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Transports scolaires : quelles responsabilités pour les départements ?

Cass crim 6 avril 2004 N° de pourvoi : 03-82394

Les circonstances de cet accident mortel ont à l’époque troublé l’ensemble du corps social, des parents d’élèves qui avaient demandé et obtenu le maintien d’un arrêt de bus non protégé au conseil général qui avait accédé à cette malheureuse demande.

Faits et procédure

Un accident mortel survient à un arrêt de bus scolaire non protégé. L’enquête permet d’établir que l’abri bus avait été retiré mais qu’à la demande des parents le point d’arrêt avait été maintenu alors qu’il existait un aménagement sécurisé à moins de 400 mètres dans le bourg (177 habitants).
Des poursuites pénales sont engagées contre le conseil général, personne morale. L’affaire est portée devant la Cour d’appel de Caen qui, le 26 février 2003, condamne le département à 5000 euros d’amende. Sur pourvoi du conseil général, la cour de cassation casse l’arrêt de la cour et relaxe la collectivité.


Point d’arrêt sauvage

Pour les magistrats de la cour d’appel, prenant appui sur les constatations de l’expert, le point de ramassage “présentait toutes les caractéristiques d’un point d’arrêt sauvage” d’autant plus dangereux qu’il se trouvait au carrefour de deux routes départementales.

C’est pourquoi, il “aurait dû être supprimé en même temps que l’abri retiré”. Et les magistrats de souligner la “légèreté des mesures de sécurité prises par le conseil général pourtant organisateur de premier rang et dépositaire du pouvoir de sécurité en matière de transport scolaire”.

Relevant par ailleurs que le président du conseil général “a la maîtrise complète et la responsabilité du choix de l’implantation des arrêts (...) et que (...) la voirie départementale relève également de sa compétence”, la Cour en conclut qu’agissant pour le compte du département il a commis une “faute d’imprudence en accédant à la demande des parents des enfants de maintenir un point de ramassage à cet endroit”.


Une faute simple suffisante ?

Le président du conseil général, en qualité de représentant du département, invoquait pour la défense de la collectivité les dispositions de la loi Fauchon du 10 juillet 2000 nécessitant la preuve d’une certaine gravité à l’encontre des auteurs indirects (en toute orthodoxie ceux qui n’ont pas été en contact avec la victime).

Il appuyait également sa défense sur les dispositions de l’article L3123-28 du code général des collectivités territoriales en vertu duquel “le président du conseil général ou un conseiller général le suppléant ou ayant reçu une délégation ne peut être condamné sur le fondement du troisième alinéa de [l’article 121-3 du code pénal] pour des faits non intentionnels commis dans l’exercice de ses fonctions que s’il est établi qu’il n’a pas accompli les diligences normales compte tenu de ses compétences, du pouvoir et des moyens dont il disposait ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi lui confie”.

En somme il ne pouvait être reproché au président du conseil général une simple faute d’imprudence pour engager la responsabilité du département.

Ces arguments sont rejetés par la Cour. Les dispositions visées ne concernent en effet que les personnes physiques et non les personnes morales : si une faute qualifiée doit être prouvée à l’encontre des individus ayant contribué indirectement à la réalisation de l’accident, une faute simple suffit à engager la responsabilité d’une collectivité, personne morale qu’elle soit auteur direct ou indirect.

L’objectif poursuivi par le législateur est précisément d’inciter les victimes à poursuivre de préférence les personnes morales en réservant la sanction pénale des personnes physiques aux seuls comportements les plus graves.

Or, en l’espèce, le président du conseil général n’était pas poursuivi personnellement mais en sa qualité de représentant de la personne morale. Si la cour de cassation casse néanmoins l’arrêt de la cour d’appel, ce n’est pas sur ce fondement mais parce que les conditions requises pour engager la responsabilité d’une personne morale de droit public n’étaient, en l’espèce, pas réunies.


