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Hygiène et sécurité au travail : vive le droit de retrait !

Voilà bien le propre des garde-fous : heureusement qu’ils existent mais mieux vaut tout mettre en oeuvre pour qu’ils ne servent jamais. Car l’exercice du droit de retrait est toujours un constat d’échec. Comment ne pas en arriver là ? Pas forcément si simple. Etes-vous en effet certain que votre collectivité soit au clair en matière d’hygiène et de sécurité au travail ?

  • Introduction

Il a fallu près de vingt ans et le décret n°2000-542 du 16 juin 2000 (modifiant le décret n°85-603 du 10 juin 1985) pour que le droit de retrait, applicable dans le privé depuis la loi Auroux n°82-1097 du 23 décembre 1982, soit expressément consacré dans le droit de la fonction publique territoriale. Il s’agit là d’une prérogative fondamentale qui permet à tout agent qui s’estime exposé à un danger grave et imminent de ne pas exécuter le travail qui lui est demandé sans risque de sanction, ni de retenue de salaire. Si l’exercice de ce droit ne saurait être une prétexte à l’insubordination, il peut néanmoins contribuer à une meilleure prévention des risques au sein des collectivités locales. Encore faut-il que le principe et les modalités de ce droit soient bien connus, à tous les échelons de la hiérarchie territoriale.

  • Ce que disent les textes

    • Article 8-4 et 8-5 de la Directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989,
      concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail.
       > 8-4. « Un travailleur qui, en cas de danger grave, immédiat et qui ne peut être évité, s’éloigne de son poste de travail et/ou d’une zone dangereuse ne peut en subir aucun préjudice et doit être protégé contre toutes conséquences dommageables et injustifiées, conformément aux législations et/ou pratiques nationales. »
       > 8-5. « L’employeur fait en sorte que tout travailleur, en cas de danger grave et immédiat pour sa propre sécurité et/ou celle d’autres personnes, puisse, en cas d’impossibilité de contacter le supérieur hiérarchique compétent et en tenant compte de ses connaissances et moyens techniques, prendre les mesures appropriées pour éviter les conséquences d’un tel danger.
      Son action n’entraîne pour lui aucun préjudice, à moins qu’il n’ait agi de manière inconsidérée ou qu’il ait commis une négligence lourde. »
    • Article L231-8-1 du code du travail :
       > « Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un salarié ou d’un groupe de salariés qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d’eux . Le bénéfice de la faute inexcusable de l’employeur définie à l’article L. 468 du code de la sécurité sociale est de droit pour le salarié ou les salariés qui seraient victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle alors qu’eux-mêmes ou un membre du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail avaient signalé à l’employeur le risque qui s’est matérialisé. »
    • Décret du 10 juin 1985
      (modifié par Décret 2000-542 2000-06-16 art. 6 jorf 20 juin 2000)
       > Article 5-1- « Si un agent a un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé ou s’il constate une défectuosité dans les systèmes de protection, il en avise immédiatement son supérieur hiérarchique.

Aucune sanction ne peut être prise, aucune retenue de rémunération ne peut être effectuée à l’encontre d’agents qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour leur vie ou pour leur santé.

La faculté ouverte au présent article doit s’exercer de telle manière qu’elle ne puisse créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent.

L’autorité territoriale ne peut demander à l’agent de reprendre son activité dans une situation de travail présentant un danger grave et imminent.

La détermination des missions de sécurité des biens et des personnes qui sont incompatibles avec l’exercice du droit de retrait individuel défini ci-dessus en tant que celui-ci compromettrait l’exécution même des missions propres de ce service, notamment dans le cadre de la sécurité civile et de la police municipale, est effectuée par voie d’arrêté interministériel du ministre chargé des collectivités territoriales, du ministre chargé du travail et du ministre dont relève le domaine, pris après avis du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale. »

