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Implantation d’éoliennes sur un terrain appartenant à des élus : attention à la prise illégale d’intérêts

Cour de cassation, chambre criminelle, 12 novembre 2015, N° 14-83073

Un élu peut-il être condamné pour recel si les faits de prise illégale d’intérêts qui lui sont imputés}} (ici participation au vote d’une délibération relative à l’implantation d’une éolienne sur un terrain lui appartenant) sont prescrits ?

Non : les règles relatives à la prescription du délit de prise illégale d’intérêts, ne peuvent pas être contournées en poursuivant les auteurs de l’infraction du chef de recel de prise illégale d’intérêts. Est ainsi annulée la condamnation pour recel de conseillers municipaux qui avaient été initialement mis en examen pour prise illégale d’intérêts après avoir participé à des délibérations relatives à l’implantation d’éoliennes sur des terrains leur appartenant. Les poursuites ayant été engagées plus de huit ans après la délibération litigieuse, le juge d’instruction avait retenu la prescription de l’action publique mais avait tenté de contourner celle-ci en poursuivant les élus pour recel. En effet le délit de recel est une infraction dite continue (par opposition aux infractions dites instantanées) dont le délai de prescription ne court pas tant que le receleur conserve l’objet du délit (en l’espèce tant que les éoliennes n’étaient pas démantelées). De fait, en première instance et en appel, les élus avaient été condamnés à 4 mois d’emprisonnement avec sursis et à 8.000 euros d’amende. La Cour de cassation annule la condamnation : "le délit de recel de prise illégale d’intérêts ne peut être reproché à la personne qui aurait commis l’infraction principale, celle-ci fût-elle prescrite". Ce qui ne veut pas dire que les faits ne tombaient pas sous le coup de l’article 432-12 du code pénal réprimant la prise illégale d’intérêts. Aussi on ne saurait que trop recommander aux conseillers municipaux intéressés de s’abstenir de participer non seulement au vote de la délibération litigieuse mais également aux débats, ainsi qu’à l’instruction du projet.

En 2002, un projet de parc de 26 éoliennes voit le jour sur deux communes rurales de Haute-Loire. En mars 2009, des riverains du projet portent plainte avec constitution de partie civile reprochant des nuisances, des infractions au droit de l’urbanisme et des faits de prise illégale d’intérêts. Sur ce dernier point les plaignants font observer que des conseillers municipaux ont pris part à la délibération relative à l’implantation des éoliennes sur leur terrain.

Sauf que la délibération litigieuse a été prise en décembre 2001, soit huit ans avant le dépôt de plainte avec constitution de partie civile. Un peu tard au regard du délai de prescription triennal applicable en matière délictuelle. Le juge d’instruction constate donc logiquement la prescription de l’action publique. Mais l’idée lui vient, pour contourner les règles relatives à la prescription, de poursuivre les élus du chef de recel. En effet au contraire du délit de prise illégale d’intérêts qui est un délit instantané, le recel est une infraction dite continue. Il en résulte que la prescription ne court pas tant que les receleurs sont en possession de l’objet du délit. Bref tant que les éoliennes sont implantées, les poursuites peuvent être engagées...

De fait les conseillers municipaux sont condamnés pour recel par le tribunal correctionnel du Puy-en-Velay à quatre mois d’emprisonnement avec sursis et à 8 000 euros d’amende, ce que confirme la cour d’appel de Riom.

La Cour de cassation annule cette condamnation par un attendu de principe :

"le délit de recel de prise illégale d’intérêts ne peut être reproché à la personne qui aurait commis l’infraction principale, celle-ci fût-elle prescrite".

Autant dire que l’on ne peut contourner les règles relatives à la prescription des auteurs d’une infraction en les poursuivant pour recel de cette même infraction.

Rappelons néanmoins que si le délit de prise illégale d’intérêts est une infraction instantanée qui se prescrit à compter du jour où la participation illégale a pris fin (en l’espèce le jour de la participation de l’élu à la délibération), il reste que la Cour de cassation a précisé que :

 "le délit de prise illégale d’intérêts se prescrit à compter du dernier acte administratif accompli par l’agent public par lequel il prend ou reçoit directement ou indirectement un intérêt dans une opération dont il a l’administration ou la surveillance". Ainsi dans le cadre d’un contrat, ce n’est pas nécessairement la date de conclusion des conventions qui doit être retenue comme point de départ de la prescription, le juge devant rechercher si le prévenu, lors de l’exécution de ces contrats, n’a pas réalisé d’acte nouveau d’administration le plaçant en position de surveillé et de surveillant [1] ;

 le délai de prescription de l’action publique ne commence à courir, en cas de dissimulation destinée à empêcher la connaissance de l’infraction, qu’à partir du jour où celle-ci est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice des poursuites. Ainsi tant qu’une ingérence est clandestine, le délai de prescription ne court pas [2].

Bref la prescription n’est pas si facilement acquise. D’ailleurs la Cour de cassation reproche également à la cour d’appel de ne pas avoir recherché elle-même si le délit de prise illégale d’intérêts était bien prescrit. Il appartiendra à la cour de renvoi de se prononcer sur ce point.

Cour de cassation, chambre criminelle, 12 novembre 2015, N° 14-83073

[1Cour de cassation, chambre criminelle, 21 septembre 2005
N° 04-80474

[2Cour de cassation, chambre criminelle, 16 décembre 2014, N° 14-82939