Responsabilité pénale des personnes morales

L’admission, en droit français, du principe de la responsabilité pénale des personnes morales est relativement récente puisqu’elle est issue du nouveau Code pénal entrée en vigueur en mars 1994. Ainsi en vertu de l’article 121-2 dudit code, “les personnes morales à l’exclusion de l’Etat, sont responsables pénalement (...) dans les cas prévus par la loi ou le règlement, des infractions commises, pour leur compte, par leur organes ou représentants”.

Deux conditions sont communes à toutes les personnes morales, une autre est propre aux personnes morales de droit public.

 1ere condition : le législateur doit avoir spécifiquement prévu que l’infraction peut être commise par une personne morale [attention depuis la loi Perben II intervenue entre-temps cette condition n’est plus d’actualité]

Ce n’est que lorsqu’un texte le prévoit spécifiquement que la responsabilité pénale des personnes morales peut être engagée. Tel est bien le cas en matière d’homicide involontaire en vertu de l’article 221-7 du code pénal.

 2ème condition : L’infraction doit avoir été commise pour le compte de la personne morale et par l’intermédiaire de l’un de ces organes ou représentants.

La personne morale ne répond pas pénalement de tous les agissements délictueux commis par ses agents. Encore faut-il que ceux-ci soient restés dans le cadre de leur fonctions sans rechercher d’intérêt personnel et qu’il aient la qualité d’organe ou de représentant. De fortes controverses doctrinales sont nées sur le point de savoir si le salarié d’une entreprise, ou si le fonctionnaire d’une collectivité pouvait avoir cette qualité et engager ainsi la responsabilité de la personne morale qui l’emploie.

De fait, dans l’affaire du Drac, le Tribunal de Grande instance de Grenoble (15 septembre 1997) avait considéré qu’était l’organe ou le représentant de la commune, non seulement le maire, mais aussi l’animatrice du service communal à caractère socio-éducatif (qui encadrait la sortie scolaire au cours de laquelle des enfants avaient été noyés suite à un lâcher de barrage). Si l’on retient cette acception, cela signifierait que tout fonctionnaire agissant pour le compte de sa collectivité pourrait engager la responsabilité pénale de cette dernière.
Une chose semble acquise : le salarié titulaire d’une délégation de pouvoirs engage la responsabilité de l’entité qui l’emploie (Cass crim 26 juin 2001)

Reste à savoir si une telle jurisprudence est transposable aux élus ou aux fonctionnaires qui sont titulaires d’une délégation de fonction ou de signature (voir sur ce point la fiche pratique sur les délégations). Les seules délégations de pouvoirs stricto sensu que connaît le droit des collectivités sont les délégations accordées par l’assemblée délibérante au chef de l’exécutif ou à la commission permanente (pour les départements article L3211-2 du CGCT)

Sans rentrer dans ces subtilités, la cour d’appel semble implicitement considérer que le président d’un conseil général est nécessairement un organe ou un représentant du département.

 3ème condition ( propre aux personnes morales de droit public) : l’infraction doit avoir été commise “dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public”.

S’agissant des personnes morales de droit public il appartient au juge répressif de déterminer si l’activité concernée est susceptible “de délégation de service public” (article 121-2 alinéa 2 du Code pénal). Ce qui est loin d’être toujours évident. A ce titre, on ne peut que souscrire à l’analyse de Serge Petit (note sous Cass.crim. 11/12/2001, Gazette du Palais 3 et 4 juillet 2002, p.19) : “autant dire que là où le juge administratif a parfois du mal à s’y retrouver pour déterminer la frontière entre les deux grandes catégories de contrat que constituent les marchés publics et les conventions de délégations de service public le juge répressif devra déterminer si l’activité pénalement poursuivie pouvait être exercée par voie de délégation. Et ce selon sa propre conception, ses propres critères, ses propres notions de droit public. C’est dans ce contexte que la chambre criminelle tente d’élaborer une jurisprudence cohérente afin de guider le juge pénal”.


Ce qui changera en 2006 avec la loi Perben

L’article 54 de la loi Perben n°2004-204 du 9 mars 2004 modifie le régime de la responsabilité pénale des personnes morales à compter du 31 décembre 2005 (article 207 de la loi).

