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Protection d’un site classé : auprès de mon arbre

Cass civ 6 mars 2007 N° de pourvoi : 05-20747

Dix ans après les faits qui lui sont reprochés, le marathon judiciaire de ce maire prend fin. A-t-il eu raison d’abattre le cyprès qui, selon lui, menaçait la sécurité publique ? Tribunal correctionnel, cour d’appel puis chambre criminelle de la Cour de Cassation... Puis retour à la case départ devant les juridictions civiles jusqu’en cassation (chambres civiles cette fois).

Les faits

En 1997, le maire d’une commune de 1 500 habitants s’inquiète du risque d’accident résultant de la proximité d’un cyprès, qui a poussé sur les abords d’un chemin rural, à proximité d’un poteau EDF comportant des fils nus.

Appliquant le principe de précaution, il décide de faire abattre ledit arbre. Las, le propriétaire d’un château tout proche et une association de protection du site estiment que le cyprès participait à l’harmonie du site et que le maire ne pouvait l’abattre sans autorisation préalable.

En effet, en vertu de l’article L 341-10 du Code de l’environnement "les monuments naturels ou les sites classés ne peuvent ni être détruits ni être modifiés dans leur état ou leur aspect sauf autorisation spéciale".

Les plaignants se constituent partie civile par voie de citation directe devant le tribunal correctionnel, lequel déclare le maire coupable des faits qui lui sont reprochés et le condamne en répression à 1 500 euros d’amende avec sursis. Le maire devra en outre verser aux plaignants 380 euros de dommages-intérêts.

Sur conseil de son avocat, dans le cadre de son contrat Sécurité élus souscrit auprès de Smacl Assurances, le maire décide d’interjeter appel et obtient gain de cause : les magistrats considèrent en effet que la citation délivrée contre l’élu était nulle pour vice de forme.

Les plaignants ne se résignent pas pour autant : bien que la Cour de cassation ait rejeté leur pourvoi, ils introduisent une nouvelle instance, cette fois devant les juridictions civiles pour obtenir dédommagement. Encore faut-il saisir le tribunal territorialement compétent et les deux tribunaux saisis successivement par les plaignants se renvoient la balle. L’affaire trouve finalement son épilogue devant la Cour de cassation (Cass civ 6 mars 2007 N° de pourvoi : 05-20747) qui donne raison à l’élu : « le mauvais état du cyprès, proche d’un poteau électrique, justifiait son abattage par le maire, de sorte que la preuve d’une faute détachable du service reprochée à M. X... n’était pas rapportée ».

Certes, bien assuré à titre individuel, le maire n’a pas eu à débourser les quelques 13 000 euros qui ont été nécessaires pour assurer efficacement sa défense, il n’en reste pas moins que ce marathon judiciaire lui a pesé avec cette question : que se serait-il passé, si ne faisant pas abattre l’arbre, un accident mortel était survenu alors qu’il avait conscience du danger ?

Ce que risquait le maire au pénal ?

L’article L 341-19 du Code de l’environnement punit les contrevenants d’une peine pouvant aller jusqu’à 9 000 € en cas de travaux sur un monument naturel ou un site inscrit sans en aviser l’administration.

La sanction peut même aller jusqu’à 300 000 euros d’amende, peine prévue par l’article L480-4 du Code de l’urbanisme), en cas de destruction ou de modification dans son état ou son aspect d’un monument naturel ou d’un site classé sans l’autorisation.

Ce qu’il aurait risqué en cas d’accident ?

En cas d’accident, et selon le degré de gravité des dommages subis par le ou les victimes, les poursuites pénales auraient été envisageables à l’encontre du maire, à l’initiative du parquet ou des victimes ou de leurs ayants droit, sur le fondement du délit de blessures involontaires (articles 222-19 et 222-20 du Code pénal) jusqu’au délit d’homicide involontaire (article 221-6 du Code pénal).

