sont composés de membres dont plus de la moitié sont désignés par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public, doivent donc être particulièrement vigilantes. Car le critère de la satisfaction de besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial sera alors déterminant pour savoir si elles sont soumises ou non aux règles de la commande publique [5].
L’occasion de rappeler que des associations peuvent être des pouvoirs adjudicateurs qui s’ignorent avec de lourdes conséquences possibles, y compris pénales, si elles ne respectent pas les règles de la commande publique pour leurs achats.
[1] Arrêt du 15 janvier 1998, Mannesmann Anlagenbau Austria e.a., C-44/96, EU:C:1998:4, point 39
[2] Voir, en ce sens, arrêt du 15 janvier 1998, Mannesmann Anlagenbau Austria e.a., C-44/96, EU:C:1998:4, point 25, ainsi que du 10 avril 2008, Ing. Aigner, C-393/06, EU:C:2008:213, point 47 et jurisprudence citée
[3] Est en revanche dépourvu d’incidence, à cet égard, le fait que la valeur des opérations internes puisse dans l’avenir représenter moins de 90 %, ou une partie non essentielle, du chiffre d’affaires global de la société.
[4] Arrêt du 16 octobre 2003, Commission/Espagne, C-283/00, EU:C:2003:544, points 81 et 82 ainsi que jurisprudence citée
[5] Pour un exemple où la notion de pouvoir adjudicateur a pu être écartée pour une association voir : Cour administrative d’appel de Lyon, 27 mars 2014, n° 11LY21913