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Nuisances sonores causées par une salle des fêtes : les réclamations réitérées des riverains neutralisent la prescription quadriennale

Conseil d’État, 3 février 2016, N° 381825

Les riverains d’une salle des fêtes peuvent-ils, près de 30 ans après sa construction, obtenir réparation des nuisances sonores causées par l’exploitation de l’ouvrage ?

Oui s’ils ont régulièrement adressé à la mairie des courriers de réclamation. En effet la prescription quadriennale des créances sur les administrations est interrompue par toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l’autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l’existence ou au paiement de la créance. En l’espèce les propriétaires depuis 1977 d’une maison d’habitation ont demandé en 2010 au tribunal administratif de condamner la commune à les indemniser des préjudices subis du fait des manifestations se tenant dans la salle des fêtes municipale construite en... 1983 sur une parcelle jouxtant leur propriété. La responsabilité de la commune est bien engagée, faute pour le maire d’avoir sanctionné les manquements répétés des usagers aux règles d’utilisation de la salle. La commune est condamnée à verser aux requérants 53 000 euros au titre des frais d’édification d’un mur d’isolation réalisé en 1989 par les intéressés, des frais d’équipement des fenêtres de leur maison par des vitres isolantes en 2008 et des troubles qu’ils avaient subis dans leurs conditions d’existence entre 1983 et 2009 (date à laquelle la commune a équipé la salle d’un limiteur de sons).

En 2010 les riverains d’une salle des fêtes d’une commune du Calvados [1] saisissent le tribunal administratif d’une demande de réparation de leur préjudice causé par les nuisances sonores.

Ils se plaignent notamment de la fréquence des soirées, de l’importance des nuisances résultant du comportement des participants et de la présence en de nombreuses occasions d’un camion frigorifique fonctionnant toute la soirée. Ils réclament 300 000 euros (!) de dédommagement incluant le remplacement en 2008 de leurs ouvertures par des vitrages présentant une meilleure qualité d’isolation phonique et l’édification, en... 1989, d’un mur d’isolation.

Pour sa défense la commune objecte que la salle a été construite en... 1983 et que les requérants résident sur la commune depuis... 1977 ! Or l’article 1er de la loi du 31 décembre 1968 fixe à quatre ans la prescription des créances sur les administrations.

Pas de prescription

Le tribunal administratif retient la prescription et rejette l’action introduite par les intéressés.

C’est à une toute autre analyse que se livre la cour administrative d’appel. En effet depuis l’exploitation de la salle, les intéressés adressent régulièrement des réclamations qui sont restées sans effet. Ce n’est qu’en 1998, soit quinze ans après la construction litigieuse, que la commune a pris des mesures. Mais elles se sont révélées insuffisantes. Ainsi, les nombreux courriers de réclamation adressés à l’administration, et les réponses apportées par les services concernés, ont bien interrompu la prescription.

Le Conseil d’Etat n’y trouve rien à redire :

"il résultait de ces documents que, lors de la présentation d’une réclamation préalable le 9 juillet 2010, suivie le 5 octobre 2010 de la saisine du tribunal administratif de Caen, la créance des intéressés n’était prescrite pour aucun des préjudices invoqués, y compris ceux antérieurs à 2005".

En effet il résulte de l’article 2 de la loi de 1958 que la prescription est interrompue par :

 toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l’autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l’existence ou au paiement de la créance ;

 toute communication écrite d’une administration intéressée dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance.

En l’espèce, relève le Conseil d’Etat, "le fait générateur de la créance dont M. et Mme B...se sont prévalus devant les juges du fond était constitué par les nuisances sonores résultant de l’exploitation de la salle des fêtes municipale, depuis sa construction en 1983 sur le terrain jouxtant leur maison d’habitation".

Responsabilité de la commune engagée

Sur le fond, le Conseil d’Etat approuve les juges d’appel d’avoir retenu la responsabilité de la commune : si des mesures visant à limiter les nuisances sonores ont été prises par la commune à partir de 1998, celles-ci n’ont pas permis de réduire de manière satisfaisante les troubles constatés, faute notamment pour le maire d’avoir sanctionné les manquements répétés des usagers aux obligations rappelées par des arrêtés municipaux.

C’est à bon droit que la cour administrative d’appel a établi l’existence d’un lien direct entre la carence fautive de la commune et le préjudice ayant résulté du coût de remplacement des ouvertures. Et, c’est par une appréciation souveraine des faits, qu’elle a fixé à 53 000 euros le montant global des indemnités mises à la charge de la commune au titre des frais d’édification d’un mur d’isolation réalisé en 1989 par les intéressés, des frais d’équipement des fenêtres de leur maison par des vitres isolantes en 2008 et des troubles qu’ils avaient subis dans leurs conditions d’existence entre 1983 et 2009 (date à laquelle la commune a équipé la salle d’un limiteur de sons).

Conseil d’État, 3 février 2016, N° 381825

[1Cormelles-le-Royal.