Le portail juridique des risques
de la vie territoriale & associative

Suspicion d’illégalité d’un ordre reçu : le doute ne profite pas au fonctionnaire récalcitrant

Cour administrative d’appel de Versailles, 3 novembre 2016, N° 15VE04053

La charge de la preuve de l’illégalité d’un ordre reçu incombe-t-elle à l’agent qui refuse d’obéir ?

Oui : l’agent ne peut désobéir que si l’ordre reçu est MANIFESTEMENT illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. Si l’agent n’est pas en mesure d’établir en quoi l’ordre reçu est manifestement illégal, il ne peut désobéir. En somme le doute doit profiter à l’autorité hiérarchique dont l’ordre est présumé légal. Il n’y pas d’inversion de charge de la preuve en faveur du fonctionnaire qui invoque l’illégalité de l’ordre reçu.

En l’espèce un assistant territorial socio-éducatif employé par un département avait fait l’objet d’un blâme après avoir refusé d’obéir aux instructions données par ses supérieurs hiérarchiques quant aux modalités de collecte des données en vue de l’établissement du bilan d’activités du service social départemental. Il prétendait notamment que cette mission était contraire aux dispositions de la loi informatique et libertés. Le juge administratif le déboute lui reprochant de n’apporter aucun élément, ni précision établissant l’illégalité invoquée. En outre, à supposer même que l’ordre soit effectivement illégal, l’agent pouvait utiliser, selon les termes d’une note de service, une grille de collecte des données simplifiée qui, elle, ne soulevait aucune contestation.

Un assistant territorial socio-éducatif employé par un département fait l’objet d’un blâme après avoir refusé d’obéir aux instructions données par ses supérieurs hiérarchiques quant aux modalités de collecte des données en vue de l’établissement du bilan d’activités du service social départemental.

Il attaque la sanction devant les juridictions administratives en invoquant l’illégalité manifeste de l’ordre reçu. Selon lui, en effet, la grille de collecte de données n’était conforme ni aux prescriptions de la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978, ni aux prescriptions du premier alinéa de l’article 26 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée portant droits et obligations des fonctionnaires, relatif au secret professionnel, en l’absence de toute garantie quant à la protection des données sensibles recueillies par l’utilisation de cette grille de collecte. Il soutient également que les instructions qui lui ont ainsi été données l’auraient conduit à commettre une infraction pénale au regard des articles 226-16 et suivants du code pénal, punissant les atteintes aux droits de la personne résultant des fichiers ou des traitements informatiques, et de l’article 226-13 du même code, réprimant l’atteinte au secret professionnel.

Aucun de ces arguments ne trouve grâce devant le tribunal administratif qui valide la sanction, ce que confirme la cour administrative d’appel de Versailles. En effet il résulte de l’article 28 de la loi du 13 juillet 1983 que tout fonctionnaire est tenu de se conformer aux ordres qu’il reçoit de ses supérieurs hiérarchiques, sauf si ces ordres sont manifestement illégaux et de nature, en outre, à compromettre gravement un intérêt public.

Deux conditions cumulatives sont donc nécessaires pour que le fonctionnaire puisse désobéir : l’ordre doit être manifestement illégal et compromettre gravement un intérêt public. Si l’une de ces conditions fait défaut, l’employeur public est fondée à sanctionner le refus d’obéissance.

En l’espèce le juge administratif estime que l’agent ne pouvait désobéir :

 l’agent ne fournit aucune précision ni aucun élément de nature à démontrer que l’utilisation de la grille de collecte de données aurait eu pour objet ou pour effet l’utilisation ou le traitement de données à caractère personnel ou sensibles en non-conformité avec les prescriptions de la loi du 6 janvier 1978 ;

 le département fait valoir en défense, sans être contesté sérieusement par le requérant, que le traitement des données statistiques recueillies à l’aide de cette grille était anonymisé et qu’en particulier, la grille en cause ne prévoyait l’inscription d’aucun numéro de dossier de bénéficiaire du service social départemental ;

 en tout état de cause, à supposer même que cette grille puisse être regardée comme étant contraire aux prescriptions de la loi du 6 janvier 1978, il ressort des termes d’une note de service qu’il était loisible à l’agent récalcitrant, comme à l’ensemble des agents des circonscriptions de service social du département, d’utiliser une grille de collecte de données dite simplifiée, mise en place en 2013 et à l’élaboration de laquelle l’intéressé avait d’ailleurs participé, et contre laquelle il n’avait émis aucune critique.

Le juge n’écarte donc pas complètement l’hypothèse que l’ordre reçu était effectivement illégal. Pour autant il n’en valide pas moins la sanction disciplinaire. C’est donc bien à l’agent qui invoque l’illégalité d’un ordre reçu de prouver en quoi l’ordre reçu est manifestement illégal. Il n’y a pas d’inversion de charge de la preuve au détriment de l’autorité hiérarchique.

En outre, à supposer même qu’une illégalité puisse être caractérisée, l’agent ne peut s’abriter derrière cette illégalité pour refuser d’obéir s’il dispose de moyens alternatifs lui permettant d’accomplir sa mission dans la légalité. Ainsi, en l’espèce, l’agent disposait d’une grille de collecte des données simplifiée qui ne soulevait aucune contestation.

L’agent ne saurait donc soutenir qu’il était en droit de désobéir aux instructions qui lui ont été données par ses supérieurs hiérarchiques d’assurer sa mission de collecte de données et l’autorité investie du pouvoir disciplinaire n’a pas, dans les circonstances de l’espèce, pris une sanction disproportionnée en prononçant à son encontre un blâme, mesure du premier groupe.

Cour administrative d’appel de Versailles, 3 novembre 2016, N° 15VE04053