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Antennes de téléphonie mobiles et troubles de voisinage.

Cour d’appel de Versailles, 14ème chambre, 4 février 2009 n° 08/08775

Il est sans doute prématuré d’affirmer que l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 4 février 2009 marquera un tournant dans la politique publique de développement de la téléphonie mobile. Toujours est-il qu’en condamnant un opérateur à retirer sous astreinte une antenne, les magistrats versaillais viennent donner du crédit à ceux qui dénoncent les risques de ces installations sur la santé publique. [1]

En décembre 2004, le maire d’une commune du Rhône (20 000 habitants), autorise l’implantation d’une antenne- relai de téléphonie mobile. Des riverains, inquiets des conséquences sur leur santé, sollicitent en vain devant les juridictions administratives la suspension puis l’annulation de l’arrêté. Ils se retournent alors contre l’opérateur téléphonique en demandant, devant les juridictions judiciaires, à ce qu’il soit condamné à retirer l’antenne et à leur verser des dommages-intérêts en réparation de leur préjudice.


Le jugement du TGI de Nanterre

Le 18 septembre 2008, ils obtiennent gain de cause devant le TGI de Nanterre qui condamne l’opérateur à :

 enlever les installations d’émissions-réceptions, sous astreinte de 100 € par jour de retard à l’issue d’une période de quatre mois commençant à courir le lendemain de la signification de la décision ;

 payer les sommes de 3 000 € à chacun des plaignants à titre de dommages et intérêts pour leur exposition au risque sanitaire (les requérants sont en revanches déboutés de leurs demandes au titre de la dépréciation de leur maison et du préjudice visuel).

Les juges de première instance estiment en effet que :

 "si la discussion scientifique reste ouverte, [l’entreprise de téléphonie mobile] ne démontre dans le cas d’espèce, ni l’absence de risque, ni le respect d’un quelconque principe de précaution puisque, à l’exception de deux décisions administratives insuffisantes pour ce faire, aucune des pièces produites ne concerne spécifiquement l’installation en cause" ;

 "exposer son voisin contre son gré à un risque certain et non pas hypothétique comme prétendu en défense, constitue un trouble de voisinage, dont le caractère anormal tient au fait qu’il porte sur la santé humaine" ;

 "écarter le risque dans le cas présent ne peut s’obtenir que par l’enlèvement des installations".


Les arguments de l’opérateur téléphonique

A l’appui de son appel, l’opérateur téléphonique relève que :

 "les études scientifiques ne retiennent pas l’hypothèse d’un risque pour les populations vivant à proximité des stations de bases et que les scientifiques, quand ils font référence au principe de précaution, rappellent l’absence de risque pour ce qui concerne les stations-relais" ;

 "les études dont les premiers juges font état sont contestables et contestées et en outre inopérantes, dans la mesure où elles portent sur l’usage des téléphones portables et non sur les stations-relais" ;

 "en jugeant qu’elle ne produisait aucune pièce "spécifique" pour démontrer l’absence de risque, alors que les demandeurs ne se plaignaient d’aucune pathologie, le tribunal a renversé la charge de la preuve".

 "le risque invoqué par les intimés ne peut constituer un préjudice susceptible d’être réparé dans le cadre de la théorie du trouble anormal de voisinage, alors que ce risque n’est en l’espèce qu’hypothétique" ;

 "l’incertitude, quant à la réalisation du risque, affecte non seulement le préjudice, mais encore le lien de causalité entre ce préjudice éventuel et son activité".


Les arguments des plaignants

Ce à quoi les plaignants rétorquent que :

 "la mise en œuvre de la responsabilité de celui qui trouble anormalement son voisin n’est pas conditionnée par la démonstration d’une faute, mais par celle de l’existence d’un trouble anormal imputable au défendeur".

 "du fait de l’implantation très proche de leur maison d’habitation ils sont, eux-mêmes et leurs enfants, exposés à un risque sanitaire qui crée un déséquilibre qui doit être réparé par la suppression du danger et l’indemnisation du préjudice causé".

 "la controverse scientifique entourant les effets des ondes électromagnétiques liées à la téléphonie mobile dont l’innocuité est loin d’être établie, amplifie le sentiment d’angoisse créé par la proximité de l’antenne relais, sous le faisceau de laquelle ils se trouvent, car le risque porte sur la santé et qu’il résulte de nombreuses études scientifiques nationales et internationales connues des demandeurs que les pathologies liées à l’exposition à des ondes électromagnétiques de type téléphonie mobile peuvent être extrêmement graves, comme des cancers".

 "le seul respect des limites fixées [par les normes] ne permet pas d’écarter le risque engendré notamment par les effets non-thermiques des champs électromagnétiques.

 "la situation qui leur est imposée par la présence voisine d’une antenne-relais constitue une violation du droit de chacun à "vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé" et que la force préventive de la responsabilité civile qui n’est pas discutée dans le droit de l’environnement, dans le droit social reconnaissant un droit de retrait au salarié, ainsi qu’en matière de concurrence déloyale doit "permettre de sanctionner un comportement en fonction des risques de préjudice futur qu’il fait courir".

