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Protection fonctionnelle : des avancées jurisprudentielles

CE 5 décembre 2005, n° 261948

Poursuivi pour faux en écriture publique, ce fonctionnaire fait avancer malgré lui, la jurisprudence pénale et administrative. Après que la Cour de cassation ait confirmé son renvoi aux assises pour complicité de faux en écriture publique, le Conseil d’Etat apporte des précisions sur la protection fonctionnelle.

Les faits :

Une commune auvergnate (5000 habitants) décide, au début des années 1990, de se porter caution au prêt souscrit par une SEM pour la construction de logements sociaux. A la faveur d´un contrôle de la Chambre régionale des comptes, une information judiciaire est ouverte pour faux en écriture publique aggravé. La nouvelle municipalité se constitue partie civile.

En effet, il résulte de l´instruction que le conseil municipal avait conditionné, dans sa délibération initiale prise en 1989, la garantie de la commune à l´accord sur le budget provisionnel devant lui être soumis et se réservait donc le droit de ne pas donner suite au projet s´il devait s´avérer trop onéreux pour les finances publiques. Or en 1991, le maire signait plusieurs extraits de délibération pour copie conforme à la délibération initiale qui indiquaient que la caution de la commune était ferme et définitive.

L´ancien maire de la commune (entre-temps décédé) et le directeur général en exercice au moment des faits sont mis en examen. Le fonctionnaire demande en vain à la nouvelle municipalité de lui octroyer le bénéfice de la protection. Il attaque ce refus devant les juridictions administratives.


Le fondement des poursuites pénales

Dans un arrêt rendu le 13 avril 2005, la Cour de cassation confirme le renvoi aux assises du fonctionnaire territorial. Le faux en écriture publique commis par une personne dépositaire de l’autorité publique est en effet un crime passible de 15 ans de réclusion criminelle et de 225 000 euros d’amende (article 441-4 du code pénal

A l’appui des poursuites il est relevé que le directeur général :

 "a assisté à toutes les séances du conseil municipal pour lesquelles les extraits de délibérations litigieux ont été établis et a procédé à l´essentiel de la rédaction des procès-verbaux de ces séances ensuite transcrits dans le registre par un agent administratif" ;

 "était employé à temps partiel par la SEM en accord avec le maire"

 "a personnellement rédigé, à l´aide d´un modèle (...) et du procès-verbal de la séance du conseil municipal du 9 mars 1989", les extraits litigieux dont il s´est personnellement assuré de la mise à exécution "en s´assurant de l´envoi en Préfecture pour le contrôle de légalité, une mention manuscrite ayant été portée par lui sur la chemise contenant le second extrait" ;

 pour rédiger ces extraits, " n´a pas manqué de consulter les procès-verbaux des séances du conseil municipal et qu´il n´a pas pu ne pas remarquer que les mentions portées dans les extraits ne correspondaient pas aux décisions prises lors des séances" puisqu’"il avait même conseillé au maire de faire prendre une nouvelle délibération dans la mesure où la garantie de la commune ne résultait pas des délibérations réellement prises" ;

 "ne saurait en conséquence invoquer sa bonne foi ou l´ignorance de ce qu´il participait activement à la rédaction d´un faux en rédigeant, faisant dactylographier les deux extraits des 3 avril et 17 juillet 1991 et en assurant leur exécution en veillant à leur envoi en Préfecture, d´autant qu´il était mieux informé et plus expérimenté en droit et en gestion administrative municipale que son propre maire" ;

 "s´il devait effectivement obéissance à son supérieur hiérarchique que pouvait constituer le maire, ce devoir s´arrêtait à partir du moment où il lui était demandé de participer comme complice à la commission d´un délit de faux dont il savait qu´il s´agissait d´un acte manifestement illégal et auquel, en application de l´article 122-4 du Code pénal, il devait s´opposer".

 que "bien que non dépositaire lui-même de l´autorité publique", il encourt comme complice "les mêmes peines criminelles que l´auteur principal et qu´il sera en conséquence, mis en accusation devant la cour d´assises de ces chefs".

Ainsi la circonstance que le fonctionnaire ait alerté l’élu sur la nécessité d’adopter de nouvelles délibérations est jugée inopérante dès lors qu’il se devait de désobéir à un ordre manifestement illégal et qu’en sa qualité de directeur général, il “était mieux informé et plus expérimenté en droit et en gestion administrative municipale que son propre maire”.

Pour autant ce renvoi aux assises ne préjuge en rien de la culpabilité du fonctionnaire qui reste présumé innocent. De ce fait il pouvait espérer bénéficier de la prise en charge de ses frais de défense par la collectivité au titre de la protection fonctionnelle.


