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Blessures involontaires : les leçons d’un non-lieu

TGI Marseille, ordonnance de non lieu, janvier 2004

Le panneau de basket était mal fixé : à la suite d’un accident, six fonctionnaires territoriaux sont poursuivis pour blessures involontaires sur plainte des parents de la jeune victime. Après six ans de procédure, le juge d’instruction vient de rendre une ordonnance de non-lieu. Attention cependant à ne pas y voir un brevet d’impunité !

Faits et procédure

Le 13 juin 1998, l’école primaire d’un quartier d’une grande ville du sud de la France organise sa traditionnelle kermesse. En fin de matinée, un enfant se blesse en se suspendant à un panier de basket : le panneau et un pan du mur se détachent et tombent sur l’enfant. Celui-ci “s’en sort” avec une ITT évaluée à 90 jours (fractures de la cheville droite et de la hanche gauche et hématome au niveau de l’abdomen).

Sur plainte des parents, une information judiciaire du chef de blessures involontaires est ouverte contre X en septembre 1998.

Il est alors procédé à plusieurs auditions dont il ressort :

 qu’à la rentrée scolaire de 1995, le directeur de l’école avait demandé à la régie des bâtiments du quartier (par annotation sur une fiche relative à une précédente intervention) la construction d’un muret pour la fixation d’un panier de basket ;

 que cette demande, assimilée à des “petits travaux”, a été exécutée directement sans étude préalable et sans consignes particulières par deux agents municipaux (la régie avait en effet établi des règles en interne pour le traitement des demandes selon la nature des travaux : seuls les travaux jugés importants nécessitaient une expertise technique).

 que ceux-ci ont construit un muret d’un mètre carré à base de huit panneaux d’aggloméré scellés par du mortier gâché ; ledit muret a lui-même été adossé avec du mortier, sans aucune armature (ferraillage), au mur de soutènement ;

 que l’agent de maîtrise en charge du contrôle de la bonne exécution des travaux, ne s’est pas inquiété de l’existence d’un ferraillage, “compte tenu de la simplicité de l’ouvrage et de la technicité de son maçon”.

Sur ces bases, le juge d’instruction procède à plusieurs mises en examen successives :

 le maçon municipal qui a réalisé les travaux ;

 les deux agents de maîtrise qui avaient la responsabilité des petits travaux ;

 le contrôleur des travaux adjoint ;

 le technicien territorial chef de la régie des bâtiments ;

 le directeur de la régie des bâtiments de la ville.

Deux types de fautes sont ainsi mis en exergue :

 une faute technique de malfaçon (résultant de l’absence de ferraillage) ;

 une faute hiérarchique (défaut de contrôle) résultant d’une sous-estimation de l’importance des travaux.

Ces dysfonctionnements justifiaient-ils pour autant une mise en cause pénale ? Non, répond le juge d’instruction (ordonnance de non-lieu rendue en janvier 2004) qui, suivant les réquisitions du procureur de la République, rend une ordonnance de non-lieu au bénéfice de tous les protagonistes. Le magistrat instructeur relève en effet qu’au regard des “nouvelles dispositions de la loi du 10 juillet 2000 (...) les éléments constitutifs de l’article 222-20 du Code pénal requièrent désormais une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement”, non caractérisée en l’espèce. En somme si dysfonctionnements il y a eu, ceux-ci ne sont pas jugés révélateurs d’une indifférence caractérisée aux règles de sécurité.


Peines encourues

En matière de blessures involontaires, les peines encourues varient en fonction de l’incapacité totale de travail (ITT) : de 150 euros d’amende en cas de blessures sans ITT (articles R 622-1 et 131-13 du Code pénal), elles peuvent aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende en cas d’ITT supérieure à trois mois (article 222-19). En l’espèce l’ITT ayant été fixée à 90 jours ce sont les peines de l’article 222-20 du Code pénal qui étaient encourues : 1 an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Il suffisait d’un jour de plus d’ITT pour que les peines encourues soient portées au double, voire au triple (article 222-19 du Code pénal) ! Où l’on mesure l’importance de la fixation de l’ITT laquelle est souvent déterminée par le certificat médical (même si le juge peut s’en départir s’il dispose d’éléments d’appréciation contraires). Toute la difficulté réside dans les variations de cette ITT à la baisse comme à la hausse (en se soldant, dans le pire des cas, par un décès) : les peines encourues peuvent ainsi fluctuer au cours des poursuites tant que l’état de la victime n’est pas consolidé.

Il peut certes paraître ambigu de parler d’incapacité temporaire de travail pour un enfant. C’est que cette notion ne se réduit pas à la capacité de la victime à exercer un métier déterminé. À défaut toutes les personnes sans profession ne pourraient être victimes de blessures involontaires ! Pour les personnes dites inactives, l’ITT doit alors plus s’apprécier comme une “inaptitude à exercer une activité quelconque, indépendamment de la situation professionnelle de la victime” (voir Yves Mayaud, Violences volontaires et responsabilité pénale, Dalloz 2003 p. 100).


Y compris les catégories C

Parmi les nombreux lieux communs attachés à la responsabilité des élus et des fonctionnaires, on entend souvent que seuls les décideurs peuvent être inquiétés pénalement. Les fonctionnaires de catégorie C seraient donc épargnés.

Tel n’est évidemment pas le cas : ainsi en l’espèce le fonctionnaire qui a exécuté les travaux de maçonnerie a été poursuivi au même titre que ses supérieurs. Il en avait été de même dans l’affaire jugée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (voir ci-dessus) condamnant le fonctionnaire qui avait réalisé les travaux de soudure sur le portail, ainsi que dans celle jugée par la Cour de cassation le 18 mars 2003 (voir Juridiscope : Vous saviez ? Eh bien payez maintenant !) condamnant le conducteur d’un engin de damage dans lequel s’était encastré un enfant qui faisait de la luge.