  • Un principe général du droit

La jurisprudence administrative n’a pas attendu le décret du 16 juin 2000 pour reconnaître aux agents territoriaux le droit de se retirer d’une situation dangereuse pour leur vie et pour leur intégrité. Ainsi le tribunal administratif de Besançon (TA Besançon 10 octobre 1996 requête n°96-0071) a invalidé une exclusion de trois jours prise par un maire contre un technicien qui avait refusé d’exécuter successivement deux missions jugées par lui dangereuses :
 la première consistait à nettoyer des regards égout par une température inférieure à huit degré et sans être équipé d’un blouson à bandes réfléchissantes ;
 la seconde, plus périlleuse, visait à installer des guirlandes de Noël « à partir d’une échelle et d’un godet de tracteur levé à quatre mètres du sol dans lequel l’agent devait prendre place. »

Si le premier refus d’obéissance est considéré comme abusif par le tribunal, le second est considéré comme justifié. Les magistrats appuient leur raisonnement :
 d’une part sur l’article 28 de la loi du 13 juillet 1983 selon lequel le fonctionnaire « doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans les cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public » ;

 et d’autre part sur le « principe général dont s’inspire l’article L 231-8-1 du code du travail » dont il résulte « qu’aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un salarié ou d’un agent public qui s’est retiré d’une situation de travail dont il avait un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ».

Ce positionnement de principe est d’autant plus fort que le tribunal aurait pu, pour aboutir aux mêmes conclusions, viser l’article 3 du décret du 10 juin 1985 en vertu duquel les dispositions du titre III du livre II du code du travail (au rang desquelles figurent celles relatives au droit de retrait) sont, sauf dispositions contraires, directement applicables aux collectivités locales.

En ce sens le décret du 16 juin 2000, ne constitue pas une révolution mais une évolution dans la mesure où les fonctionnaires territoriaux ne sont plus soumis en la matière au droit commun mais bénéficient, à l’instar des agents de l’Etat (décret 95-680 du 9 mai 1995), d’une procédure spécifique, gage d’une meilleure lisibilité et partant, du moins c’est le but recherché, d’une meilleure efficacité.

  • Deux conditions de fond

Le droit de retrait est loin d’être une simple formalité ! Deux conditions doivent être réunies :
 l’agent doit avoir un motif raisonnable de penser que la situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé ;
 il ne faut pas que, du fait de l’exercice du droit de retrait, une autre personne (collègue ou usager) se trouve exposée à un risque grave et imminent.

L’article 5-1 du décret du 10 juin 1985 (crée par le décret du 16 juin 2000) va plus loin que le code du travail en visant dans son premier alinéa « la défectuosité des systèmes de protection ». Or cette précision disparaît dans le second alinéa qui ne vise que le danger grave et imminent.

Deux lectures sont possibles : ou bien considérer que la défectuosité d’un système de protection dispense l’agent de devoir à justifier l’existence d’un danger grave et imminent pour pouvoir exercer son droit de retrait ; ou bien estimer, que si en pareil cas l’agent est fondé à alerter son supérieur hiérarchique, il ne peut pour autant exercer son droit de retrait que si cette défectuosité l’expose à un danger grave et imminent. Selon que l’une ou l’autre des interprétations est retenue l’exercice du droit de retrait est plus ou moins large. Si la première solution était retenue cela signifierait que dans l’affaire jugée par tribunal administratif de Besançon (op.cit.), l’agent aurait été fondé à refuser la mission de nettoyage des bouches d’égout dès lors qu’il n’était pas équipé d’un gilet à bandes réfléchissantes. La circulaire d’application du 9 octobre 2001 ne donne aucune précision sur cette question.

En tout état de cause en ouvrant aux agents le droit de se retirer d’une situation de travail qu’ils estiment dangereuse, le décret de juin 2000 reconnaît comme le code du travail un droit à l’erreur dans l’appréciation du danger : l’existence effective d’un danger grave et imminent n’est pas exigé, il suffit que l’appréciation de l’agent soit raisonnable et sincère et non pas extravagante, insensée, absurde ou excessive. En cas de contestation c’est le juge qui au final tranchera en fonction non pas de la réalité du danger mais du caractère raisonnable ou non de l’appréciation de l’agent. La jurisprudence administrative reste encore peu fournie en la matière. Dans l’attente, seule une étude de la jurisprudence sociale basée sur le code du travail peut être instructive.

