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La faute personnelle détachable du service comme critère de compétence des juridictions judiciaires : un moyen d’ordre public qui doit être soulevé d’office

Cour de cassation, chambre criminelle, 15 mars 2016, N° 14-87237

Le juge judiciaire doit-il d’office constater son incompétence pour condamner personnellement un élu local ou un agent public à indemniser une victime en l’absence de faute personnelle détachable du service ?

Oui : l’incompétence du juge judiciaire est en pareil cas d’ordre public et doit être soulevée d’office. En effet l’agent d’un service public ne peut être personnellement déclaré responsable des conséquences dommageables de l’acte délictueux qu’il a commis que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions. Ce n’est que si les juridictions judiciaires caractérisent expressément une telle faute, qu’elles peuvent condamner un agent public à indemniser une partie civile. Peu importe donc que l’avocat de l’élu poursuivi n’ait pas pensé à soulever cette exception. En l’espèce un élu avait été condamné pénalement pour avoir diffamé un opposant. Les juges d’appel s’étaient aussi prononcés sur les intérêts civils et l’avaient condamné à des dommages et intérêts. Mais sans caractériser à son encontre de faute personnelle détachable du service. D’où la censure de l’arrêt par la chambre criminelle sur le visa de la loi des 16-24 août 1790. Ce qui ne veut pas dire que la cour d’appel de renvoi ne pourra pas condamner l’élu à indemniser les parties civiles. Il faudra simplement qu’elle caractérise une faute personnelle détachable du service en s’appuyant, le cas échéant, sur les critères récemment définis par le Conseil d’Etat (arrêts du 30 décembre 2015) pour caractériser une telle faute.

Lors d’une séance publique du conseil municipal, un maire prend à partie un conseiller d’opposition en faisant état d’une condamnation pour des détournements au préjudice d’une association. Or si l’intéressé avait effectivement été poursuivi pour de tels faits, il avait bénéficié d’une relaxe.

Poursuivi pour diffamation publique, l’élu est condamné à 2000 euros d’amende. Le lapsus invoqué comme moyen de défense n’a pas convaincu les magistrats...

Sur l’action civile, les juges condamnent l’élu au paiement de dommages-intérêts à la partie civile. Mais sans caractériser de faute personnelle de la part de l’élu condamné.

D’où la censure de la Cour de cassation sur le visa de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III. Le juge judiciaire est en effet incompétent pour statuer sur la responsabilité civile d’un agent ou d’un élu ayant agi dans l’exercice de ses fonctions sans rechercher, même d’office, si la faute imputée présentait le caractère d’une faute personnelle détachable du service :

"en se reconnaissant ainsi compétente pour statuer sur la responsabilité civile du prévenu, maire ayant agi dans l’exercice de ses fonctions, sans rechercher si la faute imputée à celui-ci présentait le caractère d’une faute personnelle détachable du service, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et le principe rappelé ci-dessus".

Et peu importe que le prévenu n’ait pas soulevé l’incompétence des juridictions judiciaires : "l’incompétence des juridictions étant en pareil cas d’ordre public", le juge judiciaire doit soulever le moyen d’office.

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Cour de cassation, chambre criminelle, 15 mars 2016, N° 14-87237

[1Photo : © Gary Blakele