La commune peut-elle être tenue d’indemniser la victime d’un accident survenu lors d’un feu d’artifice alors que c’est le maire qui a été personnellement condamné au pénal pour blessures involontaires ?
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Oui. La circonstance que le maire ait été condamné au pénal (prison avec sursis et amende) en raison des blessures causées à des spectateurs d’un feu d’artifice organisé par la municipalité ne fait pas obstacle à ce que la responsabilité de la commune soit recherchée devant le juge administratif au titre des fautes commises par le maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police. En l’espèce la délimitation de la zone de tir par un ruban n’est pas jugée suffisante pour assurer la sécurité du public. Des barrières de sécurité auraient dû être installées pour délimiter le périmètre de sécurité fixé par arrêté du maire à une distance minimale de 150 mètres de la zone de tir. Le fait que la victime, grièvement blessée à l’œil par la chute d’une fusée non allumée, se trouvait à l’intérieur de ce périmètre, ne constitue pas dans ces circonstances, une imprudence fautive de nature à exonérer la commune, même partiellement, de sa responsabilité.
Lors du traditionnel feu d’artifice du 14 juillet organisé par une commune (3000 habitants), une spectatrice est grièvement blessée à l’œil par la chute d’une fusée qui ne s’est pas allumée. D’autres spectateurs sont blessés mais moins grièvement.
Poursuivi pour blessures involontaires, le maire est condamné par le tribunal correctionnel d’Alès à 6 mois d’emprisonnement avec sursis et 5000 euros d’amende (dont 3000 euros avec sursis) sur la base d’une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement. Il lui est notamment reproché de ne pas avoir déclaré dans les délais l’organisation du tir en préfecture et de ne pas avoir fait respecter un périmètre de sécurité par la pose de barrières.
Les victimes assignent la commune devant les juridictions administratives pour obtenir réparation de leur préjudice. Pour sa défense la collectivité objecte à titre principal que la faute du maire doit s’analyser en une faute personnelle détachable. A titre subsidiaire elle soutient que :
– la commune n’a commis aucune faute en lien de causalité avec l’accident, le maire ayant pris un arrêté imposant au public une distance minimale de sécurité de 150 mètres avec la zone de tir, distance jugée conforme aux prescriptions de sécurité. Ainsi la victime a commis une faute en se trouvant à une distance de 130 mètres de la zone de tir en violation de l’arrêté municipal ;
– si aucune barrière n’a été installée, un ruban délimitait cependant la zone de tir, et des hauts-parleurs invitaient le public à se tenir à distance ;
– l’accident résulte de la mauvaise qualité du matériel pyrotechnique d’où appel en garantie du fournisseur.
Le tribunal administratif de Nîmes écarte l’ensemble des arguments et retient la responsabilité de la commune, ce que confirme la Cour administrative d’appel de Lyon [2].
La condamnation pénale d’un maire ne fait pas obstacle à la mise en jeu de la responsabilité de la commune devant les juridictions amdinistratives
En premier lieu les magistrats rappellent que la condamnation pénale du maire n’interdit pas à la juridiction administrative de se prononcer sur la responsabilité de la commune :
"la circonstance que, par jugement du 14 novembre 2011 du Tribunal correctionnel d’Alès, le maire de la commune de Salindres a été condamné en raison des blessures causées à des spectateurs au nombre desquels figure Mme C...lors du tir de ce feu d’artifice, ne fait pas obstacle à ce que la responsabilité de la commune soit recherchée devant le juge administratif pour les fautes commises par son maire dans les mises en œuvre de ses pouvoirs de police".
Rien que de très classique : la condamnation pénale d’un élu (ou d’un agent) ne signifie pas en effet automatiquement que celui-ci a commis une faute personnelle détachable de ses fonctions. Tout particulièrement en matière d’homicide et blessures involontaires. L’arrêt de la Cour administrative de Lyon s’inscrit à ce titre dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour de cassation rappelant régulièrement qu’un agent public condamné pour homicide ou blessures involontaire ne peut être condamné au civil à indemniser les victimes, la faute non intentionnelle du prévenu ne pouvant s’analyser en une faute personnelle détachable du service. C’est alors à l’administration qu’il revient d’indemniser les victimes. Et ce même lorsque la faute d’imprudence imputée à l’agent public est jugée comme étant d’une particulière gravité (en ce sens suivre le lien proposé en fin d’article).
Conditions de mise en jeu de la responsabilité d’une commune lors d’un feu d’artifice
Il s’agit d’un régime de responsabilité pour faute : il appartient à la victime de rapporter la preuve d’une faute de la commune ayant concouru à la participation de son dommage.
Trois types de fautes peuvent être imputés à la commune :
– mauvais choix de l’artificier ;
– carence dans l’organisation ou le fonctionnement du service public ;
– négligence dans la mise en œuvre de ses pouvoirs de police pour assurer la sécurité des spectateurs.
"la responsabilité d’une commune ne peut être engagée en cas d’accident survenu à un spectateur d’un feu d’artifice tiré sur la commande de celle-ci que si la victime établit l’existence d’une faute de la commune soit dans le choix de l’artificier, soit dans l’organisation ou le fonctionnement du service public, soit enfin dans l’accomplissement des mesures de police prises pour assurer la sécurité des spectateurs"
En l’espèce, la faute et le lien de causalité avec les blessures sont constitués dès lors qu’il n’existait aucun dispositif permettant de maintenir le public en sécurité, alors même que le maire avait pris un arrêté fixant des distances minimales de sécurité. En outre, un premier incident s’était produit quelques temps auparavant sans que la commune ne prenne de dispositions pour pallier aux insuffisances du dispositif de sécurité.
La circonstance que la victime était à une distance inférieure à 150 mètres ne constitue pas une imprudence de nature à exonérer la commune de sa responsabilité, même partiellement. Peu importe que la zone de tir était délimitée par un ruban, cette mesure de protection étant insuffisante.
Enfin, l’appel en garantie du fournisseur de fusées pyrotechniques est rejeté, l’expert ayant démontré que l’aléa de non allumage d’une telle fusée est un défaut mineur pouvant se rencontrer sur des produits fiables et agréés, aléa auquel il est pallié par des distances de sécurité à respecter par le public et que la commune a omis de mettre en œuvre.
Cour administrative d’appel de Lyon, 18 décembre 2014, N° 12LY22281