Un maire peut-il engager sa responsabilité pénale pour avoir ordonné, sans autorisation, le curage de ce qu’il pensait être un fossé alors qu’il s’agissait d’un cours d’eau ?
Pour prévenir le risque d’inondation, un maire (commune de 130 habitants), par ailleurs vice président d’une communauté de communes en charge de l’environnement, prend l’initiative d’ordonner le curage d’un "fossé". Du moins le qualifie-t-il ainsi compte tenu du très faible débit de l’eau et de son caractère artificiel puisqu’il est canalisé. Pour autant dans certaines portions de ce "fossé" long de 6 kilomètres, l’eau est suffisamment profonde pour y abriter une vie aquatique. L’élu en est conscient et prend la précaution de déplacer le poisson avant le commencement des travaux.
Mais lors d’une visite inopinée sur les lieux, les agents agents de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques constatent qu’à l’occasion de travaux de curage du lit, des sédiments ont été extraits puis déposés sur environ six kilomètres de berges. Pour eux aucun doute : il s’agit non pas d’un fossé mais bien d’un cours d’eau. Circonstance aggravante, il s’agit d’un affluent de la Dordogne, rivière protégée par la directive habitats, classée Natura 2000, et abritant des anguilles faisant l’objet d’un plan de sauvegarde européen... Les travaux étaient donc soumis à autorisation préalable.
Poursuivi pour exercice sans autorisation d’activité nuisible au débit des eaux ou au milieu aquatique, le maire est relaxé en première instance. Mais en appel il est condamné à 1500 euros d’amende ce que confirme la Cour de cassation dès lors que :
– la voie d’eau est matérialisée sur la carte de l’institut géographique national ;
– si son cours a été canalisé depuis 1966, la voie d’écoulement demeure naturelle ;
– si le débit est variable selon les saisons, l’écoulement existe, sous réserve le cas échéant de certaines périodes de sécheresse majeure ;
– le lit est permanent et constamment en eau dans certaines parties plus profondes et larges ainsi qu’à l’approche de la rivière dans laquelle il se jette.
En outre le maire a reconnu avoir déplacé des poissons avant les travaux. Ainsi ne rapporte-t-il pas la preuve contraire à la présence d’une faune et d’une flore aquatiques. Or les procès-verbaux des agents de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques font foi jusqu’à preuve du contraire.
Au civil l’élu est condamné à verser 4000 euros de dommages-intérêts à l’association de protection de l’environnement qui s’est constituée partie civile. Il est surprenant que la Cour de cassation, pourtant d’ordinaire très vigilante sur ce point, n’ait pas cassé l’arrêt sur les intérêts civils : sauf à caractériser expressément l’existence d’une faute personnelle de l’élu, les juridictions judiciaires auraient dû se déclarer incompétentes au profit des juridictions administratives, seule la responsabilité de la commune (ou de l’EPCI) pouvant alors être engagée. Certes le moyen n’a pas été soulevé mais il est de jurisprudence constante qu’un tel moyen est d’ordre public et doit être relevé au besoin d’office par le juge [1]. Régulièrement la Cour de cassation rappelle ainsi à l’ordre les juridictions du fond qui se sont affranchies de ces règles de compétence. A moins qu’il ne faille en conclure qu’une faute personnelle ait expressément été caractérisée à l’encontre de l’élu par les juges d’appel. Ce qui constituerait une extension notable du champ de la faute personnelle au domaine des infractions environnementales... alors, qu’en l’espèce, l’élu n’a pas recherché d’intérêt personnel mais a agi, au contraire, dans l’intérêt général afin de prévenir les inondations.
[1] Pour un exemple récent voir : Cass.crim., 30 mars 2016, N° 14-87528