Certes, depuis la loi Fauchon, dans une telle hypothèse la responsabilité du maire n’aurait pu être recherchée que sur la base d’une faute qualifiée, mais la jurisprudence montre qu’une telle qualification est moins restrictive qu’il n’y paraît (voir dossier : Fêtes populaires : gare au bricolage électrique). En l’espèce, le fait que le maire soit bien conscient du danger et qu’il se soit abstenu de prendre les mesures adéquates, n’aurait-il pas était suffisant à l’appréciation du juge pour caractériser la faute qualifiée ?

La citation directe

Le processus classique d’une procédure pénale commence par une enquête de police ou de gendarmerie au cours de laquelle les différents protagonistes sont entendus. Dans les cas les plus complexes, une information judiciaire est alors diligentée par un juge d’instruction. Lorsque les faits sont avérés et ne nécessitent pas d’enquête, le prévenu peut être “cité directement” devant le tribunal correctionnel. Concrètement, la personne mise en cause est invitée à comparaître au jour et à l’heure indiqués sur exploit d’huissier.

Ne pas perdre de temps

Dans une procédure classique, la stratégie de défense du prévenu peut être affiner, avec l’aide d’un avocat, au fur et à mesure de l’enquête et des auditions. Dans l’hypothèse d’une citation directe, il n’y a pas d’enquête donc pas d’ajustement possible de la défense au fil du "mûrissement" du dossier.

Pour autant, il ne faut surtout pas attendre d’être devant le tribunal correctionnel pour découvrir précisément ce qu’on vous reproche et improviser votre défense !

Prenez contact le plus tôt possible avec votre assureur pour avoir les moyens, sans retard, de vous adjoindre les conseils d’un avocat spécialisé à la fois dans le droit administratif et dans le droit pénal.

Qui peut citer ?

En principe, le parquet est seul maître des poursuites. Spécificité du droit français, le Code de procédure pénale accorde cependant aux personnes qui s’estiment victimes d’une infraction la possibilité d’ester elles-mêmes en justice en se constituant partie civile, soit devant le doyen des juges d’instruction (ouverture d’une information judiciaire), soit par voie de citation directe devant le tribunal.

Dans les deux cas, une consignation est demandée à la partie plaignante : c’est d’ailleurs le non-respect de cette obligation qui a été sanctionné par la Cour de cassation.

En matière d’environnement, outre les victimes directes, certaines associations sont habilitées à engager des poursuites : dans cette affaire, les unes et les autres ont fait cause commune.

La prise en charge de Smacl Assurances

Si le maire avait été condamné au pénal au paiement d’une amende, celle-ci serait restée à sa charge sans possibilité de substitution par la collectivité ou par l’agent.

Sur le plan indemnitaire, la condamnation à verser des dommages-intérêts aurait pu être couverte soit dans le cadre du contrat Sécurité Elus souscrit personnellement par l’élu, soit dans le cadre d’un contrat de type Promut couvrant la collectivité de ses obligations de protection fonctionnelle (la collectivité devant se substituer à l’élu en cas de condamnation à des dommages-intérêts sur la base d’une faute de service). S’agissant des frais de défense, Smacl Assurances a pris en charge les quelques 13 000 euros qui ont été nécessaires à sa défense.

Bien que la procédure ait fait deux fois l’aller-retour avec la Cour de cassation (une fois devant la Chambre criminelle, une fois devant la chambre civile), le plafond contractuel de 16 000 euros n’a pas été atteint.

Qui doit indemniser la victime ?

Un élu ne peut engager son patrimoine personnel que s’il commet une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions. Cela suppose qu’il poursuive un intérêt personnel ou qu’il ait commis une négligence grave. Tel n’était pas le cas en l’espèce dès lors que le maire n’avait pas d’intention de nuire mais avait voulu prévenir le risque d’accident causé par la proximité du cyprès en mauvais état avec un poteau électrique.