  • Justifié ou abusif ? Quelques exemples de jurisprudence

Ont été déclarés fondés les droits de retrait exercés par :
 un peintre en bâtiment en raison de la défectuosité d’un échafaudage sur lequel il était amené à travailler (Cass soc 23 juin 2004) ;
 un salarié en raison “des vols, dégradations et menaces physiques répétées dans l’entreprise” (CA Agen 28 février 2003) ;
 un chauffeur pour lequel le médecin du travail avait préconisé l’affectation d’un véhicule à direction assistée (Cass soc 10 mai 2001) ;
 un chauffeur refusant de prendre le volant d’un véhicule interdit à la circulation par le service des mines (cass soc 5 juillet 2000) ;
 un salarié déclaré inapte par la médecine du travail au changement de poste qui lui était proposé (cass soc 20 mars 1996) ;
 un salarié ayant constaté, un dégagement de poussière par les machines sur lesquelles il travaillait plus important qu’à l’ordinaire et ce même si postérieurement à l’exercice de ce retrait une expertise a pu déterminer l’innocuité de cette émission (cass soc 26 novembre 1987) ;
 un veilleur de nuit invoquant un choc psychologique provoqué par des menaces de mort dont il avait été l’objet par une personne en état d’ébriété (CA Paris 21 mars 1987) ;
 une salariée pour laquelle le médecin du travail avait préconisé un aménagement de son poste de travail (Cass soc 11 décembre 1986).

Ont en revanche été déclarés abusifs les droits de retrait exercés par :
 des chauffeurs de bus à la suite d’agressions de collègues sur une autre ligne que la leur (cass soc 23 avril 2003) ;
 un salarié 10 mois après avoir été licencié (cass soc 22 janvier 1997) ;
 des maçons ayant refusé de travailler en hauteur sur un chantier un jour d’intempéries (cass soc 20 janvier 1993) ;
 d’une salarié ayant quitté son bureau pour ne plus être exposée aux courants d’air (cass soc 17 octobre 1989) ;
 d’un salarié invoquant le bruit estimé insupportable d’un ventilateur (Conseil des Prud’hommes de Béthune 31 octobre 1984).

La cour de cassation considérant que le caractère raisonnable du sentiment du salarié est apprécié souverainement par les juges du fond, il n’y a pas nécessairement de cohérence entre ces différentes espèces. Tout est question d’appréciation au cas par cas. En tout état de cause, l’exercice du droit de retrait n’est pas soumis à une condition d’extériorité du danger. Celui-ci peut donc résulter de l’état de santé du salarié comme une allergie (soc 20 mars 1996). Au demeurant, il y lieu d’observer que l’agent peut être exposé à une situation à risque justifiant l’exercice du droit de retrait sans que l’employeur ait nécessairement violé une disposition particulière de sécurité (cass soc 9 mai 2000).

  • Harcèlement moral et droit de retrait

Un agent qui s’estime victime d’un harcèlement moral peut-il exercer son droit de retrait sans risque de sanction ? La question avait été posée lors du colloque 2002 de l’Observatoire (actes du colloque peuvent être commandés gratuitement sur www.observatoire-collectivites.org). Là aussi plusieurs lectures sont possibles.

Certains, invoquant la souplesse d’appréciation laissée aux agents, estiment que l’exercice du droit de retrait dans de telles situations peut être un très bon moyen d’alerter l’autorité territoriale et de la contraindre à prendre la situation à bras le corps sans avoir à subir les crispations liées à la saisine de la justice. D’autres font observer que la notion de danger grave et imminent est difficilement conciliable avec le caractère répétitif des agissements de harcèlement moral et que l’agent qui invoque à tort le droit de retrait peut s’exposer à une procédure pour abandon de poste (laquelle suppose que l’agent ait été mis en demeure de reprendre son travail).

Si le juge administratif a déjà considéré que le suicide d’un agent pouvait relever du régime des accidents de service (CAA Lyon 27 décembre 1999, n°97LY02644), il ne s’est pas à notre connaissance expressément prononcée sur la question de la validité de l’exercice du droit de retrait dans ce types de situations.