A partir de cette date, il ne sera plus nécessaire que l’imputabilité de l’infraction à une personne morale soit expressément précisée par la loi ou le règlement. C’est dire que toute infraction pourra être imputée une personne morale dès lors qu’elle a été commise pour son compte par l’un organe ou représentant (à quand la première condamnation d’une personne morale pour viol par exemple ?).

Tel sera notamment le cas en matière de harcèlement moral de l’article 222-33-2 du code pénal (alors que la loi 17 janvier 2002 créant cette nouvelle infraction n’avait pas prévu cette possibilité). Il s’agit là d’une évolution très importante qui peut être de nature à développer la responsabilité pénale des personnes morales.

Il reste que, s’agissant des personnes morales de droit public, la condition liée à l’activité susceptible de délégation de service public demeure ce qui peut inciter indirectement les victimes à poursuive en priorité les élus et les fonctionnaires. De fait, en l’espèce, l’application de ces nouvelles dispositions n’aurait eu aucun effet sur la position retenue par la Cour de cassation.


Un service public non délégable

Outre le fait, d’une part que le législateur doit avoir spécifiquement prévu que l’infraction peut être commise par une personne morale, d’autre part qu’elle doit avoir été commise pour le compte de la personne morale et par l’intermédiaire de l’un de ces organes ou représentants, l’infraction doit avoir été commise “dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public”.

S’agissant des personnes morales de droit public il appartient au juge répressif de déterminer si l’activité concernée est susceptible “de délégation de service public” (article 121-2 alinéa 2 du Code pénal). Ce qui est loin d’être toujours évident. A ce titre, on ne peut que souscrire à l’analyse de Serge Petit (note sous Cass.crim. 11/12/2001, Gazette du Palais 3 et 4 juillet 2002, p.19) : “autant dire que là où le juge administratif a parfois du mal à s’y retrouver pour déterminer la frontière entre les deux grandes catégories de contrat que constituent les marchés publics et les conventions de délégations de service public le juge répressif devra déterminer si l’activité pénalement poursuivie pouvait être exercée par voie de délégation. Et ce selon sa propre conception, ses propres critères, ses propres notions de droit public. C’est dans ce contexte que la chambre criminelle tente d’élaborer une jurisprudence cohérente afin de guider le juge pénal”.


Les motifs de la Cassation

La Cour estime que “si l’exploitation du service des transports scolaires est susceptible de faire l’objet d’une convention de délégation de service public, il n’en va pas de même de son organisation, qui est confiée au département en application de l’article 29 de la loi du 22 juillet 1983, devenu l’article L. 213-11 du Code de l’éducation, et qui comprend notamment la détermination des itinéraires à suivre et des points d’arrêt à desservir”.

Dès lors que la détermination des itinéraires et des points d’arrêt n’était pas susceptible de faire l’objet d’une délégation de service public, la responsabilité du département ne pouvait donc être légalement retenue (voir “Personne morale et responsabilité pénale”).

Il aurait pu en être différemment si l’accident avait mis en cause l’exploitation du service de transport (accident par exemple causé par un mauvais entretien du car) exploité en régie (ce qui n’était pas le cas en l’espèce puisque l’activité avait été déléguée à une entreprise de transport).

Cette jurisprudence s’inscrit dans une analyse très rigoureuse de la Cour de cassation. Ainsi dans l’affaire du Drac, alors que la Cour d’appel de Grenoble (12 juin 1998, note Serge Petit, Gazette du Palais, 17/18 juillet 1998) avait considéré que le fait d’organiser une activité périscolaire était une activité susceptible de délégation rendant possible la condamnation de la ville, la Cour de cassation (Cass crim 12 décembre 2000) a jugé du contraire et a annulé en conséquence la condamnation de la personne morale . De même, la Cour de cassation a-t-elle estimé (Cass crim 11 décembre 2001) que “l’obligation incombant à la région (...) de mettre les machines affectées à l’enseignement en conformité avec les prescriptions légales et réglementaires relatives à la sécurité des équipements du travail, participe du service de l’enseignement public et n’est pas, dès lors, en raison de sa nature même susceptible de faire l’objet de convention de délégation de service public. La responsabilité pénale de la région ne peut, en conséquence, être recherchée à la suite de l’accident dont a été victime l’élève d’un lycée technique blessée par une machine non équipée du dispositif de protection imposé par la réglementation relative à la sécurité du travail”.
Une telle analyse est la seule conforme à la lettre du texte. Il n’en demeure pas moins qu’elle n’incite guère les victimes à ne poursuivre que la seule personne morale : c’est en effet prendre le risque que le juge répressif considère in fine, comme en l’espèce, que l’activité productrice du dommage n’était pas susceptible de délégation de service public, rendant ainsi impossible toute déclaration de culpabilité.

