Le portail juridique des risques
de la vie territoriale & associative

Père et maire, un dur métier !

Cass. crim. 8 mars 2006 n° de pourvoi : 05-85276

Qu’il était tentant pour ce maire de profiter – pour ne pas dire d’abuser – de ses fonctions pour privilégier ses enfants. Inutile de dire que la Cour de Cassation a retenu plusieurs délits de favoritisme. Pour couronner le tout, le maire a également commis quelques irrégularités dans des marchés publics et des faux en écriture. Un beau cas d’école pour passer en revue tout ce qu’il ne faut pas faire

Faits et procédure

Recrutement de ses enfants à la mairie, marché public confié à l’entreprise d’un de ses fils, contrat d’édition avec une association présidée par le concubin de sa fille... Qu’il est tentant lorsque l’on est père et maire de se laisser aller à de telles pratiques. Ce maire d’une commune de 20 000 habitants n’a pas pu s’en empêcher.

Même s’il invoque à plusieurs reprises une pratique courante dans les collectivités, la Cour lui rappelle que recruter ses enfants à la mairie, quelles que soient leurs compétences, est un délit de prise illégale d’intérêts. La Cour est d’autant moins clémente qu’en dehors des délits de favoritisme, le maire a en outre faussé la passation d’un marché en favorisant un cabinet d’architecte et conclut des contrats sans appels d’offres.

Le verdict est sans appel. Dans un arrêt rendu le 8 mars 2006, la Cour de cassation confirme la condamnation du maire à 2 mois d’emprisonnement avec sursis et 2 ans d’inéligibilité pour prise illégale d’intérêts, favoritisme et faux en écriture publique.


Recrutements de deux enfants

En 1993, le maire recrute successivement deux de ses enfants, Amélie et Fabien, comme agents municipaux.

Pour condamner l’élu les magistrats relèvent :
> "Qu’en violation de la loi du 26 janvier 1984 (dans sa rédaction applicable au moment des faits) les contrats des personnels recrutés sans concours ne pouvaient excéder 3 ans".

> “Qu’en l’absence de toute délibération municipale, [le maire] a décidé seul des recrutements de ses enfants” (seul avait été soumis au conseil la création d’un service loisirs-jeunesse et d’un poste de chargé de mission, mais non pas les contrats de travail eux-mêmes).


Contrat d’édition passé avec le concubin de sa fille

L’édition d’un ouvrage sur la commune est confiée à une association présidée par le concubin de la fille du maire. Ce contrat a donné lieu au versement d’un acompte de 80 000 francs à l’association laquelle a reversé 20 000 francs à Amélie et 25 000 francs au trésorier de l’association qui n’est autre que ... son frère Stéphane.

Les magistrats ont d’autant moins de mal à caractériser la prise illégale d’intérêts que le président de l’association a reconnu “que le contexte familial avait été déterminant dans la décision de passer une commande du livre à l’association” et que le maire “n’a pas contesté qu’il avait conclu ce contrat pour trouver un travail pour sa fille”.

Pour ce marché le maire est également condamné pour favoritisme dès lors que s’il y a eu deux contrats distincts avec deux prestataires différents pour ce qui concerne la rédaction de l’ouvrage et son édition, le montant total de ces deux contrats dépassaient le seuil de 300 000 francs “de sorte qu’une mise en concurrence aurait du être organisée en application du Code des marchés publics qui ne prévoit aucune dérogation pour les associations qui en sont attributaires”.

“Que si le prévenu fait état d’une pratique courante dans les collectivités territoriales, cette tolérance ne saurait annihiler une règle législative qu’un élu se doit de respecter” ; que la délibération municipale du 17 décembre 1992 ne concernait que la création d’un service loisirs-jeunesse ainsi que la création d’un poste de chargé de mission et non pas le contrat de travail au profit de l’un des enfants de l’élu”.

Et les magistrats de conclure “qu’ainsi le maire, fort de son mandat municipal, a privilégié ses enfants au mépris des prescriptions légales et a ainsi pris un intérêt moral dans l’attribution de ces deux postes, alors qu’il avait la surveillance de ces opérations et en assurait le paiement”.