De fait il n’est pas rare de voir à la même barre du tribunal donneurs d’ordres et exécutants... avec des systèmes de défense qui peuvent être radicalement contradictoires ! Attention :
l’ordre reçu n’est en aucun cas une cause d’exonération dès lors qu’il est manifestement illégal au sens de l’article 122-4 du Code pénal (tel est le cas notamment de l’ordre mettant manifestement en danger la sécurité d’autrui) tout comme la désobéissance du subordonné (qui ne respecte pas, par exemple, les consignes de sécurité) est souvent pour le juge pénal la preuve d’une défaillance fautive du contrôle interne.


Motifs du non-lieu

Contrairement à ce que pourrait laisser croire une lecture trop rapide de l’ordonnance de non-lieu, la jurisprudence de la Cour de cassation (voir Juridiscopes Buse mortelle sur une aire de jeu, Fêtes communales : gare à l’électricité, Vous saviez ? Eh bien payez maintenant ! ) montre que la loi du 10 juillet 2000 ne constitue nullement une cause générale d’immunité au profit des élus et des fonctionnaires.

Les faits de l’espèce ne sont d’ailleurs pas sans présenter une certaine similitude (même s’il faut se méfier de ce type de comparaisons, chaque cas d’espèce étant différent) avec ceux qu’avait eu à juger la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 31 mai 2001 : un enfant était mort écrasé par la chute d’un portail d’un centre culturel sur lequel les services techniques de la mairie avaient effectué des travaux de soudure.

Avaient alors été mis en cause :

 le serrurier municipal qui avait mal effectué les travaux de soudure ;

 l’agent de maîtrise qui n’avait pas jugé utile de consulter une documentation technique aux fins de connaître les règles de sécurité applicables en matière de portails roulants et n’a procédé à aucun contrôle des soudures réalisées ;

 le responsable des services techniques pour ne pas s’être préalablement demandé s’il disposait en interne des compétences requises pour effectuer lesdits travaux, et pour ne pas s’être assuré de leur bonne exécution ;

 la commune personne morale car “l’environnement général de travail, largement conditionné par la politique de recrutement des municipalités antérieures pour l’embauche des personnels, et par les contraintes budgétaires actuelles, a influé de façon sensible sur la réalisation des travaux d’une part, et le souci de moindre coût du responsable technique d’autre part”. Ils avaient tous été condamnés...

Mieux vaut donc ne pas tirer de conclusions hâtives de l’ordonnance de non-lieu rendue dans le cas présent. On aurait tort par exemple de considérer que la loi du 10 juillet 2000 permet désormais de relâcher les efforts en terme de formation des agents, d’organisation et de contrôles internes. Ce serait non seulement hasardeux juridiquement, mais surtout désastreux en terme de prévention.


Plaintes contre X

En l’espèce, l’information judiciaire a été initialement ouverte contre “personne non dénommée” (article 80 alinéa 2 du Code de procédure pénale), c’est-à-dire en langage courant contre X.

C’est que le juge d’instruction n’a pas toujours au début de son enquête assez d’éléments pour mettre en examen une ou plusieurs personnes. De fait, en l’espèce, ce n’est qu’au cours des différentes auditions que le juge a recueilli des charges suffisantes (c’est-à-dire des “indices graves et concordants rendant vraisemblable qu’elles [les personnes mises en examen] aient pu participer, comme auteur ou comme complice à la commission des infractions dont il est saisi ; article 80-1 du CPP) pour mettre en examen les cinq fonctionnaires territoriaux avant de considérer qu’au regard de la loi du 10 juillet 2000 ces charges ne justifiaient pas un renvoi devant les juridictions correctionnelles.

Il peut arriver qu’il soit demandé au fonctionnaire de donner une “liste des personnes à auditionner” ! Demande déstabilisante s’il en est : ne pas obtempérer c’est prendre le risque de se mettre à dos le juge d’instruction ; y faire droit c’est se mettre en porte-à-faux par rapport à ses collègues de travail qui seront vraisemblablement les prochains sur la liste. Une solution intermédiaire est peut-être de proposer au juge d’instruction de demander à l’autorité territoriale, un organigramme complet de la collectivité. Libre à lui de procéder ensuite aux auditions qui lui semblent alors opportunes.


Le contrat groupe de l’ATTF

En l’espèce, la SMACL est intervenue pour assurer la défense du chef de la régie des bâtiments : en sa qualité d’adhérent de l’Association des techniciens territoriaux de France (ATTF) , celui-ci a ainsi bénéficié du contrat souscrit par cette association pour le compte de ses adhérents et n’a pas eu à débourser les quelque 1 800 euros qui ont été nécessaires à sa défense.
D’autres associations sont liées à la SMACL par ce type de contrat. Pour s’en tenir à celles qui sont partenaires de l’Observatoire on relèvera que c’est ainsi le cas :

 du Syndicat national des secrétaires et des directeurs généraux

 de l’Association des ingénieurs territoriaux de France

 du Syndicat national des secrétaires de mairie.

Outre l’assurance de bénéficier ainsi de garanties négociées au meilleur rapport qualité/prix, les fonctionnaires concernés peuvent ainsi profiter du soutien et des conseils de leurs pairs qui ont pu traverser de semblables épreuves. Notons à ce titre qu’en l’espèce le non-lieu est intervenu 6 ans après les faits. D’où l’importance d’être bien entouré et... bien assuré !