La circulaire d’application du 9 octobre 2001 précise que « la notion de danger grave et imminent doit s’entendre comme une menace susceptible de provoquer une atteinte sérieuse à l’intégrité physique de l’agent, dans un délai très rapproché. Elle concerne plus spécialement les risques d’accidents, puisque l’accident est dû à une action soudaine entraînant une lésion du corps humain. Les maladies sont le plus souvent consécutives d’une série d’événements à évolution lente et sont, a priori, hors champ. »

  • Quelle procédure ?

La procédure instaurée par le décret du 16 juin 2000 diffère sensiblement de celle prévue par le code du travail pour tenir compte des spécificités des collectivités locales.

    • Qui peut prendre l’initiative de signaler un danger ?
       soit l’agent concerné qui en avise son supérieur hiérarchique. La circulaire d’application préconise à cet égard, même si le décret ne l’impose pas, d’en informer un membre du comité (CHSCT ou CTP) ;
       soit un membre du comité qui constate une cause de danger grave et imminent en le signalant immédiatement à l’autorité territoriale.

Fallait-il se limiter à cette liste ? Ne peut-on pas considérer qu’il appartient à tout agent, de signaler immédiatement à l’autorité territoriale les dangers graves et imminents auxquels est exposé un agent dès lors que celui-ci n’en a pas nécessairement conscience (par insouciance, manque d’expérience ou de formation ou parce qu’il est en état d’ébriété) ?

De fait la directive européenne (article 13) précise qu’il est du devoir de chaque travailleur de « signaler immédiatement, à l’employeur et/ou aux travailleurs ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, toute situation de travail dont ils ont un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et immédiat pour la sécurité et la santé ainsi que toute défectuosité constatée dans les systèmes de protection. »

En tout état de cause, il faut rappeler que chaque agent est garant de la sécurité de ses collègues et que la chambre sociale de la Cour de cassation (cass. Soc. 28 février 2002) considère « qu’alors même qu’il n’aurait pas reçu de délégation de pouvoir, le salarié, tenu en vertu de l’article L. 230-3 du Code du travail de prendre soin de sa sécurité et de celles des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail, répond des fautes qu’il a commises dans l’exécution de son contrat de travail. »

    • Qui doit être alerté ?

Si l’on suit la logique du tableau synoptique présenté par la circulaire d’application, l’information du supérieur hiérarchique constitue un préalable à l’exercice du droit de retrait. Une telle interprétation n’est-elle pas contraire à l’esprit même du droit de retrait ? En effet, dans la logique de la procédure, l’agent ne doit pas avoir à demander d’autorisation préalable pour ne pas exécuter sa mission. Rappelons à cet égard les termes de la directive européenne de 1989 (article 8-5) : « l’employeur fait en sorte que tout travailleur, en cas de danger grave et immédiat pour sa propre sécurité et/ou celle d’autres personnes, puisse, en cas d’impossibilité de contacter le supérieur hiérarchique compétent et en tenant compte de ses connaissances et moyens techniques, prendre les mesures appropriées pour éviter les conséquences d’un tel danger. Son action n’entraîne pour lui aucun préjudice, à moins qu’il n’ait agi de manière inconsidérée ou qu’il ait commis une négligence lourde. »

De fait, l’autorité territoriale ne peut demander à l’agent de reprendre son activité dans une situation de travail présentant un danger grave et imminent (article 5-1 du décret du 10 juin 1985). L’agent doit avoir le droit, en fonction de sa propre appréciation du danger, de cesser son travail de sa propre autorité sans avoir à solliciter l’accord du chef d’établissement sur l’existence du danger ou sur son caractère grave et imminent pour sa vie et sa santé, ni à solliciter l’accord d’un membre du CHS-CT ou du CTP. C’est en tout cas la solution retenue devant les juridictions sociales.

En revanche, si un agent à des doutes sur le degré de gravité ou l’imminence de la menace, rien ne l’empêche, à l’instar de ce que prévoit le code du travail pour les salariés du privé (L231-8 alinéa 1 du code du travail), de signaler à son supérieur ou à un membre du comité la situation qu’il estime dangereuse sans prendre l’initiative d’arrêter son travail. Il n’en appartiendra pas moins à l’autorité territoriale de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser la situation dangereuse. Relevons à cet égard que s’agissant des salariés de droit privé, ce type de signalement sans exercice du droit de retrait met à la charge de l’employeur, s’il opte pour la continuation du travail, une présomption irréfragable de faute inexcusable dans les cas où le salarié serait ensuite victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle (L231-8-1).

