Un délégué syndical peut-il être reconnu coupable de harcèlement moral au préjudice de cadres de direction s’il use de méthodes intimidantes et irrespectueuses ?
Un délégué syndical d’une entreprise est poursuivi pénalement du chef de harcèlement moral sur plaintes de cadres dénonçant ses méthodes particulièrement véhémentes, agressives et humiliantes. Les parties civiles dépeignent un climat de terreur dans l’entreprise ayant conduit plusieurs cadres au départ ou à des arrêts de travail.
Décrit comme un homme agressif verbalement, vociférant, coupant régulièrement la parole, le responsable syndical se complaisait en outre à répéter qu’il codirigeait l’établissement. Durant les conflits sociaux, l’intéressé allait jusqu’à revêtir un masque de mouton et faisait usage d’une corne de brume ! Ainsi selon l’expression employée par l’un des plaigants, pour le prévenu, l’entreprise est un "ring permanent", son but, en faisant régner "la terreur" ou en se livrant à un "sabotage moral", était de faire partir l’équipe de direction.
Si les membres et élus du même syndicat soutiennent leur délégué en louant l’efficacité de son action, ils reconnaissent qu’en négociation, il monopolisait facilement la parole et qu’il était difficilement canalisable.
En conflit prud’homal avec son employeur, le responsable syndical voit dans cette plainte le signe d’une tentative de déstabilisation et une machination destinée à l’évincer de l’entreprise. La Cour d’appel de Versailles écarte l’argument et condamne l’intéressé à huit mois de prison avec sursis et 5000 euros d’amende :
"la gravité des accusations formulées contre le prévenu, leur concordance entre elles ainsi que les conclusions de l’examen psychiatrique [1] dont a fait l’objet M. X..., permettent d’exclure toute instrumentalisation des autorités judiciaires, en particulier du ministère public ayant décidé de donner suite aux plaintes et d’engager des poursuites du chef de harcèlement moral".
Il se dégage en effet des déclarations respectives des parties civiles, corroborées par celles des témoins, que celles-ci ont durement été éprouvées par les agissements du prévenu à leur égard et que leurs souffrances se sont matérialisées par des arrêts de travail, la nécessité de traitements par anxiolytiques, un suivi psychologique, une demande de changement de service.
Et la Cour d’appel d’en conclure :
– que les attitudes et comportements dénoncés à l’encontre du [délégué syndical], consistant, notamment, à tenir, auprès de ses interlocuteurs (...), des propos injurieux et humiliants, touchant les personnes mêmes de ceux-ci, leur physique, leurs tenues vestimentaires, leur passé professionnel, leur probité, à être très près de leur visage au point qu’ils se sentent physiquement menacés, n’étaient nullement nécessaires pour mener à bien des actions syndicales dans l’intérêt des salariés" ;
– qu’à ces attitudes, s’ajoutaient la remise en cause de leur compétence, de leur rigueur professionnelle et loyauté vis à vis de leur employeur, de leur autorité, la précarité de leur emploi et l’affirmation répétée qu’il leur était supérieur" ;
– que de tels comportements, irrespectueux de la personne humaine, répétés, systématiques et inadaptés par rapport à l’exercice normal et loyal de l’action syndicale, étaient à l’évidence volontaires avec pour but d’intimider, déstabiliser et atteindre la personne même des cadres constituant la direction de l’établissement et, par là même, leur porter un préjudice personnel" ;
– que, compte tenu des circonstances dans lesquelles ils se sont déroulés, leurs conséquences sur la santé et l’avenir professionnel des victimes, il est ainsi établi que ces comportements ont eu pour objectif et pour effet de dégrader les conditions de travail des parties civiles, portant ainsi atteinte à leur dignité et altérant leur santé physique ou mentale".
La Cour de cassation n’y trouve rien à redire et confirme la condamnation du responsable syndical, la cour d’appel ayant, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit de harcèlement moral dont elle a déclaré le prévenu coupable.
[1] Lequel conclut à une "personnalité psychorigide, paranoïaque", "mégalomane", "dans la toute puissance", "procédurière", et ayant "la conviction inébranlable d’être victime d’un complot".