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Harcèlement moral, audit interne et révocation

Conseil d’Etat 21 décembre 2007 N° 292217

La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 condamne les faits de harcèlement moral et leurs auteurs, ceux-ci sont désormais passibles de sanctions pénales et disciplinaires.
 L’autorité territoriale peut-elle sanctionner de tels faits s’ils sont antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi ?
 Un audit interne peut-il servir de base à une sanction ?
 La révocation d’un fonctionnaire avec 20 ans de carrière est-elle possible directement sans avertissements préalables ?

L’arrêt du Conseil d’Etat rendu le 21 décembre 2007 apporte sur ce point plusieurs éclaircissements.

Les faits

Un audit mené au sein d´une école de musique municipale d’une commune des Pays de la Loire (15 000 habitants), confortée par une enquête interne initiée par la collectivité, révèle des méthodes de management peu orthodoxes de son directeur : climat de tension exacerbé, défiance généralisée, propos insidieux, remises en cause des compétences professionnelles des professeurs, élèves injuriés ... le tout se soldant par la dépression de deux professeurs, le départ d´un troisième et l´isolement de l’école de musique.

En janvier 2003, considérant que ces faits sont constitutifs de harcèlement moral, le maire révoque le cadre territorial. Quatre mois plus tard, le conseil de discipline de recours émet un avis défavorable à la mesure de révocation, faute d’éléments suffisants pour caractériser le harcèlement moral. La commune attaque cet avis devant les juridictions administratives.

La position du tribunal administratif de Nantes

A l’appui de la confirmation de l’avis du conseil de discipline, le fonctionnaire fait observer, d’une part, que la collectivité ne pouvait valablement se fonder sur un audit effectué par des personnels non assermentés, et d’autre part qu’aucun incident n´a été signalé au cours de ses 18 années de direction.

Après avoir rappelé les dispositions de l´article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 (insérées par la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002) selon lesquelles sont passibles d´une sanction disciplinaire les agents ayant commis des faits de harcèlement moral, le tribunal administratif (TA Nantes 26 janvier 2005) donne raison au maire et annule l’avis du conseil de discipline : la circonstance que l´audit n´ait pas été effectué par un personnel assermenté "ne fait pas obstacle à ce que ce rapport, qui constitue une des pièces du dossier, soit retenu à titre d´élément d´information dès lors que M.G. a pu en prendre connaissance et présenter ses observations". Quant à l’argument tiré de l’absence de signalement d’incident, il est objecté que la notation de l’intéressé au cours des années précédentes fait état « de lacunes en matière d’organisation et de management des équipes ».

Et le tribunal d’en conclure que « le climat de suspicion et de crainte ainsi entretenu est à l’origine de l’isolement de l’école de musique" et que "ces faits, contraires à la moralité requise d’un chef de service, et qui ont porté atteinte à la dignité des agents placés sous son autorité, sont constitutifs de harcèlement moral ».

La position de la Cour administrative d’appel de Nantes

Après avoir rappelé les termes de l’article 91 de la loi du 26 janvier 1984 ("Les fonctionnaires qui ont fait l’objet d’une sanction des deuxième, troisième et quatrième groupes peuvent introduire un recours auprès du conseil de discipline départemental ou interdépartemental dans les cas et conditions fixés par un décret en Conseil d’Etat. L’autorité territoriale ne peut prononcer de sanction plus sévère que celle proposée par le conseil de discipline de recours."), la Cour administrative d’appel de Nantes (CAA Nantes 30 décembre 2005 N° 05NT00482) infirme le jugement du TA de Nantes et valide en conséquence l’avis du Conseil de discipline de recours : dès lors que le directeur , « en fonction depuis 1984, n’avait jamais fait l’objet d’avertissement relatif à son comportement, la sanction de révocation prononcée par l’arrêté du maire de C... en date du 29 janvier 2003 est entachée d’erreur manifeste dans l’appréciation de la gravité de la faute et de la nature de la sanction ».

La position du Conseil d’État

Saisi d’un pourvoi par la commune, le Conseil d’Etat considère que c’est à tort que le tribunal administratif de Nantes s’est appuyé sur les dispositions de l’article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 aux termes duquel « aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel… Est passible d’une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé aux agissements définis ci-dessus… ». En effet, ces « dispositions, issues de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, ne sont entrées en vigueur que postérieurement aux faits reprochés à M. G... ».

Pour autant le Conseil d’Etat estime que le maire de la commune n’a commis ni erreur manifeste d’appréciation, ni détournement de pouvoirs en prononçant une sanction de révocation : le comportement du directeur de l’école de musique « était, dans son ensemble, et sans qu’il y ait lieu de se référer aux dispositions de la loi du 17 janvier 2002 prohibant le harcèlement moral dans la fonction publique, constitutif d’une faute disciplinaire de nature à justifier la révocation ».

L’arrêt de la cour d’appel