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Harcèlement moral : le maire condamné au pénal est-il aussi civilement responsable ?

Cour de cassation, chambre criminelle, 15 mars 2016, N° 15-80567

Le juge pénal qui déclare un maire coupable de harcèlement moral est-il automatiquement compétent pour condamner aussi l’élu au paiement de dommages-intérêts (150 000 euros en l’espèce) en réparation du préjudice subi par les agents plaignants ?

Non : les juridictions judiciaires doivent caractériser à l’encontre de l’élu (ou de l’agent) poursuivi une faute personnelle détachable du service pour pouvoir le condamner personnellement à indemniser les victimes. En effet :

 les tribunaux répressifs de l’ordre judiciaire sont incompétents pour statuer sur la responsabilité d’une administration ou d’un service public en raison d’un fait dommageable commis par l’un de leurs agents ;

 l’agent d’un service public n’est personnellement responsable des conséquences dommageables de l’acte délictueux qu’il a commis que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions.

En l’espèce les juges d’appel, après avoir retenu la responsabilité pénale d’un maire pour harcèlement moral sur plainte de deux agents mis au placard, l’avaient condamné à verser 150 000 euros de dommages-intérêts sur ses deniers personnels aux victimes. Mais sans caractériser expressément à l’encontre de l’élu une faute personnelle détachable du service. D’où la censure de la Cour de cassation qui rappelle une nouvelle fois que ces règles de compétence sont d’ordre public et doivent être relevées au besoin d’office par le juge. Ce qui ne veut pas dire pour autant que l’élu ne devra pas assumer financièrement les conséquences civiles de l’infraction. La cour d’appel de renvoi pourra en décider ainsi si elle caractérise contre l’élu une faute personnelle détachable du service. De fait, dans un précédent arrêt, la Cour de cassation a déjà jugé qu’un élu pouvait être déclaré civilement responsable des agissements de harcèlement moral dont il s’était rendu coupable.

Deux cadres territoriaux d’une commune ultra-marine (10 000 habitants) sont mis au placard après l’élection d’un nouveau maire :

 la première, qui dirigeait depuis 25 ans les services de restauration scolaire, est mutée sans formation préalable au service de l’eau et de l’assainissement ;

 son adjoint, qui avait depuis 15 ans la charge de la restauration scolaire et de ses déjeuners, se retrouve affecté à la gestion des déchets.

Un changement d’autant plus mal vécu que les deux cadres territoriaux avaient eu jusqu’ici une carrière remarquable et des appréciations particulièrement élogieuses.

Poursuivi pour harcèlement moral, le maire se défend en invoquant une banale réorganisation des services, à laquelle il n’a pas personnellement pris part.

Un argument de défense mis à mal par l’enquête : celle-ci révèle que la décision concernant la situation professionnelle des deux cadres territoriaux, avait été prise au cours d’une réunion à caractère privé à laquelle le maire avait participé... Réunion qui a été tenue en dehors des règles élémentaires de gestion d’une collectivité, et sans procéder aux auditions des principaux intéressés avant ou après cette réunion, ni des responsables des services qui étaient censés les accueillir.

Et les juges d’émettre deux hypothèses pouvant expliquer cette décision : "il s’agissait là soit d’une vengeance, soit de la nécessité de placer des employés sympathisants qui avaient concouru à la récente victoire électorale" du nouveau maire...

Toujours est-il que les nouveaux postes sur lesquels sont affectés les plaignants se révèlent être des coquilles vides, sans missions ni moyens matériels.

Les agissements de harcèlement sont donc jugés constitués et l’élu est condamné, en répression, à dix mois d’emprisonnement avec sursis et 5 000 euros d’amende, ce que confirme la Cour de cassation.

L’arrêt de la cour d’appel est cependant annulé sur deux points :

1° Les juges d’appel avaient également prononcé une peine de deux ans de privation des droits civiques (laquelle entraîne l’inéligibilité et une procédure de démission d’office). Or une telle peine complémentaire n’est pas prévue par les textes en matière de harcèlement moral et ne pouvait donc être prononcée.

2° Sur l’action civile, les juges d’appel avaient condamné l’élu à verser 150 000 euros de dommages-intérêts aux victimes. Mais en oubliant de caractériser à l’encontre de l’élu une faute personnelle détachable du service. Or les juridictions judiciaires ne peuvent retenir la responsabilité civile personnelle d’un élu ou d’un agent que s’ils ont expressément caractérisé à son encontre une telle faute. A défaut, elles doivent inviter les parties civiles à mieux se pourvoir devant les juridictions administratives.

Il appartiendra à la cour d’appel de renvoi de rejuger l’affaire sur ce point conformément au droit. Elle devra apprécier si les faits reprochés au maire sont constitutifs d’une faute personnelle détachable du service et ne pourra condamner l’élu à indemniser personnellement les victimes que si une telle faute est caractérisée. L’annulation de la condamnation civile du maire ne veut donc pas dire que l’élu ne devra pas assumer personnellement les conséquences financières de l’infraction.

De fait, la Cour de cassation a déjà jugé qu’un élu pouvait engager sa responsabilité civile personnelle pour des faits de harcèlement moral dès lors que les faits qui lui sont personnellement imputés constituent des manquements volontaires et inexcusables à des règles d’ordre professionnel et déontologique [1].

Cour de cassation, chambre criminelle, 15 mars 2016, N° 15-80567

[1Cour de cassation, chambre criminelle, 4 septembre 2012, N° 11-84794 (suivre le lien proposé en fin d’article)