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Crèches de Noël dans les établissements et lieux publics : patrimoine culturel ou signe cultuel ?

Conseil d’Etat, 9 novembre 2016, n° 395122 et n° 395223 / Tribunal administratif de Lille, 30 novembre 2016, n° 1509979

Est-il possible d’installer une crèche de Noël dans les établissements publics au moment des fêtes de fin d’année ?

Oui mais sous réserve qu’une telle installation présente un caractère culturel, artistique ou festif, et n’exprime la reconnaissance d’un culte ou une préférence religieuse. Plusieurs éléments sont pris en compte :

 le contexte dans lequel a lieu l’installation, qui doit être dépourvu de tout élément de prosélytisme ;

 les conditions particulières de cette installation ;

 l’existence ou l’absence d’usages locaux ;

 le lieu de cette installation.

Sur ce dernier, le Conseil d’Etat distingue entre les bâtiments publics et les autres emplacements publics :

 dans l’enceinte des bâtiments publics, sièges d’une collectivité publique ou d’un service public, l’installation d’une crèche de Noël n’est en principe pas possible, sauf en présence de circonstances particulières lui donnant un caractère culturel, artistique ou festif ;

 à l’inverse, dans les autres emplacements publics, et notamment sur la voie publique, eu égard au caractère festif des installations liées aux fêtes de fin d’année, l’installation d’une crèche est possible, sauf si elle constitue un acte de prosélytisme ou une revendication d’une opinion religieuse.

En application de ces principes, le Conseil d’Etat casse les deux arrêts dont il était saisi et qui avait statué en sens contraire. Le Tribunal administratif de Lille a fait une première application de cette jurisprudence.

Deux collectivités [1] avaient installé des crèches de Noël, la première dans l’enceinte de l’hôtel de ville, la seconde dans son hall d’entrée. Ces deux installations, contestées devant le juge administratif, donnent lieu à des décisions contraires en appel.

La cour administrative d’appel de Paris a en effet jugé que la crèche installée par la commune de Melun était illégale car elle constituait une représentation figurative d’une scène fondatrice de la religion chrétienne, ce qui est contraire à l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat ainsi qu’au principe de neutralité des personnes publiques.

La cour administrative d’appel de Nantes a, au contraire jugé que la crèche installée par le conseil général de Vendée était légale car elle s’inscrivait dans le cadre de la préparation de la fête familiale de Noël. Une telle installation ne constituait pas, en l’absence de tout élément de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse, un signe ou un emblème religieux contraire à l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 et au principe de neutralité des personnes publiques.

Le Conseil d’Etat, saisi d’un pourvoi en cassation contre ces deux arrêts, se prononce en Assemblée plénière pour annuler les deux décisions.

A l’appui de son argumentation, il commence par rappeler la portée de la loi du 9 décembre 1905 et du principe de laïcité qui crée pour les personnes publiques les obligations suivantes :

 assurer la liberté de conscience,
 garantir le libre exercice des cultes,
 veiller à la neutralité des agents publics et des services publics à l’égard des cultes, en n’en reconnaissant ni n’en subventionnant aucun.

Pour assurer ce principe de neutralité, il rappelle également les dispositions de l’article 28 de la loi précitée :

"L’article 28 de cette même loi précise que : " Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions ". Ces dernières dispositions, qui ont pour objet d’assurer la neutralité des personnes publiques à l’égard des cultes, s’opposent à l’installation par celles-ci, dans un emplacement public, d’un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d’un culte ou marquant une préférence religieuse."

S’agissant du cas particulier des crèches de Noël, le Conseil d’Etat reconnait que de telles installations sont susceptibles de revêtir une pluralité de significations. Si la représentation de la scène de la nativité fait partie de l’iconographie chrétienne, et présente donc un caractère religieux, il s’agit aussi d’un élément faisant partie des décorations et illustrations qui accompagnent traditionnellement les fêtes de fin d’année, sans signification religieuse particulière.

Aussi, et eu égard à cette pluralité de significations, l’installation d’une crèche de Noël, à titre temporaire, à l’initiative d’une personne publique, dans un emplacement public, n’est légalement possible que lorsqu’elle présente un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse.

Pour porter cette appréciation, il faut tenir compte de l’ensemble des éléments suivants :

  • le contexte de l’installation, qui doit être dépourvu de tout élément de prosélytisme,
  • les conditions particulières de l’installation,
  • l’existence ou l’absence d’usages locaux,
  • le lieu de l’installation.

S’agissant du lieu de l’installation, le Conseil d’Etat opère une distinction entre les bâtiments publics, sièges d’une collectivité ou d’un service public, et les autres emplacements publics :

 dans l’enceinte des bâtiments publics, sièges d’une collectivité publique ou d’un service public, l’installation d’une crèche de Noël n’est en principe pas légale au regard du principe de neutralité des personnes publiques, sauf à justifier de circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif.

 au contraire, dans les autres emplacements publics, eu égard au caractère festif des installations liées aux fêtes de fin d’année, notamment sur la voie publique, l’installation de crèches de Noël est possible, sans rechercher la présence de circonstances particulières lui donnant un caractère culturel, artistique ou festif, dès lors qu’elle ne constitue pas un acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse.

Dans la première espèce, le Conseil d’Etat annule l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Paris et se prononce sur la légalité de la crèche en faisant application des critères énoncés ci-dessus.
Il relève ainsi que la crèche, qui était installée dans l’enceinte d’un bâtiment public, siège d’une collectivité publique, ne résultait d’aucun usage local, et ne s’inscrivait pas dans un environnement culturel, artistique ou festif particulier. Il en déduit que son installation, dans ce lieu et dans ces conditions, méconnaît les exigences découlant du principe de neutralité des personnes publiques.

Le Conseil d’Etat annule également l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes, à qui il reproche de ne pas avoir recherché si cette installation résultait d’un usage local ou s’il existait des circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif. Il lui renvoie l’affaire pour qu’elle se prononce sur ces critères.

Tribunal administratif de Lille, 30 novembre 2016, N° 1509979

Plus récemment, le Tribunal administratif de Lille, saisi de la légalité d’une crèche de Noël installée dans le hall de l’hôtel de ville de la commune d’Hénin-Beaumont, fait une première application de cette jurisprudence dans un jugement rendu le 30 novembre 2016.

Relevant tout d’abord le lieu d’installation de la crèche de Noël, qui était située dans l’enceinte de l’hôtel de ville, siège de la collectivité, il recherche ensuite l’existence de circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif.

En l’espèce, les juges retiennent notamment que :

 la crèche composée de sujets sans valeur historique ou artistique particulière ne revêt par le caractère d’une exposition d’œuvres d’art,

 si la commune a inscrit cette installation dans le calendrier des manifestations festives organisées par la municipalité pour la fin d’année, il n’est pas établi qu’elle s’enracine dans une tradition locale préexistante ou qu’elle puisse être considérée comme une extension du marché de Noël qui se tient à l’extérieur du bâtiment et sans proximité immédiate avec celui-ci.

Par conséquent, les juges estiment que la mise en place de cette crèche de Noël a méconnu le principe de neutralité des personnes publiques, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si cette installation présente un caractère ostentatoire ou prosélyte.

Conseil d’État, 9 novembre 2016, N° 395223 Conseil d’Etat, 9 novembre 2016, N° 395122 Tribunal administratif de Lille, 30 novembre 2016, N° 1509979

[1La commune de Melun et le conseil général de Vendée.