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Etendue des obligations qui incombent aux départements dans la prise en charge des mineurs étrangers isolés

Conseil d’État, 27 décembre 2017, N° 415436

Le département peut-il cesser de prendre à charge un mineur étranger isolé confié par décision de justice aux motifs qu’un examen médical conclut que ce dernier est majeur et qu’une obligation de quitter le territoire a été prononcé à son encontre ?

Non : il incombe aux autorités du département, le cas échéant dans les conditions prévues par la décision du juge des enfants, de prendre en charge l’hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l’aide sociale à l’enfance. A cet égard, une obligation particulière pèse sur ces autorités lorsqu’un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger. Le département ne peut pas échapper à ses obligations au motif qu’un examen médical conclut à la majorité de l’intéressé. Cette obligation subsiste tant que le placement n’a pas été levé par décision du juge des enfants et ce même si le préfet a prononcé à l’encontre de ce dernier l’obligation de quitter le territoire.

Un jeune garçon de nationalité ivoirienne entre irrégulièrement en France sans famille connue, ni ressources.

Il est confié, par décision de justice, en tant que mineur isolé au service de l’aide sociale à l’enfance d’un département. Dans ce cadre, il est pris en charge par une association qui assure son hébergement en hôtel.

À la suite d’actes de violence graves en réunion à l’encontre d’une responsable de cette association, il est placé en garde à vue. A cette occasion, il fait l’objet d’un examen médical sur réquisition judiciaire concluant que son âge physiologique est supérieur à dix-huit ans et probablement supérieur ou égal à dix-neuf ans.

Dans la foulée, le préfet prononce à son encontre l’obligation de quitter le territoire, assortie d’une obligation de non retour pendant une durée de trois ans.

Le président du conseil départemental demande alors au juge des enfants, la mainlevée du placement. Sans attendre la décision du juge, l’autorité territoriale décide de mettre fin à la prise en charge. L’intéressé dépourvu de ressources et sans famille, se retrouve sans abri. Il saisit le juge des référés invoquant une atteinte à une liberté fondamentale.

Le juge des référés du tribunal administratif de Melun ordonne au département de proposer à l’intéressé une solution d’hébergement incluant le logement et la prise en charge de ses besoins alimentaires quotidiens. Sur recours de la collectivité, le Conseil d’État confirme la décision des premiers juges :


 "il incombe aux autorités du département, le cas échéant dans les conditions prévues par la décision du juge des enfants, de prendre en charge l’hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l’aide sociale à l’enfance ;

 une obligation particulière pèse sur ces autorités lorsqu’un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger ;

 lorsqu’elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l’accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale" ;

 il incombe au juge des référés d’apprécier, dans chaque cas, en tenant compte des moyens dont l’administration départementale dispose ainsi que de la situation du mineur intéressé, quelles sont les mesures qui peuvent être utilement ordonnées sur le fondement de l’article L. 521-2 et qui, compte tenu de l’urgence, peuvent revêtir toutes modalités provisoires de nature à faire cesser l’atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale, dans l’attente d’un accueil du mineur dans un établissement ou un service autorisé, un lieu de vie et d’accueil ou une famille d’accueil si celui-ci n’est pas matériellement possible à très bref délai.

Et le Conseil d’ajouter que le département ne peut utilement se prévaloir des conclusions de l’examen médical de l’intéressé quant à son âge physiologique vraisemblable [1].

En effet, cet enfant a été confié au service de l’aide sociale à l’enfance du département par décision du juge des enfants, qui l’a regardé comme mineur et n’a pas prononcé la mainlevée de la mesure. Ce d’autant plus, qu’en octobre 2017, le juge des tutelles, estimant que l’intéressé était mineur, a ouvert à son égard une tutelle déférée au président du conseil départemental.

Pour les mêmes raisons, le département ne peut pas plus invoquer l’obligation de quitter le territoire français prise à l’égard de l’intéressé.

Si les actes de violence commis par cet enfant isolé envers un membre de l’association justifient qu’il ne soit plus pris en charge par la structure, ces faits ne font pas obstacle à toute forme de mise à l’abri permettant de prendre en charge ses besoins élémentaires en ce qui concerne l’hébergement et l’alimentation et l’intéressé n’a pas adopté depuis lors un comportement qui s’y opposerait. Il ne résulte en effet pas de l’instruction qu’aucune solution de ce type ne puisse être trouvée par le département en dépit de l’augmentation du nombre de mineurs dont il a la charge.

Cet arrêt s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence du Conseil d’Etat. Ainsi dans une autre espèce, les juges du Palais-Royal (Conseil d’État, 27 juillet 2016, n° 400055) avaient confirmé l’injonction faite à un département de proposer à un mineur isolé, dans un délai de trois jours, une solution d’hébergement incluant le logement et la prise en charge de ses besoins alimentaires quotidiens. Si le juge des référés reconnaissait que le département avait consenti des efforts importants pour la prise en charge des mineurs isolés étrangers, en nombre croissant, il relevait que pour autant, une solution provisoire pouvait être trouvée pour mettre à l’abri l’intéressé et assurer ses besoins quotidiens dans l’attente d’une prise en charge plus durable conformément aux prévisions du code de l’action sociale et des familles.

Conseil d’État, 27 décembre 2017, N° 415436

[1A noter que dans une autre espèce, la Cour de cassation (Cour de Cassation, 25 janvier 2001, nº 99-50067) avait pour sa part jugé que c’est par l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve que le juge a fait siennes les conclusions du médecin concluant que l’intéressé était majeur dès lors que les conclusions de l’examen médical sur la majorité de l’individu sont très claires et précises, et qu’aucune critique n’est émise à leur encontre.