L’élu se pourvoit en cassation en se fondant sur la liberté fondamentale du droit au travail inscrit à l’article 5 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : “si l’intérêt personnel en matière de délit de prise illégale d’intérêt prévu à l’article 432-12 du Code pénal peut être constitué par la prise en compte d’un intérêt moral, il ne saurait pour autant être systématiquement caractérisé lorsque le contrat conclu par la personne investie d’un mandat électif l’a été au profit d’un membre de sa famille, sans que ne soit parallèlement rapportée la preuve d’un avantage quelconque, distinct de la seule relation familiale, sauf à violer la liberté fondamentale susvisée”.
Dès lors, poursuit le maire, la Cour d’appel aurait dû à tout le moins vérifier si ses enfants “avaient ou non les compétences nécessaires pour assurer les fonctions proposées”.
La Cour de cassation écarte l’argument d’un revers de manche : “dès lors que le délit de prise illégale d’intérêts est caractérisé par la prise d’un intérêt matériel ou moral, direct ou indirect, la cour d’appel a fait une exacte application de l’article 432-12 du Code pénal, dont il n’appartient pas à la Cour de cassation d’apprécier la constitutionnalité”.


Marché public attribué à un autre enfant

Plusieurs marchés publics portant sur l’exécution de travaux d’entretien et de rénovation de bâtiments communaux ont été attribués à une société dont l’un des associés n’était autre que Stéphane, un autre fils du maire. Condamné pour prise illégale d’intérêts, le maire invoque la liberté fondamentale du droit au travail sans plus de succès.

Il est condamné pour les mêmes faits pour favoritisme. Il lui est notamment reproché à cet égard d’avoir fait régler par une association des travaux de rénovation des bâtiments communaux confiés à l’entreprise de son fils à hauteur de 274 681,74 francs avant “de verser à cette association une subvention du même montant destiné à régler directement cette facture pour masquer cette dépense et contourner ainsi la réglementation des marchés publics en évitant un appel à la concurrence”...


Favoritisme

Aucun de ses enfants n’étant architecte le maire n’a pas pu commettre de prise illégale d’intérêts lorsqu’il s’est agi de confier à un cabinet un projet concernant la salle des sports communale.
Il est néanmoins reconnu coupable de favoritisme pour ce marché.

Il lui est reproché :

 d’avoir confié la réalisation d’un devis estimatif au cabinet retenu ;

 d’avoir modifié le cahier des charges sans nouvelle consultation.

Et les magistrats de relever que le maire “a favorisé ce cabinet d’architecte en lui donnant accès au dossier avant la publication du concours et en lui confiant le marché modifié sans nouvel appel d’offres”. Le maire ne peut invoquer ni “le rôle prépondérant joué dans le dossier par son adjoint”, ni sa bonne foi dès lors que c’est lui “qui a ordonné que le devis estimatif soit réalisé par le cabinet” (...) et qu’il a été établi qu’il avait rencontré l’architecte, avant la remise des dossiers et qu’il a signé un extrait de délibération du conseil municipal daté du 18 juin 1996, destiné à la préfecture, faisant mention du choix du cabinet par le conseil municipal, à l’unanimité, tandis qu’aucune décision n’avait été prise lors de cette séance”. Ce qui vaut du même coup à l’élu une condamnation pour faux en écriture. Là aussi l’argument du maire invoquant une “pratique généralisée (sic) [dans sa collectivité] comme dans un grand nombre de communes” n’est pas retenu comme élément disculpant...


Présomption de compétence

La commune a conclu en 1995 et 1996 des contrats pour l’organisation de séjour pour enfants avec deux agences de voyage sans appel à la concurrence “pour des sommes supérieures au seuil autorisé par l’article 321 du Code des marchés publics [alors applicable], pour la passation des marchés sur mémoire”.

En effet “la nature similaire et la régularité des prestations fournies témoignent d’une unicité d’objet de sorte que le calcul du seuil déterminant les modalités du marché s’effectue annuellement pour chaque attributaire”.

Au prévenu qui invoque “son ignorance de la nécessité de faire un appel d’offres pour des activités de cette nature” les magistrats opposent “sa mauvaise foi (...) établie par la durée de ses différents mandats à la date des faits et par sa fonction de président de la commission d’appel d’offres au conseil général”.

Fidèle à sa jurisprudence en la matière la Cour de cassation rappelle “que l’élément intentionnel du délit de favoritisme est caractérisé par l’accomplissement en connaissance de cause d’un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics”.