La victime a tout intérêt au contraire à poursuivre cumulativement la personne morale et des personnes physiques, élus et fonctionnaires, pour avoir plus de chances que soit désigné un coupable.
Il résulte de l’alinéa 3 de l’article 121-2 du Code pénal, que “la responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits”. Ainsi, dans une espèce jugée par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence le 30 mai 2001 (voir le juridiscope “homicide involontaire : faute en cascade”) la déclaration de culpabilité de la commune personne morale, n’a pas évité la condamnation de trois fonctionnaires territoriaux.

La commission Massot, contre l’avis de son président, avait préconisé d’étendre la responsabilité pénale des personnes morales de droit public à toutes les activités, y compris pour celles qui ne sont pas susceptibles de délégation de service public. Telle n’a pas été l’option retenue par le législateur.


Peines encourues

Il va sans dire que les peines encourues par les personnes morales de droit public ne peuvent pas être identiques à celles des personnes morales de droit privé. Ainsi le juge répressif ne peut-il pas prononcer la dissolution d’une mairie ou la placer sous contrôle judiciaire !

Il n’en reste pas moins que certaines peines encourues par les personnes morales de droit public peuvent laisser perplexes plus d’un élu ou d’un fonctionnaire : exclusion des marchés publics, interdiction d’exercer une activité professionnelle ou sociale, fermeture d’un établissement, interdiction d’émettre des chèques... Pour s’en tenir aux seules peines applicables en matière d’homicide involontaire (article 221-7 du code pénal), le conseil général aurait pu être notamment condamné à une peine de 225 000 euros d’amende (l’amende pour les personnes morales est égale au quintuple de l’amende encourue par les personnes physiques), à l’affichage ou à la diffusion médiatique de la décision.

Si l’accident avait mis en cause l’exploitation en régie du service de transport on aurait même pu envisager une confiscation du bus. Quant à l’interdiction définitive ou temporaire d’exercer une activité professionnelle ou sociale, elle peut laisser songeur : le juge peut-il contraindre une collectivité à ne pas exercer une compétence ou, à tout le moins, à la déléguer ? Question que l’on espère plus théorique que pratique mais qui montre combien les peines prévues par le Code pénal ne sont pas nécessairement adaptées aux collectivités locales.


Qui représente la personne morale en justice ?

En l’espèce, ce n’est pas le président du conseil général qui était poursuivi mais le conseil général, personne morale. Il n’en demeure pas moins que la collectivité est poursuivie en la personne de son représentant légal. C’est lui qui “représente la personne morale à tous les actes de la procédure”. Pour autant, dès lors qu’il n’est pas mis personnellement en cause, ce n’est pas à lui de supporter les frais de défense mais bien à la collectivité et le cas échéant à son assureur.

Dans l’hypothèse où le représentant légal est également poursuivi à titre personnel (ce qui peut susciter des conflits d’intérêts), un administrateur de justice (requête devant le président du TGI) peut être nommé pour représenter les intérêts de la collectivité.
Jusqu’à la loi du 10 juillet 2000, cette nomination pouvait intervenir contre l’avis de l’élu.

Désormais cette désignation n’est possible que si le représentant légal en fait la demande (article 706-43 du Code de procédure pénale) ce qui est pour le moins curieux dans la mesure où c’est en quelque sorte laisser au seul intéressé le soin de juger opportun ou non d’éviter un conflit d’intérêts !