 "qu’imposer d’attendre que le risque soit réalisé, impliquerait la pérennisation d’un risque anormal ou illicite et ferait peser sur la victime l’aléa probatoire".

"si la réalisation du risque est hypothétique, la certitude de son existence, qui s’apprécie à la lumière de la controverse scientifique, suffit à créer un préjudice moral réparable chez la victime".


L’arrêt de la Cour d’appel de Versailles

Respect des normes et troubles de voisinage

La Cour d’appel de Versailles confirme la position des premiers juges dans un arrêt longuement motivé. Les magistrats rappellent dans un premier temps "qu’il n’est pas contesté que l’installation en cause fonctionne dans le respect des normes, définies par le décret du 3 mai 2002" et que les requérants qui "vivent au plus proche de l’antenne implantée sur la commune (...) ne sont pas exposés à un risque lié aux effets thermiques des ondes électromagnétiques. C’est pour mieux rappeler qu’en matière de trouble anormal de voisinage, "le respect des normes, la licéité de l’activité, son utilité pour la collectivité, ne suffisent pas à eux seuls à écarter l’existence d’un trouble".

"Connaissances scientifiques et principe de précaution"

Et les magistrats de poursuivre leur raisonnement en relevant que :

 "les demandeurs en première instance font plus particulièrement état d’un risque sanitaire induit par une exposition aux effets non thermiques des ondes électromagnétiques et notamment à l’exposition aux ondes comportant des fréquences de récurrence d’extrême basse fréquence dites ELF produites de manière discontinue par brèves saccades, dite puisées" ;

si le rapport ZMIROU [2] a conclu "qu’en l’état des connaissances scientifiques, il n’est pas établi que les ondes électromagnétiques auraient des effets non thermiques dangereux pour la santé publique" il n’en relève pas moins que "le défaut de connaissance sur ces effets non thermiques ne permet pas que les effets sanitaires soient identifiés et que puissent être déterminées des nouvelles valeurs garantissant une réduction, voire une élimination de ce risque pour la santé dont la démonstration n’est pas faite" ;

 "outre les mesures d’évitement prudent concernant l’usage des téléphones mobiles, ce rapport préconisait notamment la poursuite d’un objectif de réduction au minimum du niveau d’exposition du public et, en particulier, que les personnes potentiellement sensibles -enfants et malades- ne soient pas atteintes directement par le faisceau d’une antenne venant d’une station située à moins de 100 mètres" ;

"le guide publié en 2001 par la commission internationale ICNIRP pour l’établissement de limites d’exposition aux champs électriques, magnétiques et électromagnétiques, auquel se réfère l’ensemble des acteurs et dont il est fait état dans la plupart des réponses ministérielles aux questions des parlementaires sur l’exposition à un risque sanitaire des voisins d’une station relais, précise (...) "en ce qui concerne d’éventuels effets à long terme tels qu’une élévation du risque de cancer", que, "l’ICNIRP a conclu que les données scientifiques étaient insuffisantes pour servir de base à l’établissement de valeurs limites d’exposition" ;

 "l’Organisation Mondiale de la Santé dans un "aide-mémoire" .publié en mai 2006 .sous le numéro 304, indique (..) que "si l’on peut s’attendre à ce que l’exposition aux champs RF des stations de base et des réseaux sans fil n’ait aucun effet sur la santé, l’OMS préconise néanmoins des recherches pour déterminer si l’exposition plus intense aux radiofréquences des téléphones mobiles pourrait avoir des effets sur la santé".

 "par diverses communications ou interpellations comme les appels de Salzbourg en 2000, de Fribourg en 2002 , de Bamberg en 2004, d’Helsinki en 2005 des médecins ont manifesté et rendu publique leur inquiétude au regard des pathologies développées par certains de leurs patients riverains d’antennes relais" ;

 "en 2006, la résolution de Benvenuto souligne que " des effets biologiques peuvent être provoqués par l’exposition tant aux extrêmement basses fréquences (ELF) qu’aux radiofréquences (RF). L’épidémiologie, ainsi que l’expérimentation in vivo et in vitro démontrent que l’exposition à certains ELF peut augmenter le risque carcinogène chez l’enfant et provoquer d’autres problèmes de santé chez l’adulte comme chez l’enfant" et incite les gouvernements "à adopter un cadre de recommandations portant sur l’exposition aux CEM du grand public et des professionnels s’inspirant du Principe de Précaution2, ce qu’ont déjà fait certains Etats" ;

