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L’appel d’urgence n’était pas un mauvais canular : le SDIS responsable

Tribunal administratif de Besançon, 21 mars 2017, N° 1401934

Un sapeur-pompier qui, croyant à un canular, ne prend pas au sérieux un appel d’urgence en raison de circonstances décrites très improbables engage-t-il la responsabilité du SDIS ?

Oui : malgré le caractère très exceptionnel de la situation décrite, le sapeur-pompier du centre de traitement des appels commet une faute de nature à engager la responsabilité du SDIS en ne procédant pas à l’évaluation de l’authenticité du message de détresse. En l’espèce la faute du sapeur pompier a fait perdre une chance de survie à la victime (une mamie avait pris les commandes d’un petit avion lors d’un baptême de l’air après le malaise cardiaque du pilote et avait demandé à son petit-fils présent à ses côtés d’appeler les secours).

Le 19 septembre 2010 un avion décolle de l’aérodrome de Vesoul-Frotey pour un baptême de l’air, avec à son bord une grand-mère et ses deux petits-enfants âgés d’une dizaine d’années.

Quelques minutes après le décollage, le pilote est saisi d’un malaise et se retrouve inconscient. La grand-mère, sans aucune connaissance en aéronautique, prend alors les commandes de l’appareil tout en appelant le 112 depuis son téléphone portable. La communication ayant été coupée, elle donne le téléphone à son petit-fils pour qu’il rappelle les secours.

Croyant à un canular, le sapeur-pompier professionnel du centre opérationnel départemental d’incendie et de secours ne prend pas l’appel au sérieux. Convaincu d’avoir affaire à un petit plaisantin désœuvré, le sapeur pompier réprimande grossièrement l’enfant sans chercher à évaluer ou à analyser par des questions simples l’authenticité de la situation décrite par le jeune garçon. Particulièrement énervé par cet appel qu’il pense malveillant, le sapeur-pompier prend l’initiative de rappeler l’enfant pour le tancer une nouvelle fois.

Toujours aux commandes de l’appareil, la grand-mère réussit à le maintenir en vol pendant près de 25 minutes avant d’entreprendre une manœuvre d’atterrissage dans un champ.

Après avoir percuté le sol, et en raison de sa trop grande vitesse [1], les deux ailes de l’avion se cassent immédiatement. L’avion poursuit sa trajectoire rectiligne sur 126 mètres, traverse une haie avant de percuter le ballast d’une ligne de chemin de fer et de s’immobiliser sur la voie ferrée.

Le pilote est retrouvé mort à la place avant gauche de l’appareil, ainsi que la grand-mère, qui a été éjectée de la cellule, alors que sa ceinture de sécurité était détachée. Les deux enfants situés à l’arrière de l’appareil s’en sortent sains et saufs, bien que légèrement blessés.

Intervenu en garantie pour indemniser les victimes et l’aéroclub pour la perte de l’avion, l’assureur du club se retourne contre le SDIS qu’il estime responsable de l’accident à hauteur de 75%.

A l’appui de sa requête, l’assureur de l’aéroclub met en avant les circonstances suivantes qui, sans la faute du SDIS, auraient permis à la grand-mère de poser l’avion dans de meilleures conditions, augmentant ainsi ses chances de survie :

 l’autonomie en carburant de l’appareil qui lui aurait permis de voler encore pendant trois heures ;

 l’exceptionnel sang-froid dont faisait preuve la grand-mère ;

 la présence, à proximité, d’une base aérienne qui aurait été un terrain d’atterrissage d’urgence idéal ;

 la présence de pilotes à l’aéroclub qui auraient pu la guider par téléphone et lui donner des indications de pilotage, notamment sur la réduction de la vitesse et sur la consigne d’attacher sa ceinture de sécurité.

Pour sa défense, le SDIS soutient :

 qu’aucune procédure interne ne prévoyait la prise en compte d’une situation d’un avion en détresse dans les airs ;

 que le centre opérationnel n’aurait pas pu joindre la base aérienne qui était fermée ce jour-là ;

 que les témoins présents n’ont prévenu ni la base, ni les secours ;

 que l’avion n’avait pas de parachute de secours ;

 qu’il n’était pas démontré que le pilote n’avait pas d’antécédents cardio-vasculaires récents.

Les juges font partiellement droit à la demande de l’assureur de l’aéroclub et reconnaissent le SDIS responsable à hauteur de 25% dans la diminution des chances de survie de la grand-mère héroïque. Le SDIS est condamné à indemniser l’assureur à hauteur de 25 595 euros au titre des préjudices moraux subis par la famille de la victime.

Il n’est en revanche pas démontré que l’absence de faute du SDIS aurait permis d’éviter les blessures des enfants et la destruction de l’avion. Ces demandes sont donc rejetées.

Tribunal administratif de Besançon, 21 mars 2017, N° 1401934

[1Evaluée à 230km/h par les enquêteurs dès lors que la commande des gaz a été retrouvée calée sur la vitesse de croisière.