    • Comment doit être formalisé le signalement ?

Quelle que soit l’initiateur de l’alerte, le signalement doit être formellement recueilli dans un registre spécial (article 5-3 du décret de 1985) tenu, sous la responsabilité de l’autorité territoriale, à la disposition des membres du comité et de(s) l’agent(s) chargé(s) des missions d’inspection (ACFI). La circulaire d’application propose le modèle de registre suivant : Collectivité locale ou établissement public local :
 Etablissement ou service :
 Bureau ou atelier concerné :
 Poste de travail concerné :
 Nom du ou des agents exposés au danger :
 Description du danger grave et imminent encouru :
 Description de la défaillance constatée (indiquer depuis quand) :
 Date :
 Heure :
 Signature de l’agent :
 Signature du membre du comité :
 Nom du représentant de l’autorité administrative qui a été alerté :
 Signature de l’autorité territoriale ou de son représentant :
 Mesures prises par l’autorité territoriale :

Il y a lieu d’observer que cette formalisation tranche avec le droit applicable pour les salariés du privé pour lesquels il a été jugé que l’employeur ne peut instaurer dans le règlement intérieur une procédure de consignation écrite qui a provoqué le retrait ou l’alerte même si cette formalité est postérieure à ladite situation (CE 12 juin 1987 et 11 juillet 1990).

    • Quelles suites donner au signalement ?

Il appartient à l’autorité de procéder immédiatement à une enquête en y associant un membre du comité (cette association est obligatoire si c’est un membre du comité qui signale le danger et recommandée si le signalement émane directement de l’agent) et de prendre les mesures nécessaires pour remédier à la situation.

En cas de divergence sur la réalité du danger ou de le faire cesser, le comité (CHS ou CTP) doit être réuni en urgence dans un délai n’excédant pas 24 heures. Si le désaccord persiste malgré l’intervention du ou des ACFI, il peut être fait appel aux services de l’inspection du travail lesquels interviennent à titre d’expertise et de conseil hors tout pouvoir de contrainte ou de sanction. Dans cette hypothèse un rapport est alors adressé conjointement à l’autorité territoriale, au comité et à l’ACFI qui contraint la collectivité à répondre par écrit sur les mesures prises ou projetées.

  • Conséquences de l’exercice du droit de retrait

L’agent peut quitter son poste de travail sans crainte de perte de salaire ou de sanction disciplinaire dès lors que son appréciation du danger est considérée comme raisonnable et non abusive. Il ne peut être ni sanctionné, ni contraint à reprendre son travail tant que le danger persiste. L’autorité territoriale peut néanmoins lui confier un autre travail correspondant à sa qualification professionnelle.

Si la collectivité juge abusive l’exercice du droit de retrait et sanctionne l’agent, il appartient aux juridictions administratives (si l’agent est un fonctionnaire) ou prud’homales (si l’agent est un contractuel) de trancher.

Relevons qu’en ce qui concerne les agents non titulaires, l’article 5-4 du décret de 1985 prévoit à leur profit le bénéfice du régime de la faute inexcusable de l’employeur telle que défini aux articles L 452-1 et suivants du Code de la sécurité sociale, dès lors qu’ils auraient été victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, alors qu’eux-mêmes ou un membre du comité avaient signalé au chef de service le risque qui s’est réalisé. La reconnaissance de la faute inexcusable a une double incidence sur l’indemnisation :
 la majoration des rentes (article L452-1 du CSS) la caisse récupérant sur la collectivité le montant de la majoration par l’imposition d’une cotisation supplémentaire ;
 le droit à la réparation civile des autres préjudices résultant des souffrances physiques et morales, préjudice esthétique et d’agrément qui sera à la charge définitive de l’employeur (L 452-1 CSS).

