Les sanctions pénales prévues par le Code du travail en cas de manquements aux règles de sécurité au travail s’appliquent-elles aux collectivités territoriales ?
En juillet 2004, une jeune employée saisonnière de la commune du Grau-du-Roi en qualité de secouriste, surveillante de plage, est victime d’un accident mortel de quad : elle a perdu le contrôle du véhicule, mis à la disposition du poste de secours dont elle relevait, en coupant à travers dune afin de permettre l’ouverture plus rapide de la barrière d’accès à la plage pour une ambulance. Le quad a effectué une vrille et, en retombant, lui a occasionné une blessure mortelle à la tête, qui n’était pas protégée par un casque.
Le maire relaxé, la commune et le secouriste de la SNSM condamnés
Le maire de la commune, la commune personne morale et le chef de secteur pour l’ensemble des plages de la commune de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM) sont poursuivis pour homicide involontaire. Il leur est notamment reproché de ne pas avoir fourni de casque à la victime et de ne pas l’avoir formée à la conduite du quad.
Le tribunal correctionnel de Nîmes relaxe le maire. Il condamne la commune à 10000 euros d’amende et le secouriste de la SNSM à trois mois de prison avec sursis, avec exclusion de la condamnation du bulletin numéro deux du casier judiciaire.
Ni casque, ni formation
Seul ce dernier fait appel du jugement. En vain : les juges d’appel relèvent en effet que lors de l’achat du quad, engin particulièrement dangereux de par son poids (deux cent cinquante quatre kg) et sa puissance (quarante-trois chevaux), il a été spécifié par le vendeur que le port du casque était recommandé (c’est même obligatoire !) de même que la projection de la cassette de formation. Or le prévenu a lui-même décidé de ne pas acheter de casque de protection, et n’a procédé à aucune formation à la conduite de l’engin. Pourtant, poursuivent les juges, il ne pouvait pas ignorer que les sauveteurs étant appelés à intervenir dans l’urgence, ils pouvaient avoir à l’utiliser à une vitesse plus grande et dans des circonstances autres que celles initialement prévues.
Le prévenu se pourvoit en cassation. Avec un moyen de défense qui mérite une attention particulière. En effet, le juge d’instruction avait rendu une ordonnance de non lieu s’agissant des infractions à la législation relative à la sécurité des travailleurs, au motif qu’une telle réglementation n’est pas applicable aux collectivités territoriales. Le prévenu en concluait qu’il ne pouvait pas être condamné pour homicide involontaire par imprudence pour absence de fourniture de casque et de formation, quand le juge d’instruction avait déclaré qu’il n’existait pas de charges suffisantes à son encontre d’avoir « commis les délits de fourniture à salarié d’équipement de travail sans information ou formation, mise en service d’équipement de travail mobile sans respect des règles d’utilisation et fourniture à salarié d’équipement de travail sans respecter les règles d’utilisation ».
Les manquements aux règles de sécurité prévues par le Code du travail peuvent servir de fondements à des poursuites pour homicide et blessures involontaires
L’argument est écarté par la Cour de cassation qui confirme sa condamnation :
"la circonstance que le juge d’instruction ait dit n’y avoir lieu de suivre du chef des infractions à la législation relative à la sécurité des travailleurs, au motif qu’une telle réglementation n’est pas applicable aux collectivités territoriales, ne faisait pas obstacle à ce qu’il pût retenir le comportement visé par lesdites infractions comme constitutif d’une faute caractérisée fondant le délit d’homicide involontaire".
Autrement dit quand bien même les infractions spécifiques prévues par le Code du travail ne sont pas applicables aux collectivités territoriales, ces dernières ne peuvent pas s’affranchir des règles de sécurité qui en découlent : si les manquements constatés ont contribué aux dommages subis par l’agent, ce seront autant d’éléments à charge qui seront retenus par le juge.
La Cour de cassation aurait d’ailleurs pu expressément s’appuyer sur les dispositions de l’article 108-1 de la loi du 26 janvier 1984 [1] pour étayer son raisonnement. En effet, il en résulte que les règles en matière d’hygiène et de sécurité définies par les livres Ier à V de la quatrième partie du code du travail et par les décrets pris pour leur application sont pleinement applicables aux collectivités territoriales.
Ne sont en revanche pas applicables aux collectivités territoriales les livres VI à VIII de cette même partie IV du Code du travail relatives à l’organisation de la prévention, aux fonctions compétentes en santé et sécurité, aux modalités de contrôle et aux sanctions pénales en cas de manquement. D’où l’ordonnance de non lieu rendue sur ce point par le juge d’instruction.
Les failles du contrôle du respect des règles de sécurité au travail dans les collectivités territoriales
Ainsi, hormis l’infraction spécifique de mise en danger délibérée de la vie d’autrui prévue par le Code pénal [2], aucune infraction relative à la sécurité des agents ne peut être relevée dans un collectivité tant qu’il n’y a pas eu d’accident. L’inspecteur du travail n’a pas compétence pour verbaliser l’employeur public comme il peut le faire, à titre préventif, dans une entreprise privée lorsqu’il constate un manquement.
Dans les collectivités c’est l’autorité territoriale elle-même qui désigne en son sein les agents chargés des fonctions d’inspection (ACFI) [3] ou qui confie cette mission, par convention, au centre de gestion. Dans les deux cas, ces agents ont certes accès à tous les locaux et documents nécessaires à leurs missions, mais n’ont, contrairement aux inspecteurs du travail, aucun pouvoir de coercition. Ils ne peuvent ni mettre en demeure l’employeur, ni encore moins dresser procès-verbal. Ils n’ont qu’un simple pouvoir de recommandations.
Pour autant les rapports qu’ils rédigent ne sont pas dénués de tout effet juridique : si un accident aurait pu être évité par la mise en œuvre de leurs préconisations, le juge en tiendrait compte comme élément à charge. Mais là encore, il faut attendre l’accident pour pouvoir sanctionner une politique de prévention défaillante. Sauf à démontrer une mise en danger délibérée de la vie des agents. Il est vrai que l’autorité territoriale, préalablement alertée par l’ACFI ou par l’agent du centre de gestion, pourrait alors difficilement prétendre ne pas avoir eu conscience du danger auquel elle exposait les agents...
[1] Reprises par l’article 3 du Décret n°85-603 du 10 juin 1985 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail.
[2] Qui suppose la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi exposant autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures graves.
[3] C’est comme si le chef d’entreprise désignait un salarié pour faire office d’inspecteur du travail...