Faute personnelle, protection fonctionelle et présomption d’innocence

Aux termes de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983, “la collectivité publique est tenue d’accorder sa protection au fonctionnaire ou à l’ancien fonctionnaire dans le cas où il fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle”.
C’est sur ce fondement que le fonctionnaire demande à son ancienne collectivité (qu’il avait entre-temps quittée) la prise en charge de ses frais de défense. La collectivité décline cette protection en estimant que le fonctionnaire avait commis une faute personnelle. En effet, le principe de présomption d’innocence ne fait pas obstacle à ce que la collectivité décline la protection due au fonctionnaire.

C’est ce qu’a par exemple jugé le Conseil d’Etat (CE 28 décembre 2001 n°213931) pour un médecin mis en examen pour homicide involontaire à la suite d’une négligence grave : « aucun principe ni aucune règle n’imposait à l’administration de procéder à une enquête contradictoire avant de prendre sa décision, laquelle d’ailleurs ne constitue pas une sanction disciplinaire. En se fondant sur des faits dont elle pouvait disposer pour rejeter la demande dont elle était saisie, l’administration n’a pas méconnu le principe de la présomption d’innocence posé à l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (...). »

La Cour d’appel de Nancy (CAA Nancy 28 février 2005, n°02NC00477) a jugé de même pour un enseignant poursuivi pour agression sexuelle : « en estimant, eu égard à leur nature et alors même que les faits reprochés avaient été commis dans le cadre du service, qu’ils caractérisaient une faute personnelle justifiant de refuser à M. X le bénéfice de la protection fonctionnelle tant juridique que contre les calomnies dont le requérant se disait victime, l’administration a fait, sans méconnaître le principe de la présomption d’innocence posé à l’article 9 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, une exacte application des dispositions précitées de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 ».

Encore faut-il que l’administration s’appuie sur des éléments de faits caractérisant la faute personnelle. Or pour la Cour d’appel de Lyon, tel n’était pas le cas en l’espèce (CAA Lyon 15 juillet 2003, N° 99LY02659) : si la collectivité pouvait « exciper du caractère personnel de la ou des fautes qui ont conduit à l’engagement de la procédure pénale, sans attendre l’issue de cette dernière ou de la procédure disciplinaire (...) il ne ressort pas des pièces du dossier qu’à la date de la décision attaquée, le maire disposait d’éléments permettant de regarder les faits comme présentant le caractère d’une faute personnelle », peu important à cet égard que ce soit la commune qui ait pris l’intiative des poursuites pénales. En revanche, les magistrats de la Cour d’appel de Lyon reconnaissent à la collectivité le soin d’évoluer dans son appréciation au fil des éléments en sa possession : « si ces éléments conduisent l’autorité administrative à décider d’accorder le bénéfice de la protection prévue par ces dispositions, en l’absence de toute faute personnelle de l’agent, cette décision peut ultérieurement être abrogée s’il apparaît que celui-ci s’est rendu coupable d’une telle faute ; à l’inverse, le refus opposé à l’agent au motif qu’il a commis une faute personnelle peut être abrogé s’il apparaît ultérieurement que cette faute revêt en réalité le caractère d’une faute de service ».


A quelle collectivité demander la protection fonctionelle ?

La collectivité ayant pris, en l’espèce, l’initiative des poursuites contre le directeur général, ce dernier avait dû trouver un nouvel employeur. C’est donc à son ancienne collectivité que le fonctionnaire a demandé la protection fonctionnelle. A tort selon le conseil d’Etat (CE 5 décembre 2005, n°261948) : “l’autorité compétente pour prendre les mesures susceptibles d’assurer la protection d’un agent en application de ces dispositions est non pas celle dont l’intéressé relevait à la date à laquelle il exerçait les fonctions ayant donné lieu aux poursuites, mais celle dont il relève à la date à laquelle il est statué sur sa demande”.

Pour ce faire, le Conseil d’Etat prend appui sur le premier alinéa de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 lequel dispose que “les fonctionnaires bénéficient, à l’occasion de leurs fonctions, d’une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent”. Il s’agit là d’une confirmation d’une jurisprudence ancienne (CE 14 février 1975 n°87730) prise sur le fondement de l’article 12 de l’ordonnance du 4 février 1959 portant statut général du fonctionnaire alors applicable. Cette confirmation n’allait pourtant pas de soi, puisqu’entre-temps le législateur avait, en 1996, complété le dispositif en précisant que " la collectivité publique est tenue d’accorder sa protection au fonctionnaire ou à l’ancien fonctionnaire dans le cas où il fait l’objet de poursuites pénales..." .

Toujours est-il que la position des fonctionnaires, particulièrement ceux qui sont sur des emplois fonctionnels, n’en est que plus fragile : pouvant être contraints à changer de changer de collectivité suite à leur mise en cause pénale, ils doivent réclamer à leur nouvelle collectivité le bénéfice de la protection fonctionnelle pour une procédure à laquelle elle est étrangère. Ne sont-ils pas indirectement incités à renoncer à faire valoir leurs droits pour ne pas prendre le risque de rentrer en conflit avec leur nouvel employeur ? Trouveront-ils encore une collectivité prête à les accueillir alors même qu’ils sont encore présumés innocents ?