Pour les fonctionnaires, on peut penser que les juridictions administratives appliqueraient en pareil cas la jurisprudence du Conseil d’Etat autorisant la victime d’un accident de service à engager la responsabilité de son employeur et obtenir ainsi réparation des postes de préjudice qui ne sont pas couverts par le forfait de pension. Dans un arrêt du 14 mai 2001 la Cour administrative d’appel de Nancy a ainsi reconnu que l’employé d’une usine d’incinération d’ordures ménagères (qui avait amputé après avoir glissé sur une plaque de tôle) était fondé à exercer une action en responsabilité de droit commun contre le SIVOM alors même qu’il bénéficiait d’une allocation temporaire d’invalidité consécutive à un accident de service. Une telle faute aurait été sans doute a fortiori reconnue si l’agent avait signalé le danger à l’autorité territoriale.

Des poursuites pénales sont également envisageables pour homicide ou blessures involontaires, voire pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui : dès lors qu’un danger spécifique est signalé résultant d’une inobservation d’une règle particulière de sécurité ou de prudence et que l’autorité territoriale ne prend pas les mesures pour le faire cesser, des poursuites sont possibles avant même tout accident ; en cas d’accident le signalement préalable du danger constituera aux yeux du juge une circonstance aggravante. A cet égard, il ne faut pas surestimer les conséquences de la loi du 10 juillet 2000 sur la répression des délits non intentionnels. En effet l’hygiène et la sécurité au travail est un domaine très réglementé rendant de ce fait très facile la constatation de la violation d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la ou le règlement. Quant au caractère manifestement délibéré il résulte nécessairement de cette violation.

  • Les limites du droit de retrait

Certains métiers de la fonction publique territoriale ne sont pas toujours compatibles avec l’exercice du droit de retrait. Imagine-t-on un pompier ou un policier municipal invoquer le droit de retrait pour refuser de porter secours à une personne sinistrée ou agressée ? Un arrêté du 15 mars 2001 (NOR : FPPA0110020A) dispose ainsi en son article 1 que « ne peuvent se prévaloir de l’exercice du droit de retrait, lorsqu’ils exercent leurs fonctions dans le cadre d’une des missions de secours et de sécurité des personnes (...), les fonctionnaires des cadres d’emplois des sapeurs-pompiers, de police municipale et de gardes champêtres. »

Pour les sapeurs pompiers, sont déclarées incompatibles avec l’exercice du droit de retrait les missions opérationnelles définies par l’article L1424-2 du code général des collectivités territoriales, à savoir :
1º/ La prévention et l’évaluation des risques de sécurité civile ;
2º/ La préparation des mesures de sauvegarde et l’organisation des moyens de secours ;
3º/ La protection des personnes, des biens et de l’environnement ;
4º/ Les secours d’urgence aux personnes victimes d’accidents, de sinistres ou de catastrophes ainsi que leur évacuation.

Pour les policiers municipaux et les gardes champêtres l’incompatibilité vise « en fonction des moyens dont ils disposent, les missions destinées à assurer le bon ordre, la sécurité, la santé ou la salubrité publique, lorsqu’elles visent à préserver les personnes d’un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé ».

L’incompatibilité n’est pas donc pas absolue : en dehors des missions de secours et de sécurité, les fonctionnaires visés sont fondés à exercer leur droit de retrait selon les conditions de droit commun.

Au demeurant il faut observer que même s’agissant de leurs missions de secours et de sécurité, les fonctionnaires visés doivent exercer leurs missions en fonction des moyens dont ils disposent et « dans le cadre des dispositions des règlements et des instructions qui ont pour objet d’assurer leur protection et leur sécurité ».

  • La journée d’étude du 16 décembre

Au sens du droit du travail, le maire est un chef d’entreprise sur qui pèse une obligation générale de sécurité à l’égard des fonctionnaires et contractuels employés par la commune.

Il lui appartient en cette qualité de respecter et de faire respecter les règles d’hygiène et de sécurité sous peine d’engager, le cas échéant, sa responsabilité y compris pénale. Mieux vaut donc ne pas plaisanter avec lesdites règles, même si certaines d’entre elles peuvent prêter à sourire par leur caractère vague ou au contraire tatillon.