 "si la plupart des effets délétères avérés ou pris en compte au titre du principe de précaution (comme les citoyens y ont été invités par un communiqué du ministère de la santé en date du 2 janvier 2008) connus depuis 1998 sont relatifs à l’utilisation intensive de "portables", la question de la pertinence d’une distinction totale à opérer entre les ondes et champs magnétiques générés par les stations de base qui ne semblent pas avoir d’effet thermique et ceux des téléphones mobiles retenus comme plus agressifs, reste posée au regard de la similitude des ondes passant entre les téléphones mobiles et leur relais et au regard de la production par ces stations relais, d’ondes d’extrêmement basse fréquence et de champs ELF, ce que l’Agence Nationale des fréquences (ANFR) ne récuse pas ;

 " les recherches induites par l’opération INTERPHONE lancée à l’échelle internationale sont seulement entamées" ;

 "un dernier rapport intitulé BIO-INITIATIVE (à la lecture duquel le Parlement européen s’est dit "interpellé") a été déposé le 31 août 2007 par des personnes dont les titres universitaires et les travaux réalisés antérieurement établissent le sérieux (...), sans apporter de réponse définitive sur ce point, a conclu que les limites d’exposition aux ELF posées notamment par l’ICNIRP sont inadéquates à la protection des personnes et que si les conséquences sanitaires des champs électromagnétiques demeurent mal connues, les connaissances scientifiques actuelles sont suffisantes pour prendre des mesures de gestion de risques" ;

 "si certaines études émanant de médecins peuvent être critiquées voire écartées en raison d’une absence de rigueur dans la recherche ou le relevé de mesures, l’ensemble des publications, même de celles produites par la société [de téléphonie mobile] au soutien de son appel, font apparaître la nécessité, en raison du caractère fragmentaire des connaissances, de poursuivre les recherches sur l’éventuelle nocivité d’une exposition qui, s’agissant d’ondes émises par les antennes ou stations relais, est continue et imposée".

Et les juges d’en conclure "qu’aucun élément ne permet d’écarter péremptoirement l’impact sur la santé publique de l’exposition de personnes à des ondes ou des champs électromagnétiques ELF". Ce d’autant plus que "l’exemple d’autres pays qui ont abandonné la référence aux normes édictées par l’ICNIRP et légiféré en retenant des valeurs se situant entre 0,6 V/m (Autriche, Lichtenstein, Italie, Pologne, Russie, Chine) et 4 V/m pour la Suisse, voire 3 V/m en ce qui concerne le Luxembourg ou encore la fixation de périmètre d’exclusion en distance des constructions, n’est pas de nature à faire taire les craintes que peuvent ressentir les personnes vivant à proximité d’une antenne relais, qui certes émet dans les limites réglementairement fixées en France par le décret de 2002, mais au-delà de ce qui est permis dans plusieurs autres pays européens".

Dès lors "si la réalisation du risque reste hypothétique, il ressort de la lecture des contributions et publications scientifiques produites aux débats et des positions législatives divergentes entre les pays, que l’incertitude sur l’innocuité d’une exposition aux ondes émises par les antennes relais, demeure et qu’elle peut être qualifiée de sérieuse et raisonnable".

Insuffisance des mesures prises et trouble anormal de voisinage

 l’opérateur de téléphonie mobile "n’a pas mis en œuvre dans le cadre de cette implantation, les mesures spécifiques ou effectives qu’elle est capable techniquement de mettre en œuvre ainsi que l’établit la signature de chartes entre certaines communes et les opérateurs de téléphonie mobile qui fixent des normes d’émission bien en deçà des normes actuellement en vigueur en France ou qui éloignent les antennes mobiles des zones d’habitation" ;

 les plaignants "qui ne peuvent se voir garantir une absence de risque sanitaire généré par l’antenne relais implantée (...) à proximité immédiate de leur domicile familial, justifient être dans une crainte légitime constitutive d’un trouble" ;

 "le caractère anormal de ce trouble causé s’infère de ce que le risque étant d’ordre sanitaire, la concrétisation de ce risque emporterait atteinte à la personne des intimés et à celle de leurs enfants" ;

 "la cessation du préjudice moral résultant de l’angoisse créée et subie par les intimés du fait de l’installation sur la propriété voisine de cette antenne-relais, impose, en absence d’une quelconque proposition de la société [de téléphonie mobile], d’ordonner son démantèlement" sous un délai de quatre mois sous astreinte de 500 € par jour de retard.

Réparation du préjudice

Relevant que "l’installation de l’antenne relais à proximité immédiate de leur, domicile sous le faisceau de laquelle ils se trouvent depuis fin 2005, a créé indiscutablement un sentiment d’angoisse, dont la manifestation s’infère des nombreuses actions qu’ils ont menées", la Cour d’appel évalue à 7000 euros le préjudice subi par chacun des couples plaignants.

En revanche leurs prétentions indemnitaires concernant la dépréciation de la valeur de leur bien, sont écartées "dans la mesure où le démontage de l’antenne, cause de ce préjudice patrimonial seulement éventuel, est ordonné".

[1Photo : © Ken Hurst

[2sur la base duquel s’est appuyé le Conseil d’Etat dans son arrêt du 11 juin 2004