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Incompétence d’un agent et harcèlement moral : approches divergentes du juge pénal et du juge administratif

Cour de cassation, chambre criminelle, 27 mai 2015, N° 14-81489

L’incompétence et le manque de savoir être au travail d’un agent sont-ils de nature à justifier des faits de harcèlement moral à son encontre ?

Non : la manière de servir de l’agent n’a aucune incidence sur la caractérisation du délit et ne peut justifier des faits de harcèlement moral. Tout au plus cette circonstance peut-être prise en compte au civil pour minorer le montant des dommages-intérêts dus à la victime, si celle-ci a contribué à la réalisation de son propre dommage. La Cour de cassation annule ainsi l’arrêt de relaxe, dont a bénéficié en appel le président d’une communauté de communes poursuivi pour harcèlement moral sur plainte de la secrétaire générale, en relevant que la manière de servir de l’agent est indifférente à la caractérisation du délit. En première instance, le tribunal avait condamné l’élu au pénal mais avait retenu un partage de responsabilité au civil par moitié au motif que les problèmes de compétence et de comportement de la partie civile avaient contribué à provoquer une dégradation des relations professionnelles entre les parties. Cet arrêt de la Cour de cassation doit être rapproché d’un arrêt du Conseil d’Etat (Conseil d’État, 11 juillet 2011, N° 321225) qui applique une solution opposée : autant le comportement du requérant est pris en compte pour apprécier la réalité du harcèlement, autant il n’a pas d’incidences sur l’indemnisation qui lui est due si le harcèlement est avéré...

La secrétaire générale d’une communauté de communes porte plainte contre le président de l’EPCI du chef de harcèlement moral. Elle lui reproche de l’avoir l’avoir publiquement dénigrée, d’avoir recommandé aux autres agents municipaux de la tenir à distance, de l’avoir installée seule dans la salle des commissions, de ne lui avoir confié aucune tâche, de ne pas l’avoir conviée aux cérémonies de fin d’année et d’avoir refusé d’aménager ses horaires de travail.

Autant d’éléments retenus par les juges du tribunal correctionnel comme éléments à charge contre l’élu pour le déclarer coupable. Sur l’action civile, le tribunal procède néanmoins à un partage de responsabilité par moitié au motif que les problèmes de compétence et de comportement de la plaignante ont contribué à provoquer une dégradation des relations professionnelles entre les parties.

Les juges d’appel, tout en reconnaissant que l’élu avait eu un comportement inadapté, considèrent que les éléments caractérisant un harcèlement moral ne sont pas réunis. La Cour de cassation censure cette position reprochant aux juges d’appel de ne pas avoir recherché si "les faits poursuivis, n’outrepassaient pas, quelle qu’ait été la manière de servir de la partie civile, les limites du pouvoir de direction du prévenu et ne caractérisaient pas des agissements répréhensibles au sens de l’article 222-33-2 du code pénal".

La Cour de cassation n’a pas eu à se prononcer en revanche sur le partage de responsabilité civile retenue par les premiers juges. Mais si tel avait été le cas, il y a tout lieu de penser que la Cour de cassation aurait validé un tel raisonnement. En effet la chambre criminelle invite les juges du fond à vérifier, sur l’action civile, que la victime d’une infraction n’a pas commis une faute qui a concouru à son propre dommage [1].

Ainsi autant le comportement fautif de la victime peut être pris en compte sur le plan civil pour minorer les dommages-intérêts, autant cette circonstance est sans incidence sur la caractérisation du harcèlement.

Ce faisant, la Cour de cassation prend à contre-pied le Conseil d’Etat [2]. En effet celui-ci considère pour sa part que :

 pour apprécier si des agissements sont constitutifs d’un harcèlement moral, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l’agent auquel il est reproché d’avoir exercé de tels agissements et de l’agent qui estime avoir été victime d’un harcèlement moral ;

 en revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l’existence d’un harcèlement moral est établie, qu’il puisse être tenu compte du comportement de l’agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l’agent victime doit alors être intégralement réparé.

Ainsi le juge pénal et le juge administratif n’ont pas la même approche et ne tirent pas les mêmes conséquences d’une mauvaise manière de servir de l’agent se plaignant d’un harcèlement moral. Cette différence d’approche des deux ordres de juridiction ne doit pas occulter l’essentiel : les pratiques de harcèlement sont à proscrire, l’exercice du pouvoir disciplinaire devant être privilégié en cas de manquement professionnel avéré.

Cour de cassation, chambre criminelle, 27 mai 2015, N° 14-81489

[1Cour de cassation, chambre criminelle, 8 janvier 2008
N° 07-83423.

[2Conseil d’État, 11 juillet 2011, N° 321225