    • Questions basiques

En cas d’accident du travail, afin d’en déterminer la ou les responsabilités, plusieurs questions basiques viennent à l’esprit des enquêteurs.

Le matériel utilisé était-il aux normes ? Etait-il entretenu et régulièrement révisé ? La victime connaissait-elle les consignes de sécurité ? La collectivité s’assurait-elle du respect effectif des consignes données ou se contentait-elle d’une diffusion purement formelle de celles-ci ? La victime ou le responsable était-il en état d’ébriété au moment de l’accident ? La victime avait-elle reçu la "formation pratique et appropriée en matière de sécurité" due par l’employeur lors de toute entrée en fonction ou de changement de poste ?

La collectivité avait-elle nommé et formé, comme elle y est tenue, au moins un agent chargé de la mise en œuvre des règles d’hygiène et de sécurité (ACMO) et un agent chargé des fonctions d’inspection (ACFI) ? Ceux-ci disposent-ils des moyens nécessaires à l’accomplissement de leurs missions ?

La collectivité avait-elle inventorié dans un document unique les risques identifiés dans chaque unité de travail ? Ce document était-il régulièrement mis à jour (au moins une fois par an et lors de toute décision d’aménagement important) ? Des mesures pour supprimer ou limiter la survenance de ces risques avaient-elles été préconisées ? Ont-elles été mises en œuvre et évaluées ?

    • Risque pénal

Selon la nature des dispositions violées, la commune et/ou son maire encourent une amende pouvant aller jusqu’à 3750 euros (et même 9000 euros en cas de récidive) applicable autant de fois qu’il y a de salariés concernés !

S’agissant de la sécurité du personnel, les libertés prises avec à la législation peuvent constituer aux yeux du juge autant "de manquements délibérés à une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi et le règlement", justifiant une condamnation pour homicide ou blessures involontaires, voire pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui.

    • Tables rondes

Cette liste - très loin d’être exhaustive - témoigne de l’ampleur de la tâche : être au clair en matière d’hygiène et de sécurité au travail n’est pas une mince affaire. On peut comprendre les réticences de certains élus à ouvrir une telle boite de Pandore !
Celle-ci n’en est pas moins incontournable : prévention oblige. A sa mesure, l’Observatoire des risques juridiques des collectivités territoriales, animé par la SMACL, apporte sa pierre à l’édifice en focalisant ses travaux du second semestre sur l’hygiène et la sécurité au travail, thème de sa journée d’études annuelle, le mardi 16 décembre prochain, au FIAP Jean-Monnet à Paris.

Quatre tables rondes seront l’occasion de confronter l’expérience des partenaires de l’Observatoire et celles de magistrats et de préventeurs spécialisés. Cette journée est plus particulièrement ouvertes aux élus et aux fonctionnaires en charge de l’hygiène et de la sécurité au travail au sein de leur collectivité.

Les grands témoins
 Samuel Crevel, magistrat, direction des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice ;
 Jacques Fournier de Laurière, magistrat, président de section, Cour administrative d’appel de Paris ;
 Peter Silow, spécialiste du “risk management” au sein d’une mutuelle d’assurances territoriales danoise.
 Elie Maroglou, vice président de l’Association des préventeurs et ergonomes des collectivités territoriales (RESPECT), maire de Saillans (26).
 Madame Roblin et M. Mons, direction des ressources humaines de la ville de Poitiers.
 Estelle Cordeiro, centre de gestion de Haute-Savoie.
 Daniel Leroy, président de la Fédération nationale des centres de gestion.

  • Bibliographie

 Droit d’alerte et droit de retrait du salarié (fiche de INRS consultable sur www.inrs.fr)
 Anne Duriez (juriste territoriale), Droit de retrait : modalités d’exercice, Cahiers juridiques de la Lettre du Cadre, Novembre 2003
 Commentaire de M. Portet sous TA Besançon 10 octobre 1996, Petites affiches 23 juillet 1997, n°88.
 Circulaire du 9 octobre 2001.
 Harcèlement moral et collectivités territoriales, les Cahiers de l’Observatoire des risques juridiques des collectiivtés territoriales, décembre 2002.